Autour de moi, personne, ou presque, ne sait qui est Sonia Mossé. Je l’ai croisée au hasard. Les rencontres semblent parfois prédestinées. Elle est morte il y a bientôt quatre-vingts ans. Il y a quelque chose en Sonia qui résiste à l’oubli et qui la rend si vivante. 

Un jour de septembre, au Musée d’Art Moderne de Paris, je vais voir seule une exposition sur l’amitié artistique entre Derain, Balthus et Giacometti. Parmi les tableaux et dessins, plusieurs lettres sont exposées. L’une d’elles attire mon regard. Écrite à l’encre violette, elle est trouée de brûlures de cigarettes. Quelques étoiles de David y sont griffonnées. Je lis la date figurant en en-tête. Le 14 mai 1939. C’est le jour de mon anniversaire et le début de la guerre. Il s’agit d’une lettre d’Antonin Artaud. Elle est adressée à une femme, Sonia Mossé. Il écrit : 

« (…) Tu vivras morte. Tu n’arrêteras plus de trépasser et de descendre. (…) Je vous jette un sort de mort et il agira de toute façon que vous en ayez connaissance ou non. »

Heureusement Sonia ne la lira jamais. À ce moment, Artaud est interné en hôpital psychiatrique et ses médecins interceptent son courrier. Maintenant que je la connais mieux, peut-être aurait-elle trouvé cela intéressant, du moins surréaliste. Quoi qu’il en soit, une prophétie de mort entourée d’étoiles de David mêlée à des brûlures de cigarette en 1939, cela m’a troublée. 

À côté du sort funèbre d’Artaud, je lis un extrait d’une lettre de Sonia Mossé adressée à la femme de Balthus. Elle date de novembre 1942, en pleine guerre. 

« (…) Je m’ennuie de mes amis qui ne sont pas là – ici les gens ne pensent absolument qu’à manger, ne parlent que de se chauffer, etc. – grâce à Picasso j’ai brûlé mon lit en mettant dedans le séchoir électrique pour les cheveux – on ne parle que de ça dans le quartier depuis quelques jours… Je suis en ce moment Chez Lipp – et j’aimerais beaucoup que la porte s’ouvre – et que du rideau vert qui la “voile“ vous surgissiez – très naturellement… (…) »

Qui êtes-vous Sonia Mossé ? Je vous « google ».
Alors sur l’écran de mon iPhone surgit cette photo très célèbre de Man Ray démultipliée sous la forme de plusieurs petits carrés noirs et blancs. Jeune femme blonde, mystérieuse, aux traits fins, Sonia tient Nusch Éluard contre elle. Elle semble la protéger. On ressent une forme de tendresse maternelle ou peut-être amoureuse, la frontière est légère. Il y a chez elle comme chez Nusch cet air mélancolique qui semble savoir. 

Nusch Éluard et Sonia Mossé, photographiées par Man Ray en 1938.
Nusch Éluard et Sonia Mossé, photographiées par Man Ray en 1938.

La photo a fait la couverture de nombreux livres sur Man Ray. Tout le monde connaît cette image. Au moins inconsciemment. 
Google me propose ensuite le site du Mémorial de la Shoah. Sonia Mossé est morte en déportation à Sobibor en mars 1943. Elle allait avoir vingt-sept ans. 

J’entreprends alors la reconstitution des fragments de sa vie. Je commence ma recherche sur Internet. Je lis tout ce que je trouve. Je vois qu’un internaute anonyme a tenté, en vain, de lui créer une page Wikipédia. Irrecevable, pas assez de critères pertinents ni de sources dédiées.

Je tombe ensuite sur le blog d’un certain Mohamed Médiène. Il a écrit un petit article à son sujet. Peut-être en sait-il davantage. Je le contacte. On échange nos numéros de téléphone. Je l’appelle. Mohamed est très suspicieux. Il me demande ce que je compte faire, quel est mon projet. C’est la première fois que je me pose la question. Pourquoi suis-je à ce point captivée par Sonia Mossé ? 

