Dans un article publié dans La Règle du Jeu[1], le philosophe Bernard-Henri Lévy alertait le monde : « Les Rohingyas sont, aujourd’hui, la minorité la plus persécutée au monde. Pour quiconque a ne serait-ce qu’un peu d’oreille et de mémoire, on est face à une situation qui rappelle la purification ethnique en Bosnie ou, pis, les massacres du Rwanda. Et, parce que les Rohingyas n’ont pas de visages, parce que leurs persécuteurs, en organisant le blocus des images, sont en train de réussir, en effet, à les déshumaniser, parce qu’ils sont musulmans, enfin, et qu’il ne fait pas toujours bon, ces temps-ci, être musulman, tout le monde, ou presque, s’en moque ».
Les avertissements et les mots vrais déchirants n’ont pas suffi à faire prendre conscience de l’immensité du désastre. Comment décrire autrement le sort qui est réservé à cette minorité ? Ces « damnés » de et dans leur propre terre de l’ex-Birmanie, n’intéressent personne. Terrible constat. Et que de temps ont été perdus depuis 2017 ? Perdu, parce que le temps n’efface pas les souffrances endurées par les Rohingyas, cette minorité musulmane sunnite apatride d’environ 1,3 million de personnes. Rappelons ici qu’en août et septembre 2017, en moins de deux semaines, quelque 165.000 Rohingyas fuient les violences en Birmanie pour se réfugier au Bangladesh voisin. Depuis, les organisations humanitaires ont été débordées par cet afflux et la situation ne cesse de s’aggraver.
Pourtant, les instances internationales préviennent
En février 2017, l’ONU dénonce une entreprise de répression « généralisée et systématique » à l’encontre des Rohingyas, menée essentiellement par l’armée et qui aboutit à un « nettoyage ethnique ». En mars 2017, l’ONU parle de « crime contre l’humanité ». Les Rohingyas sont considérés alors comme l’un des peuples les plus persécutés au monde. En août 2018, dans un rapport rendu public, la Mission internationale indépendante de l’ONU pour l’établissement des faits au Myanmar conclut que les généraux à la tête de l’armée du pays doivent répondre des accusations de génocide dans le nord de l’État de Rakhine ainsi que des accusations de crimes contre l’humanité et crimes de guerre dans les États de Rakhine, de Kachin et de Shan[2]. En décembre 2019, à l’assemblée générale des Nations-Unies, 134 pays membres sur 193 votent une résolution qui enjoint le gouvernement du Myanmar « à prendre des mesures urgentes pour lutter contre les incitations à la haine contre les Rohingyas, mais aussi contre les minorités de l’État du Rakhine, du Kachin et de Shan »[3]. En vain. Cette crise conduit la Birmanie à se voir accuser de génocide devant la Cour internationale de justice (CIJ), la plus haute instance judiciaire de l’ONU. En janvier 2020, la CIJ ordonne à la Birmanie de prendre « toutes les mesures en son pouvoir » pour prévenir un éventuel génocide à l’encontre des Rohingyas. Enfin, pas plus tard que le 20 mars 2022, des responsables américains déclarent que les violences commises par les militaires au Myanmar relèvent du génocide et des crimes contre l’humanité[4].
Et voilà qu’au moment où nous parlons des malheureux réfugiés qui affluent d’Ukraine, nous nous devons de parler également des réfugiés Rohingyas.
D’ailleurs, pourquoi les oublier ? « L’image de colonnes de réfugiés européens fait son retour dans une Union européenne qui pensait que ce cauchemar était loin derrière elle. Soudain, des mondes que l’on voulait croire lointains (Syrie, Afghanistan, Soudan, Érythrée, etc.) deviennent ainsi moins abstraits. Il n’y a pas que “chez les autres” que la guerre, civile ou non, mette sur la route des millions de familles. C’est aujourd’hui en Europe même. La situation ukrainienne ne fait que confirmer une vérité que certains ont encore du mal à admettre : les phénomènes migratoires de masse sont consubstantiellement liés à la guerre et à la terreur », prévient avec justesse et raison le sociologue Smaïn Laacher[5].
