Lecteur de Levinas et Elie Wiesel, Michaël de Saint-Cheron s’intéresse, depuis son plus jeune âge, à André Malraux. Il a consacré à l’auteur de La condition humaine de nombreux ouvrages tels que Malraux, ministre de la fraternité culturelle, Malraux et les Juifs, Malraux ou la conquête du destin. Il a également dirigé (avec Charles-Louis Foulon et Janine Mossuz-Lavau) un dictionnaire dédié à l’œuvre et la vie de l’écrivain : le Dictionnaire André Malraux. À l’occasion du 50ème anniversaire de l’Appel pour le Bangladesh lancé en 1971, Michaël de Saint-Cheron consacre un livre à ce dernier combat malrucien : Malraux et le Bangladesh (Gallimard).

Félix Le Roy : Ce qui d’emblée m’a intéressé lorsque j’ai pris le livre en main, c’est que sur la quatrième de couverture, il est écrit : « Michaël de Saint-Cheron, qui découvrit, fasciné, Malraux à travers le documentaire télévisé sur son voyage de la reconnaissance (réalisé par Philippe Halphen), diffusé le 6 juillet 1973. » Lorsque j’ai lu cela, je me suis dit : ce n’est pas banal d’être fasciné par Malraux, à seulement 18 ans…

Michaël de Saint-Cheron : Certains ont été fascinés par Sartre, d’autres – peut-être plus politisés que je ne l’étais – par Aragon. Moi, c’était Malraux. J’ai découvert Malraux lorsque j’étais en première. Je m’en souviens bien : un de mes camarades de classe m’avait prêté La Condition humaine, en me disant – je ne sais pas pourquoi – : « Ça devrait t’intéresser. » Je l’ai ouvert, j’en ai lu dix pages et je l’ai refermé. Le dernier jour de classe, je lui ai rendu le livre. Deux semaines plus tard, en feuilletant les pages des programmes télévisés d’un journal, je vois un grand titre : Spécial André Malraux – Bangladesh an 1 : du désespoir à l’espoir, avec une photo de Malraux devant un temple au Népal. Je suis totalement incapable de vous dire pourquoi, mais je me suis dit qu’il fallait que je voie ce film.

D’entrée, j’ai été frappé par la voix de Philippe Halphen, lui-même Juif et résistant, déporté en 1942 à Auschwitz-Birkenau, où il a passé trois ans – ce n’est pas sans importance. C’est lui qui avait fait le tout premier film sur ce camp pour la télévision française lors du vingtième anniversaire de la libération d’Auschwitz, en 1965 – un film dans lequel, à aucun moment, il ne parle du fait que lui-même a été déporté là-bas. Je me souviens toujours de cette phrase de sa présentation de Bangladesh an 1 : « Devant l’indifférence du monde, une seule voix s’élève et cette grande voix solitaire est celle d’André Malraux qui, à 70 ans, n’accepte pas. » J’ai été vraiment saisi par la voix, particulièrement grave, de Philippe Halphen ; on sentait que cela venait des tripes. Ensuite, il y avait ces premiers mots de Malraux sur le tarmac de l’aéroport de Dacca, Malraux qui s’approchait d’un groupe d’enfants et qui disait : « J’embrasse la pauvreté sur un seul visage. Nous ne pouvons pas embrasser tout le monde. J’embrasse le Bangladesh. » Mon frère, qui avait 15 ans, et moi, nous étions devant le poste de télévision, et pour tous les deux cela a vraiment été un coup de foudre, nous étions totalement fascinés – alors qu’à l’époque (nous étions trop jeunes), nous ignorions tout de l’appel que Bernard-Henri Lévy a entendu et qui a été le moment fondateur de sa vie. En gros, nous n’avions jamais entendu parler de Malraux. Je savais seulement qu’il avait écrit La Condition humaine.

Vous êtes donc entré dans l’œuvre de Malraux par le Bangladesh.

Absolument. Et par la télévision.

C’est une entrée assez surprenante dans l’œuvre d’un si grand écrivain français, d’autant plus que vous dites qu’à cette époque-là, à 18 ans, vous n’aviez pas encore de conscience politique. Pourtant, le Bangladesh, c’est une histoire d’engagement, une histoire de combat politique.