J’explique à Mohamed que je suis réalisatrice mais que je n’ai pas d’intention particulière pour le moment. Je ne peux pas expliquer cette curiosité légèrement obsessionnelle. C’est magnétique. J’évoque le prétexte du devoir de mémoire. 

Sans pour autant m’identifier, j’essaye de comprendre l’attirance. J’ai vécu les années de mes vingt ans dans les mêmes lieux que Sonia. J’ai fréquenté les mêmes terrasses. Je me sentais aussi libre qu’elle.
Ma mère et mon beau-père m’ont collé devant les dix heures de Shoah de Claude Lanzmann à l’âge de douze ans. C’était plus important que faire mes devoirs. Bien que nous soyons de fervents laïcs, j’ai été baptisée à l’église – par mimétisme sûrement.
Très jeune, je me sentais concernée par l’Holocauste comme si cela nous touchait directement. J’ai appris beaucoup plus tard que ma mère était « juive » du côté de son père. Russes, ils ont fui les pogroms et immigré en France. Le nom de famille de ma mère est juif mais les générations précédentes ont rejeté nos origines.
En définitive, cela aurait pu être moi, être vous.

Mohamed vit à Besançon. Il est professeur retraité de littérature, spécialiste du XIXème siècle. Nous allons passer des heures au téléphone à échanger sur Sonia. Est-ce bien elle sur cette photo avec Picasso, sur cette peinture de Balthus ? Quel est son rapport aux femmes ? Était-elle l’amante d’Artaud ? J’échange passionnément avec un parfait inconnu. On l’appelle intimement « Sonia ». 

Mes recherches sur Internet se sont vite avérées limitées et Mohamed, malgré notre curiosité commune, ne m’apprenait rien de nouveau. 

Je prends rendez-vous dans la salle de lecture du Mémorial de la Shoah, dans le Marais. Ce jour-là, en raison de contraintes sanitaires absurdes, l’accès au mur des noms est interdit. Je ne peux pas attendre. Je me cache et je cherche son nom parmi les soixante-seize mille autres déportés de France. Je n’en reviens pas du nombre de noms gravés qui commencent par la lettre M. Des colonnes entières de M. « Sonia Mosse, 1897 ». Ils ont oublié l’accent sur le É de Mossé et sa date de naissance est erronée. Elle est née en 1917, pas en 1897. À son arrivée au camp de Drancy, elle a peut-être donné une fausse date de naissance ou peut-être que l’administrateur du camp en travaillant à la chaîne l’a mal noté. C’est cette fausse date qui a été gravée dans la pierre de Jérusalem. 

Il est écrit un peu partout que Sonia est morte au camp de Majdanek mais c’est une autre erreur. Elle a été arrêtée avec sa demi-sœur Esther Levine, chez elle, au 104 rue du Bac à Paris par la Police française. Elles sont ensuite internées au camp de Drancy, puis Beaune-la-Rolande et Drancy à nouveau. Elles font toutes les deux partie du convoi numéro 53 du 25 mars 1943 qui les conduira à Sobibor. À Sobibor, il n’y a aucune sélection. Elles sont immédiatement gazées à leur arrivée. Dans leur convoi de 1.008 personnes, dont 118 enfants, se trouvent les victimes de la rafle de la rue Sainte-Catherine à Lyon et notamment Simon Badinter, le père de Robert Badinter.