Et, Smaïn Laacher a parfaitement raison. Les réfugiés sont soumis à de violentes guerres civiles et aux massacres, aux viols, à la sécheresse ou à la faim, les réfugiés qui sont déchirés par la guerre fuient (Yémen, Syrie, Irak, Somalie, Libye, Ukraine…) Là, où le sol se dérobe sous les pieds des réfugiés ; là, où les pauvres mendient pour subsister ou ne mendient plus, parce qu’ils sont déjà morts ; là, où des enfants cassent de petits cailloux, alors qu’ils n’ont que six ans ; là, où l’on tue des gens arbitrairement, là où l’on torture et emprisonne sans jugement ; là, où l’on vend un rein pour de l’argent ; là, où les flots de réfugiés fuient les guerres, les bombardements, la misère. Tout autour de nous, l’onde de choc des conflits, de la misère, des discriminations, des dévastations, est puissante. Mais, elle ne nous atteint pas directement collectivement[6], sauf lorsque nous allumons notre poste de télévision et que subitement, il arrive qu’en dînant, des images atroces nous rappellent que le monde peut-être un ensemble confus, incohérent, désordonné et violent.
Pendant de nombreuses années, nos bonnes consciences endormies n’ont pas prêté le moindre intérêt pour le sort de cette minorité. Finalement, les Rohingyas ont été persécutés dans leur quotidien, chassés, abusés, assassinés, jetés sans que nous levions le petit doigt. Le tour de France peut-être ? Nos préoccupations habituelles ? La coupe du monde ou que sais-je encore ?… nous empêche de penser plus loin que notre nombril, alors que nous ne sommes pas le nombril du monde. Et que des populations entières attendent que notre bonne conscience se réveille enfin.
Marc Knobel est historien, il a publié en 2012, l’Internet de la haine (Berg International, 184 pages). Il publie chez Hermann en 2021, Cyberhaine. Propagande, antisémitisme sur Internet.
[1] https://laregledujeu.org/2017/09/25/32326/a-propos-des-rohingyas-ecoutez-je-vous-en-supplie-la-dame-de-dacca/
[2] https://news.un.org/fr/story/2018/08/1022072
[3] https://fr.euronews.com/2019/12/28/l-onu-condamne-les-violations-des-droits-de-l-homme-contre-les-rohingyas
[4] Les États-Unis accusent l’armée birmane de génocide contre les Rohingyas, Ouest-France, 21 mars 2022.
[5] https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/03/08/smain-laacher-il-n-y-a-pas-que-chez-les-autres-que-la-guerre-met-sur-la-route-des-millions-de-familles_6116569_3232.html
[6] Voir à ce sujet Marc Knobel, L’indifférence à la haine, Berg international éditeurs, Paris, 2015, 175 pages.
Oui, nous entretenons des relations d’État à État avec des autocraties telles que l’État de non-droit saoudien, mais ce dernier riposte à la guerre de civilisation que sous-traite au Yémen le berceau du chî’isme duodécimain.
La répression croissante du peuple ouïghour dans la région autonome du Xinjiang, est loin d’être notre tasse de thé, mais elle se pare des incontournables et non moins détournables atours de la lutte contre le séparatisme, et donc, de la défense de la souveraineté nationale et de l’intégrité territoriale d’un membre permanent du Conseil de sécurité.
Le sponsoring de la barbarie poutinienne est d’une autre nature dans la mesure où il bafoue ce pilier du droit international qu’est le respect de la souveraineté des États. Ce faisant, il ne nous laisse pas d’autre choix que d’instaurer un embargo sur le pétrole et le gaz russe.
La refonte des lignes stratégiques et géostratégiques de l’Union européenne en sera l’inévitable corollaire. Un plan social d’urgence macroéconomique et solidaire le précédera.
L’usage d’armes chimiques ou bactériologiques est une autre ligne rouge. Nous avons éprouvé les conséquences morbides qu’un virus pouvait engendrer sur l’économie et le mode de vie des habitants d’une planète qu’il soumet indistinctement à ses mécanismes de survie mortifères. Covid-19 mit en ébullition une complosphère toujours prête à en découdre avec l’Establishment qui pour elle ne peut être qu’américain. Cette fabrique à psychose aura au moins eu le mérite de nous projeter dans le futur beaucoup plus réaliste que nous réserve un autre Établissement dont le rayon d’exaction n’a rien à envier à personne. L’OTAN en tirera les conclusions qui s’imposent.