L’histoire d’un engagement pour un pays que tout le monde méprisait et ignorait. Comme le dit Malraux, et comme on le sait maintenant, en gros, le monde entier, depuis les États-Unis jusqu’à la Chine, était contre le Bangladesh. Seule l’Inde était partie prenante pour le Bangladesh. Un engagement est donc né à ce moment-là, qui s’est ensuite développé au fur et à mesure que j’ai évolué, jusqu’à ce livre, quarante-huit ans plus tard.

J’ai le profond sentiment, encore qu’il soit difficile d’entrer dans son imaginaire, qu’à ce moment de sa vie, Malraux s’est dit que ce qu’il accomplissait était équivalent à l’appel du 18 juin.

Faisons brièvement un retour sur les événements : que se passait-il à ce moment-là au Bangladesh ? 

En décembre 1970, la ligue Awani, dirigée par le sheikh Mujibur Rahman, que l’on considère comme le père de la nation bengalaise – dès 1948 et la partition indienne entre le Pakistan et l’Inde, alors qu’il n’avait qu’une vingtaine d’années, il réclamait déjà l’indépendance du Bangladesh –, a remporté les élections nationales et locales. Mais le Pakistan a refusé de reconnaître les résultats et le 25 mars 1971, Mujibur Rahman a été arrêté par les forces pakistanaises et emprisonné. Le lendemain, un officier rebelle bengali a proclamé l’indépendance du Bangladesh, au nom de Mujibur Rahjman. Mais l’armée pakistanaise a pris le contrôle de sa province orientale et une guerre civile a débuté, qui a duré neuf mois, jusqu’à la victoire de l’Inde en décembre 1971 – une guerre qui a fait trois millions de morts du côté du Bengale et entraîné l’afflux de près de dix millions de réfugiés bengalis en Inde. Pendant ce temps-là, en France, personne, ou presque, n’a parlé du Bangladesh.

Vous avez rapproché l’appel de Malraux de celui du 18 juin. Or ce qu’on comprend lorsqu’on lit votre livre, c’est que cet appel de Malraux, très peu de gens l’ont entendu.

Très, très peu de gens, en dehors de Mendès-France, l’ont entendu. Il n’y a eu absolument aucun écho ni d’un Sartre, ni d’un Aragon, ni d’aucun intellectuel ou écrivain français en âge de s’intéresser à cela ; pas non plus d’un Glucksmann, par exemple, qui avait une trentaine d’années et était tout de même très engagé à l’époque – et ne parlons même pas de Pompidou, ni des gaullistes. Cela a glissé sur la conscience politique. 

Soudain, en août 1971, un cercle d’amis de Gandhi et de Nehru a décidé d’organiser une conférence internationale et d’y inviter des intellectuels. Mais aucun intellectuel mondialement connu n’a répondu à l’appel. En France, seuls Mendès France et Malraux ont répondu.

Ensuite, il y a l’ambiguïté de l’engagement de Malraux qui, dans sa lettre à l’ambassadeur de l’Inde à Paris, semble d’abord se défausser, mais immédiatement après prend tout sur lui : il commence par dire que ce qu’il faut, ce sont des hommes qui soient prêts non pas à faire des conférences, mais à s’engager militairement pour ce peuple, et que les intellectuels ne savent que passer leur temps à parler – ce qui, en substance, veut dire : « Ce n’est pas pour moi. » Mais juste après, il dit qu’il est l’un des rares intellectuels à avoir une connaissance du métier des armes et à s’être engagé militairement. Il y a donc ce double message : « Ne comptez pas sur moi » ; et en même temps : « Vous pouvez compter sur moi. »

Bernard-Henri Lévy, le Bangladesh et Indira Ghandi

À ce moment-là, ce sont donc en quelque sorte deux définitions de ce qu’est un intellectuel qui se sont entrechoquées. Et comme vous le rappelez, très peu d’intellectuels se sont engagés. Mais un jeune homme, un normalien, a entendu l’appel de Malraux : ce jeune homme, c’est Bernard-Henri Lévy.