En effectuant des recherches sur le site Geneanet à propos de la généalogie de Sonia, je contacte « l’utilisatrice » qui semble avoir créé son profil. Laurence Meiffret, chercheuse et commissaire d’exposition, fait des recherches depuis dix ans sur les femmes qui ont accompagné la vie d’Antonin Artaud. Sonia en fait bien sûr partie. Nous nous téléphonons. Je me sens un peu futile au contact d’une femme qui a, à son actif, tant d’années de minutieuses recherches. Laurence partage tout ce qu’elle sait, tout ce qu’elle a découvert devrais-je dire. Nous échangeons sur l’idée d’une exposition et nous décidons de travailler ensemble, liguées par notre passion commune pour cette artiste tombée dans l’oubli. Laurence vit dans le Vaucluse, fief de la famille Mossé. 

Sonia Mossé est juive. Son père, Cerf Emmanuel Mossé, avocat à la Cour d’Appel de Paris, est originaire d’Orange dans le Vaucluse. Les Mossé sont une vieille famille juive de France. « Juifs du Pape », ils vivaient dans le Comtat Venaissin et en Avignon depuis le XIIIème siècle. Avec les juifs alsaciens, ils ont formé pendant plusieurs siècles l’une des deux seules communautés juives autorisées à vivre dans ce qui constitue aujourd’hui la France.
La mère de Sonia, Natasha Goldfain, est originaire de Vilnius en Lituanie. Nous savons peu de chose à son propos. Elle immigre en France avec sa première fille, Esther Levine, dont le père, russe, est mort durant la Grande Guerre.

Sonia a toujours été libre et indépendante. Très éclectique, elle vogue entre plusieurs cercles artistiques.
Artiste, dessinatrice et peintre, elle participe à l’Exposition Internationale du Surréalisme en 1938 organisée par André Breton et Paul Éluard aux côtés notamment de Marcel Duchamp, Salvador Dali, Max Ernst, Man Ray. Elle semble être la seule artiste femme au milieu de ce cercle d’hommes. Chaque artiste crée une œuvre originale à partir d’un mannequin de vitrine. Celui de Sonia a beaucoup de succès. Une femme blonde et nue, très élégante, est recouverte d’un morceau de tulle. Un gros scarabée noir est posé sur sa bouche, comme pour l’empêcher de s’exprimer. 

Paul Éluard pose à côté de l’oeuvre de Sonia Mossé. Paris, 1938. Photo : Georg Reisner. Copyright inconnu.
Paul Éluard pose à côté de l’oeuvre de Sonia Mossé. Paris, 1938. Photo : Georg Reisner. Copyright inconnu.

Elle entreprend la décoration d’un cabaret-théâtre, Le Capricorne, tenu par Agnès Capri où se rendront régulièrement Jacques Prévert, Erik Satie et leur cercle d’intellectuels. 

Modèle de Derain, Balthus et Giacometti, elle est aussi régulièrement photographiée par Man Ray, Dora Maar ou encore Otto Wols. 
Elle évolue également dans le milieu du théâtre dans des créations de Jean-Louis Barrault ou aux côtés d’Antonin Artaud. Elle est proche de Paul et Nusch Éluard, Simone de Beauvoir, Jean-Paul Sartre, Simone Signoret, Pablo Picasso, Claude Mauriac, Robert Desnos et bien d’autres. 
Pour gagner sa vie, elle dessine également des bijoux pour Hermès.

Pendant la guerre, Sonia continue à être libre et active. Un peu trop sûrement. Elle ne change pas ses habitudes. Elle ne se fait pas recenser en tant que juive, refuse de porter l’étoile jaune et continue de fréquenter les terrasses du café de Flore, la Coupole ou chez Lipp. Elle n’est pas pratiquante, certains ne savent même pas qu’elle est juive. 

Elle aurait pu aisément tenter de fuir en Suisse grâce à ses nombreux amis résistants mais elle refuse de partir pour rester auprès de ses parents demeurés à Paris. Eux s’en sortiront. 
Sonia aurait été dénoncée mais les archives n’en dévoilent rien. En revanche, il est indiqué que la Police française ne s’attendait pas à trouver Esther, la sœur de Sonia, lors de son arrestation. Deux juives pour le prix d’une. 

