Emmanuel Macron, donc, en tête.
Nobles déclarations de Pécresse, Hidalgo, Jadot, invitant à voter pour lui.
Et soulagement face à l’appel de Mélenchon qui, sans avoir le cran d’enjoindre de se rallier, sans aller jusqu’à souhaiter la victoire de l’Europe, de l’Ukraine et de l’esprit de la démocratie, et tout en maintenant sa prudente comédie d’une consultation préalable de sa base, martèle qu’aucune de ses voix ne doit se porter sur Le Pen.
N’empêche.
Le fait est, comme je le redoutais la semaine dernière, qu’un électeur sur trois a opté pour l’extrême droite.
Un sur deux pour le vaste parti de ceux qui renvoient dos à dos Poutine et les suppliciés de Boutcha, le fascisme et ses victimes.
Et, de là où j’écris, dans un train de nuit, bourré de réfugiés, au centre de l’Ukraine martyre et alors que m’arrivent, sur mon smartphone, des informations très parcellaires, j’ai l’étrange sentiment que la course en tête de Macron pourrait n’être qu’un effet d’optique et que les hommes et femmes de bonne volonté, s’ils ne se résolvent pas au règne de la haine, à l’ordre de Poutine, au désastre, n’ont plus un instant à perdre pour faire que leur refus se traduise, dimanche 24 avril, dans les urnes.
Il faudra pour cela que les électeurs de Pécresse répondent à sa prière et s’opposent à ceux qui ont, depuis quarante ans, juré la perte du parti du général de Gaulle, de Valéry Giscard d’Estaing et de Jacques Chirac.
Pour les écolos qui ont voté Jadot comme pour ceux qui n’ont pas voté du tout, ce sera le moment ou jamais de se souvenir qu’il y a, face au dérèglement climatique, extrême urgence : avec la climatosceptique Le Pen, avec les complotistes et les ignares antivax qui l’entourent, c’est cinq années précieuses que l’on perdrait !
Les électeurs de Jean-Luc Mélenchon qui voulaient juste montrer que la gauche n’était pas morte devront se demander en conscience ce qu’être de gauche veut dire : faire la politique du pire ou celle du moindre mal ? servir de marchepied, en s’abstenant, à une candidate raciste ou apporter leur soutien critique à un disciple centriste de Paul Ricœur ? faire comme l’extrême gauche allemande des années 1930 qui, à force de répéter qu’entre Hitler et les sociaux-démocrates il n’y avait qu’une différence de degré, a fait le lit du premier – ou voter résolument Macron parce qu’il n’y a plus d’autre moyen de faire barrage à celle qui, naguère, allait valser à Vienne avec des néonazis ?
Peut-être existe-t-il des électeurs de Zemmour qui sont sincères lorsqu’ils se disent attachés à la « fierté française » : à ceux-là, je recommande de s’infliger, avant de retourner voter, les images de Mme Le Pen, en visite à Moscou, en 2015, tout sourire face à Poutine, obséquieuse, approuvant servilement l’invasion de la Crimée.
Les électrices, quel que soit leur parti, devront relire les déclarations de la cheffe du Rassemblement national affirmant, à maintes reprises, lors de ses précédentes campagnes, sa réprobation des « avortements de confort ».
Les juifs qui croient au ciel, et ceux qui n’y croient pas, devront relire ses prises de position sur la kippa réduite à un signe religieux ordinaire et interdite, au même titre que le voile islamique, dans l’espace public.
Les catholiques pourront s’interroger sur l’aveu de la candidate confiant, au début de la campagne, qu’elle connaît les « néopaïens » qui se pressent chez son rival Zemmour et que, si elle les connaît si bien, c’est qu’ils avaient, avant cela, leurs quartiers au Rassemblement national.
À celles et ceux qui ont vu dans le mariage pour tous une avancée sociale et politique, il faudra répéter que son programme prévoit, pour la loi votée en 2013, un moratoire de trois ans, soit le temps nécessaire à son abrogation.
À ceux qu’auraient abusés l’apparent virage de cette « réaliste » renonçant à sortir de l’Europe, il faut dire et redire qu’en affirmant, sur certains sujets, la primauté du droit français sur le droit communautaire, elle prône un Frexit qui ne s’avoue pas et nous mettrait dans une position à peine moins difficile que la Hongrie de Viktor Orban.
Les chefs d’entreprise savent la proportion de leur personnel issue de l’immigration ? Il faut espérer qu’ils ont compris ce qu’entend la candidate lorsqu’elle annonce que l’immigration, sous présidence Le Pen, ne sera plus tolérée que pour autant qu’elle ne remet pas en cause les « fondamentaux du peuple français ».
On se réjouissait de voir la courbe du chômage commencer de s’infléchir ? La France de Mme Le Pen serait une France déclassée, boudée par les investisseurs, peinant à financer sa dette et entrant dans la spirale du dirigisme, de la crise, de la baisse du pouvoir d’achat et du chômage de masse.
Les gens que Macron irrite, qui le trouvent « hautain », ou « loin du peuple », devront se souvenir qu’une élection présidentielle n’est pas un défouloir.
Ceux qui ne seraient pas fâchés de lui donner une leçon, de punir « les élites » de leur « arrogance », et seraient donc tentés de partir en week-end ou d’aller à la pêche, sont priés de se rappeler qu’à ce jeu ce ne sont pas elles, les élites, mais les classes populaires qui paient les pots cassés.
Deux logiques, en vérité, s’affrontent.
Celle du front républicain, jamais si bien nommé.