Oui, Bernard-Henri Lévy, qui venait de décrocher l’agrégation, a répondu à l’appel Malraux en lui faisant passer une lettre par l’intermédiaire de Paul Nothomb. Un autre intellectuel s’est intéressé à cet appel, parce qu’il avait déjà été en contact avec Malraux : c’est Régis Debray – mais cependant pas au point de s’engager. Ces deux intellectuels sont les seuls, parmi les jeunes hommes de leur génération, à avoir eu la curiosité de s’intéresser à cet engagement de Malraux – et chez Bernard-Henri Lévy, c’est évidemment beaucoup plus que de la curiosité, puisqu’il a répondu à l’appel de Malraux.

En effet, ayant entendu cet appel, et après avoir rencontré Malraux, Bernard-Henri Lévy est parti au Bangladesh – et cela a été le premier combat de sa vie, la première confrontation avec le terrain d’une guerre.

La confrontation avec la guerre, oui, et aussi avec la misère, avec un État en train de se construire à partir de rien, puisque Bernard-Henri Lévy a connu le Bangladesh que l’on voit dans le film de Philippe Halphen, un Bangladesh où le peu de ce que les Pakistanais avaient fait a été à moitié détruit par plus de dix mois de guerre. Bernard-Henri Lévy est donc arrivé dans un pays totalement exsangue, où régnait une misère absolument abominable, et il a vraiment assisté au surgissement d’un peuple dont la plupart des intellectuels, des professeurs, des universitaires, des étudiants, des cadres du pays et des militaires haut gradés figuraient au nombre des victimes : en dehors de ceux qui étaient en exil, ils avaient quasiment tous été exterminés.

Dans un des premiers chapitres du livre, « Les femmes s’engagent », on apprend qu’en juin 1972, Bernard-Henri Lévy a rencontré Indira Gandhi. À quel titre a-t-il été reçu par la Première ministre de l’Inde ? Pouvez-vous nous en dire davantage sur cette rencontre, mais aussi sur cet engagement des femmes et sur le rôle d’Indira Gandhi dans ces événements ?

Bernard-Henri Lévy est donc parti en octobre 1971 pour Dacca – avec l’aide d’un réseau, en passant par Calcutta, me semble-t-il. Il a passé près de six mois au Bangladesh, au service de plusieurs ministères, et je crois même qu’à ce moment-là il a rencontré Mujibur Rahman. C’est après ce séjour qu’il a rencontré Indira Gandhi, comme il me l’a dit au téléphone il y a deux mois, après avoir lu intégralement mon livre (il a été la deuxième personne à le lire). Il m’a raconté qu’à l’époque, il avait un ami indien haut placé qui connaissait Indira Gandhi et qui lui a obtenu ce rendez-vous avec elle. « Indira Gandhi, a-t-il ajouté, devait être curieuse de rencontrer un jeune homme qui avait passé quatre ou cinq mois au Bangladesh, et c’est à ce titre qu’elle a voulu me rencontrer. » C’est tout de même assez stupéfiant d’imaginer ce jeune homme de 24 ans dans le bureau de la Première ministre indienne, ce jeune philosophe français qui avait entendu l’appel de Malraux et avait fait l’expérience unique de passer cinq mois au Bangladesh !

L’héritage de Malraux

Je pense à cette fameuse vidéo de Malraux avec Indira Gandhi, lorsqu’il dit : « Madame Gandhi prend entre ses mains neuf millions de malheureux agonisants. […] La femme qui est ici a pris dans ses mains la misère humaine. » Le Bangladesh, à ce moment-là, était en proie à une guerre atroce et à une misère terrible. Si l’on regarde autour de nous aujourd’hui, la misère, à travers le monde, n’a pas disparu – mais Malraux n’est plus là. Est-ce que pour vous, dans le paysage intellectuel et politique français actuel, l’héritage de la pensée de Malraux et de son engagement pour l’autre résonne encore ?