C’est terrible d’évoquer la biographie d’une artiste de façon si laconique. Il faut néanmoins l’aborder. Nous commençons à mieux connaître la vie de Sonia Mossé mais nous retrouvons peu de ses œuvres, de ce qu’elle a produit en tant qu’artiste. Il y a quelques dessins, quelques photos de ses œuvres plastiques par Raoul Ubac et Man Ray, deux peintures et bien sûr toutes les œuvres, nombreuses, où elle « pose » pour des artistes célèbres. Nous recherchons le reste, il en existe forcément.

C’est sans doute chez elle que la plupart de ses créations devait se trouver mais, le jour de son arrestation, son appartement a été mis sous scellés et toutes ses affaires personnelles vendues, jetées ou éparpillées comme tous les biens juifs spoliés. 

Aux archives de la Préfecture de police de Paris, j’ai trouvé des documents intéressants. En 1947, le père de Sonia, Emmanuel Mossé, a porté plainte contre X pour collaboration, occupation d’appartement et vols. Plaintes qui ont été enregistrées à la Cour de Justice. Aucune suite judiciaire n’a été donnée à ces deux affaires. 
En 1950, il dépose alors une demande d’attribution du titre de déporté politique pour sa fille au ministère des Anciens Combattants et Victimes de Guerre. Une enquête est ouverte sur les conditions d’arrestation du « non rentré ». C’est de cette façon qu’on nomme au ministère les déportés qui ne sont pas revenus des camps. 

Un rapport est alors établi. Dans le dossier d’archives de la Préfecture de police, on retrouve deux versions du rapport. L’original et l’officiel.
Sur l’original, le brouillon, plusieurs mots sont raturés, je les ai laissés tels quels dans l’extrait ci-dessous. Ces mots barrés disparaissent dans l’officiel, le propre. 

« Les deux sœurs exerçaient, dit-on, la profession d’artiste peintre. Mossé et sa sœur recevaient de nombreuses visites et passaient dans leur entourage pour quelque peu excentriques et romanesques. Elles ne se faisaient pas autrement remarquer et les renseignements recueillis sur elles, aux points de vue politique et national, n’ont rien révélé de défavorable. En ce qui concerne la déportation de Mossé Sonia en 1943, comme celle de sa sœur appréhendée le même jour, tout porte à croire que l’intéressée a été arrêtée sur ordre des Allemands, en raison de son origine israélite ce que son entourage avait toujours ignoré paraît-il. »

Le rapport cite ensuite l’interrogatoire de Madame Georges Baron, concierge de l’immeuble rue du Bac :
« En 1943, à une date que je ne puis vous préciser à présent, deux policiers français m’ont réveillée entre 6 et 7 heures pour s’enquérir de l’étage où était situé l’appartement de Mlle Mossé. Les policiers se sont rendus seuls à l’appartement des deux sœurs avec lesquelles ils sont partis quelque temps après. Ils sont tous revenus au domicile de Mlle Mossé, dans le courant de l’après-midi. En repartant, ma locataire m’a fait ses adieux en disant qu’elle n’était pas prête de revenir. Par la suite, les scellés ont été apposés sur la porte de l’appartement, formalité qui a été suivie peu de jours après du déménagement du mobilier et des affaires des deux femmes. » 

Et il finit ainsi : « Enfin, on révèle, sur la feuille journalière des affaires traitées au Poste de Police, du quartier Saint-thomas d’Aquin (7ème), à la date du 11 février 1943, les renseignements suivants : À 20 heures 15, sur ordre des autorités occupantes ; Service I.V.G, sont gardées à vue au poste pour être envoyées au Dépôt :
1) Mossé, Sonia, née le 27 août 1917 à Paris, célibataire, dessinatrice, demeurant 104 rue du Bac.
2) Levine, Esther, Lydia, née le 5 mai 1906 à Petrograd, célibataire, dessinatrice, demeurant 104 rue du Bac, amenées et consignées au poste par les Inspecteurs du Service des Affaires Juives» 