Et celle d’un front anti-Macron qui ne nous promet que du malheur.
République ou barbarie.
Honneur ou indignité.
Telle est, de nouveau, la question.
La République est inconditionnelle. Je voterai pour notre République démocratique, telle qui a été issue et édifiée sur le sacrifice de la résistance et par la victoire finale contre le nazifascisme. Je voterai pour notre Union européenne qui est attaquée, envahie et menacée de destruction par le néo-nazifascisme russe porté par Poutine. Je voterai pour la résistance ukrainienne, pour la survie et la liberté de son peuple.
Je voterai pour Emmanuel Macron
Il est impératif qu’un homme ayant été tenté de concilier l’éternité extrinsèque du monde avec son intrinsèque nouveauté, ne balance pas la quête par-dessus bord en cours de déroute.
Nous aurons besoin de toutes les énergies si nous voulons, sinon arriver à bon port, éviter tout au moins de sombrer au grand large, en d’autres termes, à l’apparent milieu d’une improbable nulle part.
La synergie tant attendue du maelstrom national dépend de cela même dont elle procède : la conjonction de courants insulaires puissants et d’amples mouvements de marée. Intégrer donc, d’une part, la plasticité de la courbure des socles civilisationnels et les élans contraires qu’elle engendre à leur hypersurface et, d’autre part, la nécessité d’une certaine proportion de forces de stabilisation que l’on qualifiera de robinsoniennes — il faut être perdu, il faut avoir perdu le monde, pour se trouver soi-même (Thoreau) — dont l’indépendance des productions de l’esprit garantirait la régénérescence et l’insufflation d’un faisceau de créations hétérodoxes et convergentes dont une orthodoxie totalitaire eût causé l’inhibition et empêché la formation d’un embryon de nation.
Faire en sorte que chacun puisse avoir une chance de se remettre en selle exige de la part des vrais maîtres non seulement un authentique désir de transmettre, mais une faculté d’intersubjectivité et potente et patente.
La mise en place d’un modèle de formation à structure variable répond aux besoins d’une population évolutionnaire, mais aussi mutationnaire, si l’on prend en considération la supracivilisation du choc permanent dans laquelle on demande à la marée humaine de se couler, ce à quoi, qu’on se le tienne pour dit, elle ne consentira jamais.
Alors, comment comptons-nous nous y prendre pour le négocier, ce grand virage inéluctablement mondial ?
Eh bien, en concevant que les victimes d’une chute brutale requièrent parfois plusieurs années de convalescence avant de prendre leurs nouvelles marques avec les commandements d’un monde parfois trop occupé à se mordre la queue pour saisir un effort prophétique, visible d’un simple coup d’œil.
P.-S. : J’aurais pu rassurer le Président en l’informant du fait que les enquêtes d’intention de vote en vue du second tour ont eu l’effet d’un électrochoc sur un Français qui, expatrié en Grande-Bretagne depuis bientôt trois décennies, en était pourtant arrivé à éprouver un relatif désintérêt envers une politique intérieure française de plus en plus nébuleuse et d’autant moins attractive qu’il n’en perçoit que des tronçons de brèves par le prisme de la BBC. C’est d’ailleurs moins pour les effets délétères que cela aurait sur son pays natal que pour les déséquilibres que l’élection de Le Pen pourrait engendrer dans les relations internationales, a fortiori en ces heures terribles où un risque de guerre mondiale plane sur la Désunion européenne, que mon frère se déplacera dimanche prochain pour glisser un bulletin Macron dans l’urne consulaire. Je n’ai pas jugé utile de m’étendre là-dessus. Non que nous tenions, mon frère comme moi-même, à ce que soit respecté le secret de nos votes, mais parce que mes priorités du moment avaient décidé de se loger ailleurs.
P.-S. du P.-S. : La politique intérieure d’un pays ne se résume pas à la ligne de son exécutif, aussi la nébulosité de la première ne devrait-elle pas entacher la clarté de cette dernière. Pour (en) finir (avec l’offuscation de principe), le rejet des élites, fût-il préoccupant au propre comme au figuré, implique de la part de celles-ci des ripostes imparables, lesquelles attitudes impeccables ne sauraient découler que d’un extrême détachement. Je demeure convaincu que la meilleure défense n’est pas toujours l’attaque à l’égard d’une populace que son propre marasme conscientiel pousse à l’exaspération. Quand Macron explique que Le Pen se cache du peuple, contrairement à lui-même, qui ne craint pas de se confronter à la contradiction, il donne à penser que le peuple est un corps étranger avec lequel il serait programmé pour se colleter. Or non seulement il en est une partie intégrante, mais en tant que Père de la nation, par hypostase interposée, on en déduit par extension qu’(Il) en est l’incarnation. Mais attendez… était-ce à ses propres contradictions que faisait référence le président candidat, en évoquant son intérêt pour un corps à corps avec l’Autre que serait le peuple, autrement dit, l’autre visage du Je suprême ?
Expliquer pourquoi le mot souverain is me est employé et le différentier de la troisième République me paraît utile à comprendre et ne pas se tromper sur les intentions de E. Macron. Pour beaucoup souverainisme et royaliste ont la même signification.
Qui peut croire que le parti de Marine le Pen n’est pas « républicain »? En quel sens faut-il entendre ce mot?
Mieux vaudrait dénoncer le fait incontestable que ce parti est nationaliste, populiste, anti-européen, pro-Poutine et pro Orban, et que sa victoire serait un désastre pour l’Europe et donc pour le ponde libre.