Mon premier réflexe serait de dire non. Il existe évidemment quelques exceptions, parmi lesquelles, encore une fois, Bernard-Henri Lévy ; mais tous ceux qui se sont engagés il y a trente ou quarante ans sont maintenant vieux, à la retraite ou morts. Parmi les jeunes générations, il y a certes ceux qui s’engagent aujourd’hui pour la planète Terre, telle Greta Thunberg. Sur le plan international, certains intellectuels s’engagent énormément, comme l’Indienne Arundhati Roy, qui publie des livres extrêmement polémiques et assez violents contre Modi et la politique indienne. Mais en France, des personnalités qui s’engagent pour des causes politiques, il y en a assez peu, beaucoup trop peu, parmi la classe pensante. Donc l’héritage de Malraux, à mon avis, a hélas quelque peu disparu. Il faut dire, à leur décharge, qu’il y a énormément de problèmes internes à la France – et à l’Europe –, avec un néofascisme à la française, l’antisémitisme, la question des migrants… Parfois, tout de même, dans quelques cas précis, on entend des voix françaises prendre position, par exemple pour les Ouigours, pour Peng Shuai, la tenniswoman chinoise, ou encore pour Nasrin Sotoudeh, cette grande avocate iranienne emprisonnée – donc (c’est intéressant quand on y pense) plutôt pour une personne qui est menacée de mort dans son pays, que pour un peuple entier. Peut-être que la France n’est plus en état, et l’Europe encore moins, de s’engager, et qu’il n’y a plus d’intellectuels, ou si peu.

Un engagement universel et mondial

Si je vous pose cette question, c’est parce que nombreux sont ceux dans l’esprit desquels, aujourd’hui encore, André Malraux est lié au général de Gaulle et à la période gaulliste en France. Or, cela ne vous aura pas échappé, on met actuellement le général de Gaulle à toutes les sauces ; et pour beaucoup, il devient synonyme d’un souci exclusivement français. Eh bien justement, ce qu’on pourrait opposer à cela, c’est l’engagement malrucien, jusqu’au Bangladesh.

De Gaulle était le chef de la France libre, il était obsédé par la France. Mais Malraux, en dehors de la période de la guerre, et bien qu’il ait été pendant dix ans ministre sous la présidence du général de Gaulle, avait une vision plus universelle, une vision très « mondiale » de l’engagement de la parole de la France et de l’engagement de l’intellectuel français ; il était moins focalisé sur la centralité de la France. Alors y a-t-il encore des intellectuels comme cela aujourd’hui ? Je ne sais pas. Il y a tellement de problèmes, et des problèmes d’une telle immensité, dans le monde actuel, qu’ils sont peut-être plus difficiles à sérier. Rien ne va plus nulle part… Peut-être qu’à l’époque de Malraux, il y en avait autant, mais – c’est ce que je montre dans le livre – on est tout de même venu le chercher pour une raison précise. 

« La France n’est jamais plus grande que lorsqu’elle l’est pour tous les hommes. »

Absolument.

Ce livre – je ne sais pas si c’est voulu – arrive à un moment du débat politique et intellectuel français où la France est très fermée sur elle-même. On imagine mal un Malraux agir aujourd’hui comme il l’a fait dans les années 1970. À cet égard, votre livre est un peu un antidote à l’accaparement de la figure du général de Gaulle, car il fait une sorte de mise au point sur une nébuleuse gaulliste qui ne serait pas franchouillarde.

Tout sauf franchouillarde, en effet. Parce que « franchouillard », cela évoque pour moi l’idée de pantoufles. Et comme Malraux disait toujours : « Il n’y a pas de Charles, il n’y a pas de général de Gaulle en pantoufles. » Il n’y a donc pas non plus de Malraux en pantoufles. La France de Malraux et du général de Gaulle était tout sauf franchouillarde, elle était ouverte au monde. Malraux était complètement de plain-pied dans cet appel du monde. Il est vrai, cependant, qu’on lui a reproché de ne pas s’être intéressé au Biafra et de n’avoir pas vraiment parlé au moment de l’Algérie française, alors qu’il était ministre du général de Gaulle. Il n’est donc pas du tout intervenu à d’autres moments où il aurait pu intervenir. Pensez par exemple au moment de l’invasion du Tibet par l’armée chinoise : très peu de Français en ont parlé ouvertement, et Malraux pas plus que les autres. Cette histoire du Bangladesh est donc quand même très spécifique – Malraux l’a d’ailleurs dit lui-même à Régis Debray : « On m’a demandé d’élire ce peuple, et je l’ai élu. »

Le travail de toute une vie sur l’œuvre de Malraux

Votre livre s’inscrit dans un long travail sur Malraux – le travail de toute votre vie. Je pense notamment au Dictionnaire Malraux : qu’est-ce que cela représente, pour vous, d’avoir créé et dirigé un dictionnaire sur un auteur, sur une œuvre ? 