Sonia et Esther ont bien été arrêtées par la Police Française, par la brigade Permilleux précisément. On peut le lire sur les registres du dépôt et fiches de déportation des camps. En 1943, l’opinion populaire commence à s’indigner des nombreuses rafles qui ont eu lieu les années précédentes. Pour perpétuer la répression raciale, le commissaire Charles Permilleux fait preuve d’acharnement. Responsable des affaires juives, rattaché à la Police Judiciaire, il est chargé d’arrêter les juifs en infraction avec les ordonnances allemandes. Tous les prétextes sont bons. 
Sur la fiche d’internement de Beaune-la-Rolande de Sonia, on peut lire « Motif d’internement : Arrêtée le 11.2.1943 à Paris par la Police Française pour infraction. »

Un jour, je reçois un email d’une archiviste du Mémorial de la Shoah. J’avais échangé avec elle afin de mettre à jour la fiche de déportation de Sonia sur leur site. Elle me dit qu’elle a été contactée par la galerie Ratton-Ladrière située quai Voltaire à Paris. Ils cherchent à en savoir plus sur Sonia Mossé. Elle me demande si elle peut nous mettre en contact puisque je suis « spécialiste » de l’artiste. J’accepte évidemment. 
J’échange avec un jeune homme qui m’annonce avoir retrouvé dans les collections de « la cave » de la galerie un dessin de Sonia. Il est actuellement exposé. Il devait appartenir à Charles Ratton, grand collectionneur et marchant d’art de l’entre-deux-guerres. 

Le galeriste m’invite à venir le voir. Nous nous y rendons, le cœur battant, avec Laurence, la vraie « spécialiste ». Il nous explique que le dessin a été immédiatement acheté et retiré de l’exposition sous la demande des acheteurs. Il descend le chercher. Il s’agit d’un grand dessin, très émouvant, qui ressemble à un autoportrait, de taille A3, à l’encre de chine. Située au centre, une femme ferme les yeux, absorbée par ses rêves. Elle est entourée à sa droite d’un homme très maigre qui ressemble à Antonin Artaud et, à sa gauche, d’une femme plus en retrait qui nous regarde. 
Le galeriste nous chuchote, très fier, que c’est le Centre Pompidou qui en a fait l’acquisition.

Grâce aux écrits, nous arrivons à recréer une petite partie de son histoire. Comment fera-t-on dans cent ans pour chercher les fragments d’une vie sur un Cloud saturé ? Un nuage qui, à mon avis, aura implosé. 

Il y a les lettres qu’elle écrit à Balthus, à Giacometti, à Beauvoir ou à Artaud. Il y a les lettres qui parlent d’elle, qui la citent, quelques témoignages autobiographiques et il y a surtout la dernière lettre. L’ultime fragment.

Laurence entend parler, par un ami en commun, d’un homme qui s’intéresse à Sonia Mossé car il serait en possession « d’une lettre importante ». L’homme et la lettre restent, pendant plusieurs mois, un mystère. Il finit par bien vouloir nous rencontrer. Michel Scognamillo, co-créateur de la Librairie Métamorphoses à Saint-Germain-des-près, est expert en livres et manuscrits. Il est accompagné de l’historien et écrivain Pierre Boudrot. La librairie-galerie publie des livres et organise régulièrement des expositions.

Minuit au cœur, Au cœur de minuit est un mémorial de la littérature en guerre. Un coffret constitué par Paul Éluard qui rassemble des volumes publiés sous l’occupation par les Éditions de Minuit dont il devient le directeur littéraire à l’été 1943. L’ensemble est enrichi de pièces originales inédites. 

