Ce 14 octobre 2021, Éric Zemmour est l’invité de Pascal Praud dans « l’heure des pros », sur CNews. Avec la délicatesse qu’on lui connaît, le polémiste entend réagir à la retentissante tribune de Bernard-Henri Lévy, publiée dans Le Point, le 12 octobre 2021. Cette tribune est intitulée « Ce que Zemmour fait au nom juif ». Dans cet article, le philosophe énumère le danger, liste ce qui est effroyable, ce qui ne cesse d’inquiéter, de diviser.
Pourquoi fait-il cela ? Parce que ce faiseur d’apocalypse – comme j’appelle Éric Zemmour – inquiète durablement. Il sidère aussi, lorsqu’il tente de réhabiliter le Panthéon de l’extrême-droite, les Maurice Barrès, Charles Maurras, Philippe Pétain…
Ceux-là mêmes qui pourtant se sont levés en leur temps contre les Juifs et la « race juive instigatrice, complice et bénéficiaire des trahisons, comme celle du Juif Alfred Dreyfus »[1].
Ceux-là mêmes qui ont pu écrire, par exemple, que « l’Affaire Dreyfus sera toujours une affaire juive ; elle a commencé par une trahison, elle se continue par une escroquerie. Espérons qu’elle se terminera à la Française, par la pendaison des ministres vendus qui, de complicité avec les juifs, se préparent à livrer nos secrets à l’ennemi »[2].
Petit rappel, en passant. N’est-ce pas Zemmour qui déclare à propos des expertises mensongères qui ont conduit à la mise en accusation d’Alfred Dreyfus qu’« on ne saura jamais » ? N’est-ce pas Zemmour qui déclare à propos de l’innocence de Dreyfus, que « ce n’est pas évident » ? Et, « qu’en tout état de cause Alfred Dreyfus n’était pas attaqué ‘tellement en tant que juif’, mais en tant ‘qu’Allemand’ » ?[3]
Que dit donc Bernard-Henri Lévy dans Le Point ?
« J’observe sa rage à embrasser la rhétorique barrésienne et maurrassienne la plus criminelle comme s’il voulait arracher les yeux de la synagogue sur le fronton martyrisé de Notre-Dame. » Et d’ajouter, « je regarde sa façon de s’engager dans la zone marécageuse, fangeuse, du fascisme français et, tantôt d’y barboter comme un poisson dans l’eau, tantôt d’y caracoler comme un Bonaparte de carnaval au pont d’Arcole. Et il y a, dans cette transgression, quelque chose qui glace les sangs. »
La réponse ne se fait pas attendre. Et, comme à son habitude, j’ai entendu de la bouche d’Éric Zemmour, les mots terribles et glacés, l’écume revancharde, les intonations agressives, toute la violence et la rage qui s’y dégagent et cette mise en accusation permanente de l’étranger, de l’immigré, des réfugiés, d’enfants d’immigrés. Sur le mode habituel de la fameuse rengaine/baliverne et de la commercialisation du slogan défaitiste de « la France qui est en danger de mort ».
Mais, je ne m’attendais pas à entendre SURTOUT ces phrases assassines, assénées avec une froideur implacable et dans une agitation incroyable. « Et je vais vous dire ce qu’il est Bernard-Henri Lévy. C’est très simple, depuis 40 ans qu’il a écrit l’idéologie française, il est un traître. Il est la figure absolue du traître. Il est la personne qui dénonce et qui culpabilise les français depuis 40 ans. Qui les fascise. Depuis 40 ans. » Et d’ajouter : « Son engagement c’est toujours contre la France. Son internationalisme est toujours anti-Français (…) Non seulement, c’est un traitre qui est contre la France mais aussi c’est le plus grand fabricant d’antisémitisme qui soit au monde. Je persiste et signe. », conclut le polémiste.
Il fallait donc forcément un « traître » à Éric Zemmour ? Il fallait donc qu’il trouve en la figure de Bernard-Henri Lévy, la figure emblématique de celui que l’on pourrait ainsi fusiller comme on fusillait auparavant les traîtres, parce qu’ils mettaient en péril le sort de la patrie ?
Éric Zemmour qui ne sait plus quoi inventer pour diviser ce pays, frise avec et/ou manie l’insulte, perd les nerfs et tous ses moyens. Déjà, ce lundi 28 septembre 2021, Éric Zemmour s’est énervé sur le plateau de LCI, traitant sa consœur Ruth Elkrief de… « folle ». Le voici qui récidive donc. Mais, les accusations qui ont été portées contre Bernard-Henri Lévy sont d’une extrême gravité.
On trouve en France trop peu d’hommes pour rappeler la fraternité, s’engager dans le monde contre l’injustice et l’oppression, défendre une idée de la liberté et de la grandeur de la France. On trouve trop peu d’intellectuels – somme toute – pour animer avec passion et raison, l’idée de justice et la fraternité entre les hommes. Les combats de Bernard-Henri Lévy sont mémorables et honorables. Je prétends que Bernard-Henri Lévy est l’honneur de la France.