Il est fascinant de construire un dictionnaire, de générer, d’inventer. C’est approfondir, en retraçant son évolution sur trente, quarante, cinquante ans, des pans de la connaissance d’un homme ou d’une femme, parmi lesquels certains, dans l’ensemble de la fresque que constitue sa vie, sont moins connus du grand public. Et ce qui me semble extrêmement important, c’est qu’avec un tel dictionnaire, on peut aussi toucher la jeune génération, en lui disant : « Voyez en quoi Malraux – ou Sartre, ou un autre intellectuel – peut répondre aux questions que vous, qui avez 20 ans aujourd’hui, vous vous posez. » Il y a deux jours, j’ai parlé à une classe de première, et je leur ai dit que ce livre et toute mon histoire montrent comment et combien la littérature, un écrivain ou une écrivaine, un livre, un appel, peuvent changer la vie d’un garçon de 18 ans. Un dictionnaire permet aussi de créer des ponts. Ainsi, dans le Dictionnaire Malraux, j’ai une entrée intitulée « Emmanuel Levinas » : qui, parmi les malruciens, a eu l’idée d’un rapport possible entre Levinas et Malraux ? Il n’y en a pas beaucoup.

Et ce livre, Malraux et le Bangladesh, d’une certaine manière, prolonge tout ce travail-là.

Tout à fait. Car il faut non seulement apporter une réflexion sur les grandes idées et les grandes œuvres que tout le monde connaît ou croit connaître – comme nous l’avons fait dans le Dictionnaire –, mais aussi, et peut-être surtout, approfondir, comme j’ai pu le faire dans ce dernier livre, des pans entiers d’une œuvre qui sont totalement ignorés du grand public, et même du public de connaisseurs universitaires. Julien Hervier, le grand spécialiste de Jünger et de Drieu La Rochelle – il vient d’ailleurs de publier une nouvelle édition de L’Homme à cheval, le tout dernier roman de Drieu La Rochelle –, qui n’est pas le dernier des imbéciles ou des ignorants, m’a dit que bien qu’il ait lu tout ce qui s’est écrit sur Malraux, il a énormément appris en lisant mon livre, car il ignorait totalement – ou il avait oublié – les soubassements de cet engagement de Malraux pour le Bangladesh. Cela prouve que même des universitaires patentés qui ont aujourd’hui dans les 80 ans, qui étaient donc beaucoup plus âgés que moi au moment de l’appel et qui ont entendu tout cela, n’ont finalement rien su du fond de l’histoire de Malraux et du Bangladesh. 

Les fonds André Malraux

Ce livre, Malraux et le Bangladesh, comprend beaucoup de reproductions, de textes manuscrits, beaucoup d’annexes et de documents inédits. Comment disposez-vous de tout ce fonds d’archives sur Malraux ?

Il est vrai que nous avons eu la chance, mon frère et moi – car nous sommes indissociablement liés dans cette aventure Malraux, une aventure de toute une vie, pour lui comme pour moi – : du vivant de Malraux, nous avons entretenu une amitié très privilégiée avec sa compagne, Sophie de Vilmorin, qui était la nièce de Louise de Vilmorin.

C’est d’ailleurs à Sophie de Vilmorin qu’est dédié le livre.