Oops, j’ai presque omis de préciser ma pensée tandis que, par « ligne rouge infranchissable », j’entendais « sous peine de confrontation militaire directe ». Alors, évidemment, sauf à s’embarquer dans un processus de casus belli en chaîne avec le club des autocrates dotés qui, s’ils n’ont pas encore chassé les démocraties du Conseil de sécurité, n’en sont pas moins majoritaires à l’Assemblée générale, je m’en tiendrai, si vous m’y autorisez, aux critères fixés par le droit international afin d’établir un seuil de tolérance au mal réaliste pour des États de droit onuso-compatibles.
En même temps, si vous parveniez à ressusciter le concept de la responsabilité de protéger, à savoir que vous le rendiez opérationnel face aux entorses aux droits de l’homme que font jour après jour l’immense majorité des États-membres de l’ONU en opprimant leur propre peuple, je m’inclinerais devant le miracle.
Notre premier commandement c’est, en ces heures limites, l’obligation de réagir à la vitesse de la lumière quand Poutine franchira de nouveau la ligne rouge. En un instant, nous devrons imposer cet impératif à l’empire du Milieu qui, histoire oblige, demeure pour lui un allié de circonstance. Ne détruisons pas nos chances d’unir un maximum de géants contre l’actuelle menace n° 1.
Les républicains espagnols ne se sont pas évaporés avec la victoire de Francisco Franco, — que ses os soient broyés !
Bien que la chape de plomb franquiste eût provisoirement raison de leur fièvre évolutionnaire, le noyau dur des hypostases démocratiques s’était implanté en eux pour de bon, et pour cause : ils en constituaient subconscientiellement le moteur somnolent.
Il est probable que sans l’éblouissante trahison de Juan Carlos, dauphin-vampire du boucher de Guernica, le peuple espagnol aurait continué à ployer sous le joug fasciste quelques décades supplémentaires.
Toujours est-il que le roi moderne de cette Espagne renaissante instaura une monarchie constitutionnelle et satisfit ainsi aux attentes d’une grande majorité de ses propres sujets.
Mais gardons à l’esprit l’assertion réciproque selon laquelle tout grand (d’Espagne) qu’il fût par l’esprit, ce bon roi démocrate n’aurait jamais offert à son pays une protection économique et stratégique au sein de l’Union européenne s’il n’avait pu s’appuyer sur une élite solide, garante du bon fonctionnement du futur État de droit, et prête à prendre aussi vite que possible les rênes d’un authentique gouvernement démocratique.
Merci pour cet appel à la reconnaissance et à la dénonciation du génocide du peuple rohingya. La lointaine Birmanie ne fait pas la une des journaux ces temps-ci, et ceci même sans y voir deux poids et deux mesures dans les droits humains les plus fondamentaux : le droit à la vie, le principe d’autodétermination.
Les préoccupations immédiates à l’invasion criminelle de l’Ukraine relèguent le sort de la minorité rohingya au second plan rendant par ricoche un grand service aux généraux birmans qui s’adonnent aux persécutions et au nettoyage ethnique les plus inhumains.
Pourtant ces deux atrocités ainsi que l’extermination des Ouïghours dans le camps d’internement du Xinjiang sont liés par une même logique de domination génocidaire portée par les commanditaires : le russe Poutine, le chinois Xi Jinping et leurs suppôts.
Les Etats-Unis ne les ont pas oublié ce 21 mars et ont officialisé au Musée de l’Holocauste à Washington la reconnaissance politique du génocide des Rohingyas.
En dépit des sanctions les plus strictes sur la vente des armes, la junte birmane n’a pas eu la moindre difficulté à se procurer les avions de chasse, les missiles, l’artillerie et le transport militaire pour mater la population rohingya.