A l’inverse, Éric Zemmour est recroquevillé sur lui-même. Il défend l’idée d’une France recroquevillée sur elle-même, peureuse et pleureuse, enfermée derrière le fantasme d’une hypothétique et funeste ligne Maginot de pacotille. Comment cette France-là pourrait-elle parler au monde ? Comment cette France-là pourrait-elle illuminer le monde ? Comment cette France-là pourrait-elle briller de ses voûtes célestes ? Je prétends qu’Éric Zemmour est la honte de la France.
Mais, il est surtout et avant tout, la revanche de Charles Maurras.
[1] Léon Daudet dans L’Action française, 11 mars 1913.
[2] Edouard Drumont cité par Jacques Kayser, L’Affaire Dreyfus, NRF Gallimard, 1946.
[3] « Face à l’info », sur CNews, le 15 octobre 2020, cité par Gaston Crémieux, « Éric Zemmour, glaive et bouclier de l’extrême droite », Le DDV, 15 octobre 2021.
On a tendance à expliquer l’abstentionnisme par l’absence de foi dans l’action politique. On déserterait les bureaux de vote comme on passerait devant un objet de dédain sans même lui accorder un regard, le degré de mépris pouvant osciller entre indifférence insigne et répugnance insane. Mais il existe d’autres causes qui puissent expliquer que l’on ne s’approche pas d’une urne électorale. En général, on garde ses distances avec ce vis-à-vis de quoi la relation de confiance soit n’a jamais été nouée, soit fut rustrement rompue. Que l’on nous force à nous en approcher, et l’on se débattra, et l’on ne lâchera rien, et l’on redoublera de ruse jusqu’à ce qu’on réussisse à se dérober aux simagrées des prédateurs qui nous enjoignent, toutes griffes rentrées, à pénétrer dans notre nasse à rats.
La France a peur. Mais de qui se défie-t-elle avec raison, aujourd’hui comme hier, sinon d’elle-même ? La France redoute son manque d’agilité physique, psychique, psychophysique, physiopsychique, dans un contexte géopolitique où l’ici et l’ailleurs suivent, à Cosmopolis, les inflexions projectivistes d’un délire paranoïaque. S’il est impératif que la confiance en Soi soit rétablie entre les citoyens et leur représentation, cela ne peut pas se limiter à une question d’image.
En l’espèce, la démocratie représentative aurait tort de contrefaire les mécanismes d’une démocratie réelle dont elle a pour fonction de compenser les défaillances internes et de prévenir les écueils programmés. En vue de cela, la figure de l’homme providentiel, quand bien même l’aiderait-elle à retrouver son chemin dans son histoire labyrinthique, ne suffirait pas à une civilisation qui ne se voile plus la face quant à sa mortalité, ou à son peuple épris de vaillante panique. Celle du collège de spécialistes nous aura elle aussi montré ses limites à l’occasion d’un carambolage de crises mondiales dont nos secouristes n’ont pas fini de s’extraire avec nous.
Le temps est donc venu de rompre avec les mauvaises certitudes, celles qui obstruent la conscience d’une communauté d’individualités que lient entre elles des destinées qui les précèdent tout en les devançant. Et face à la persistance de solutions ayant x fois démontré qu’elles n’en étaient pas, d’essayer autre chose. Ceci n’est pas une prime au n’importe quoi, mais à la libération des échappées prometteuses. En mémoire de toutes les directions qui auraient pu nous épargner un désastre avéré. De toutes les uchronies sublimes. De tout univers avorté qui eût représenté une dystopie pour les tyrans qui peuplent nos antiquités passées et à venir.
On juge le degré de civilisation d’un pays à sa capacité d’infuser jusque dans les marges de la société. C’est dans ce puits de pulsions insondables que Foucault nous conseille de méditer sur chacun des actes qui auraient pu nous perdre si nous les avions commis à l’encontre d’autrui ou si quiconque les avait perpétré à notre encontre. Oui, c’est ici que convergent les maux immémoriaux de notre transcivilisation, laquelle, afin d’honorer sa promesse humaniste à l’égard de tous ceux qui en ont fait leur Eldorado, doit veiller à rester un modèle pour elle-même. Sous la tente d’un vagabond avec ou sans papiers. Dans ses centres de détention et de rétention. Dans l’appartement du nourrisson ou du vieillard des CSP moins au détriment desquels un soutien de famille devra bientôt baisser la température du radiateur sous peine de voir son conseiller bancaire dénoncer pour Noël sa dernière carte.
Hélas, la recette Zemmourienne est simple et efficace, d’où son écoeurant succès : il dit » vous êtes peureux, haineux, envieux ; avec moi n’ayez plus honte. »
C’était déjà (presque en moins vulgaire !!!) celle de Lepen père. Et bien sûr « Le Juif » est la cible idéale pour le public sensible à ces propos.
Je souscris à votre analyse.