Et également à sa fille. Donc du vivant de Malraux déjà, Sophie de Vilmorin nous faisait des cadeaux ; et après sa mort, elle nous a légué un certain nombre de choses. Malraux était extrêmement généreux. Il avait des chemises entières sur lesquelles il était inscrit « bon pour cadeau ». Ce n’était pas destiné à Doucet, ni à la BnF, ni aux héritiers, c’était « bon pour cadeau ». À la mort de Malraux, Sophie de Vilmorin a conservé ces chemises préparées par Malraux de son vivant « pour cadeau ». Et un jour, elle nous a dit, à mon frère François et à moi-même : « Prenez ce que vous voulez ! » Ensuite, tout a été distribué comme prévu, à la bibliothèque Doucet, à Florence Malraux… Mais comme toujours, inévitablement, il reste des fonds de tiroir… Et à la mort de Sophie de Vilmorin, il y a sept ou huit ans, ses filles, et en particulier sa fille Claire, ont récupéré tout ce que leur mère avait conservé de Malraux. Après la vente des grands tableaux, il restait quelques petites choses, quelques chemises – il faut dire qu’à l’époque, les écrivains écrivaient encore ; aujourd’hui ils écrivent pour la plupart à l’ordinateur. Et lorsque Claire a vu une chemise sur laquelle il était marqué « Bangladesh », elle a immédiatement pensé à moi, en se souvenant que tout avait commencé avec le Bangladesh, et elle m’a dit : « C’est pour toi et pour François – car qui d’autre que vous pourrait être intéressé ? » C’est donc ainsi que j’ai découvert des choses absolument inestimables – pas du point de vue de leur valeur marchande, mais sur le plan intellectuel –, des choses qui prouvent, comme Bernard-Henri Lévy l’a toujours cru, que Malraux était vraiment prêt à partir, prêt à participer au combat pour la libération du Bangladesh – cela, c’est certain. Et sans la preuve apportée par ces manuscrits-là, qui sont restés à l’état de manuscrits pendant cinquante ans, personne ne l’aurait su. Cette trouvaille et ce cadeau qui m’a été fait n’ont pas de prix. Alors, au moment du premier confinement, je me suis dit qu’il fallait que je mette mon temps à profit pour faire quelque chose d’utile – et je me suis aussitôt attelé à ce livre. 

Un Centre international André Malraux

Et après ce livre sur Malraux et le Bangladesh, qui vient de paraître, avez-vous d’autres projets liés à Malraux ?

Oui. Je viens de créer une association – qui pour l’instant est un peu sur les fonts baptismaux, qui a un peu de mal à naître, parce qu’il n’y a pas suffisamment de bras qui m’entourent –, dans la perspective du cinquantenaire de la mort de Malraux, et bientôt celui de l’appel du Bangladesh, puis, en 2022, les soixante ans de la loi sur les monuments historiques, et en 2023 les cinquante ans de la première tentative du Musée imaginaire à la Fondation Maeght. C’est en vue de tous ces anniversaires, ces cinquantenaires, ce soixantenaire, que j’ai créé cette association, qui s’appelle le Centre international de recherche André Malraux. J’ai 67 ans, je suis encore en pleine forme, alors je me dis que dans les dix années à venir, je veux absolument faire tout ce que je n’ai pas encore pu faire. Mais je ne peux pas faire cela tout seul. C’est pourquoi j’essaie de convaincre et de convertir à Malraux des gens qui sont déjà installés, mais aussi des jeunes : je vais dans des écoles et je voudrais toucher un certain nombre de professeurs de collège, de lycée, d’université, susceptibles de parler à des élèves de 17/18 ans de ce que Malraux peut représenter aujourd’hui encore comme valeurs morales et comme valeurs d’engagement. Je chevauche cette idée, un peu comme Don Quichotte. J’espère que je vais réussir.

2 Commentaires

  1. A lire cette présentation , il me semble que l’essentiel concerne: « L’ENGAGEMENT ». Chacun, sans doute, s’engage sur les thèmes qui lui sont familiers et sur ceux sur lesquels il pourrait intervenir. Cela, en effet, suppose un choix. Lequel peut déplaire…Il doit être possible de l’assumer sans se sentir coupable! Tant pis pour ceux à qui ces choix peuvent ne pas convenir. A. Malraux, comme d’autres, choisit selon ses capacités intellectuelles, émotionnelles, ou idéologiques, selon. Est-ce vraiment inaudible?

  2. Vous restez bien discret sur l’indifférence de Malraux pendant la Guerre.
    Sur ses liens plus qu’intimes avec Drieu…
    Non, Malraux, contrairement à bien d’autres, ne s’est alors pas engagé
    Bien au contraire…