Russie, Chine et la Serbie figurent en tête comme les principaux pourvoyeurs en armes de l’armée birmane depuis 2018, année où celle-ci a été accusée d’orchestrer le génocide des Rohingyas. Ces trois pays ont continué de vendre des armes aux généraux birmans alors, comme le dit clairement un rapport de l’ONU, ces pays « savaient avec une quasi-certitude » qu’elles seraient utilisées «pour attaquer et tuer des civils».
Une ligne de brisure nette marque à nouveau le XXI siècle, séparant les peuples qui se reconnaissent et se respectent dans les droits de chacun à l’existence et à la paix de ceux qui les méprisent pour asseoir une fois encore la volonté de domination.
Nous savons de part de notre histoire à quoi cela amène, mais nous n’avons encore qu’une vague perception de l’apocalypse qui nous attend.
Nous connaissions la faculté des antidémocrates, à commencer par les breveteurs d’un fourre-tout islamogauchiste qui s’est vendu comme des petits pains, à retourner la démocratie et ses droits contre eux-mêmes chaque fois que l’une et les autres se heurtent à l’impossible fusion de l’intégrisme religieux dans la liberté de culte au sein d’un groupe ethnique minoritaire, par essence vulnérable à divers processus d’oppression dits décoloniaux. Cette science de la manipulation métaculturelle montre aujourd’hui toute l’étendue de ses potentialités lorsqu’elle parvient à neutraliser les garde-fous du Conseil de sécurité, en d’autres termes, le droit international, au nom d’une néogéopolitique des blocs. Notre hébétude lors du passage à l’acte d’un leader de ce que nous nous imaginions être le postnouvel ordre mondial multipolaire, ce beau bébé du nouvel ordre de Daddy Bush, ne doit pas masquer la réalité d’une désorganisation, ou réorganisation multistrate des Nations unies par le sang. De fait, la déferlante de réfugiés qu’engendre la guerre sale en pseudo-Petite Rus’ ne nous détourne pas des catastrophes humanitaires que continuent ou commencent d’engendrer des théâtres pour partie comparables, bien que jaloux de leur propre dynamo gramscienne.
Tandis que les sirènes d’Odessa réveillent Ulysse au large de la Grande Grèce, Poutine hante nos consciences en deuil d’une mondialisation heureuse. Or, ne perdons pas de vue qu’un autre scélérat convoite nos terres de liberté, avec une obsession égale, s’autorégénérant aux sources d’une identique allergie. Se toisant l’un l’autre, le ministar et le microsultan n’ont rien à envier l’un à l’autre pour ce qui concerne leurs ambitions impérialistes et leurs désirs expansionnistes. Nous avons tous à l’esprit, dans un recoin facile d’accès, ou tellement refoulé qu’il nous agite comme des pantins, les sombres exactions encouragées en Birmanie par le vrai chef des Frères musulmans qu’est le président turc, suivies des fausses informations sur un génocide ayant pour but de culpabiliser les pays développés ou, si vous préférez occidentaux, ces terres de mécréance à convertir de toute urgence pour tout leader islamiste qui se respecte, de préférence par les voies insidieuses du droit d’asile pour des populations déplacées, et pour cause : impossible de survivre dans un État de non-droit lorsqu’on appartient à un groupe minoritaire infesté par ladite nébuleuse terroriste.
Aussi Ouïgours et Rohingyas sont-ils en première ligne pour déminer la théorie du Grand Remplacement à laquelle les enchaînent les fascistes des deux blocs. Cette guerre de civilisation, déjà bien engagée, ne nous sera pas nécessairement fatale car, à l’instar des guerres de territoires que recoupe sa déviante nature, cette dernière n’est pas une fatalité. En outre, est-il besoin de le réaffirmer, les otages du djihad démographique sont tout sauf les soldats d’une guerre sainte, dès l’instant qu’ils peuvent jouir d’un bouclier institutionnel protecteur et refondateur de leurs droits universels. Toujours est-il que cette volonté chez Vlad l’Atterrant de russifier l’Europe ou, chez Recep le Réducteur, de l’islamiser, nécessitent de la part des États de droit unis des réponses politique et juridique appropriées, tant à l’échelle nationale qu’internationale, et, d’évidence, une riposte stratégique de grande ampleur pour reprendre la main sur un ordre mondial dont nous ne voudrions pas que ses garants barbares l’instaurent par la terreur.