Dans ces pièces personnelles se trouve une lettre de Sonia Mossé adressée à Paul Éluard qu’elle écrit depuis le camp de Beaune-la-Rolande. La lettre date du 18 mars 1943, une semaine avant son départ pour le camp d’extermination de Sobibor. 
Il est difficile de décrire l’émotion que l’on ressent en la lisant. Elle est tragique et pleine d’espoir. Sonia donne des cours de dessin aux enfants du camp, elle fait aussi les portraits de quelques internés. Elle partage les vers d’une codétenue poétesse dans l’espoir qu’Éluard les publie. 
Cette lettre nous transporte un instant auprès d’elle, dans une réalité surréaliste, au seuil de l’inconnu du grand départ, de l’enfer concentrationnaire. 

Portrait en noir et blanc de l'artiste Sonia Mossé.
Sonia Mossé (1917-1943) par la photographe Juliette Lasserre (née Juliette Ziegert, en 1907).

Je me trompe peut-être mais je persiste à croire que Sonia serait plus reconnue aujourd’hui si elle avait été un homme. En plus d’être victime de ses origines « raciales », elle a été victime de son genre. Dans le fil de mes recherches, j’ai croisé le chemin de nombreuses autres femmes artistes de cette époque. Tout comme Sonia, elles étaient vite considérées comme simple muse, modèle, ou « femme de ». Je pense par exemple à Nusch Éluard, Jacqueline Lamba, Dora Maar, Lee Miller, Meret Oppenheim, Charlotte Salomon. Si certaines sont plus connues aujourd’hui, elles ont acquis une reconnaissance très tardive. La revue Obliques est le premier ouvrage qui recense en 1977 la production littéraire et plastique des femmes surréalistes.

Sonia est partie trop jeune pour se constituer une carrière artistique conséquente mais son parcours en est d’autant plus fascinant. Nous travaillons avec la librairie Métamorphoses à la conception d’une exposition afin de ranimer sa mémoire, son œuvre. Peut-être avez-vous d’elle un dessin, une lettre, une photo à joindre à l’édifice ?

6 Commentaires

  1. Je m’aperçois que mon commentaire ne paraît pas, il n’était sans doute pas politiquement correct pour votre site, qui évidemment n’admet que la pensée conforme, rien ne doit faire dévier votre trajectoire bien pensante, celle qu’on ose appeler de gauche aujourd’hui (paix aux mânes de Jean Jaurès !) ; vous êtes sans doute « laïcité qui écrase », intersectionnalité, trans et . . . chemise blanche à col ouvert ! Si c’est la conception de la démocratie de Monsieur B.H.L. et de ses « followers », on n’est pas sorti de l’enlisement . . . L’utilisation de l’écriture « inclusive » (!) est-elle obligatoire pour avoir les honneurs de votre site ? Mon e-mail est évidemment à votre disposition pour me faire connaître les raisons qui ont conduit à la non publication de mon commentaire !

  2. Claude Mauriac la cite à quelques reprises dans son Journal. Patrick Modiano l’a évoquée. Je la mentionne par fascination dans l’un de mes livres, « Une Saison sur la Terre », mais n’en sais guère plus.

  3. Cet article est très intéressant, qui permet d’entrevoir un de ces innombrables destins tragiques liés à la Shoa. Mais pourquoi vouloir à tout prix nous asséner la rengaine de « la victime de son genre  » . . . Est-il absolument inconcevable qu’une personne dont on ne connait apparemment que 2 ou 3 œuvres n’ait pas laissé un nom impérissable en tant qu’artiste ? Toutes les femmes ayant produit deux dessins, une photo et un pastel doivent-elles désormais faire l’objet de la thèse d’un historien d’art ? Et quid des milliers d' »artistes hommes » qui sont tombés dans les oubliettes de l’histoire de l’Art ? Ce féminisme à tout crin va finir par être contre-productif : tout n’équivaut pas tout, Sonia Mossé n’est pas Meret Oppenheim (artiste que son « genre » n’a jamais empêchée d’être toujours célèbre)