L’on ignore, à l’heure où s’imprime cette chronique, mardi 18 août, comment tournera l’affrontement, en Biélorussie, entre opposants et partisans d’Alexandre Loukachenko.
Mais une chose, d’ores et déjà, est claire.
La révolte de Minsk est la dernière réplique, trente ans après, du tremblement de terre que fut la chute du mur de Berlin.
Ce qui s’y passe est, de ce fait, à la fois très émouvant (le printemps tardif d’un peuple oublié par les révolutions antitotalitaires du XXe siècle), historique (l’une des dernières dictatures d’Europe qui se rappelle à notre souvenir et dont les jours, quoi qu’il advienne, sont désormais comptés) et terriblement familier (un président fantoche tentant de rejouer le scénario connu, et potentiellement tragique, de l’appel au grand frère russe).
Que dire, dès lors, à ces centaines de milliers de femmes et d’hommes soudés dans leur demande de liberté et s’opposant, frontalement mais calmement, aux blindés, aux forces spéciales antiémeutes et aux policiers dissimulés entre les maisons et dans les bouches de métro ? Bravo. Merci. Cette liberté dont nous perdons le goût dans nos démocraties confinées, vous en êtes la conscience, les hérauts et les dignes représentants.
Comment encourager ces Églises, ces syndicats, ces fonctionnaires et diplomates passés du côté des émeutiers ? comment épauler ces officiers filmés en train d’arracher leurs insignes et galons ou ces scrutateurs des élections du 9 août commençant d’avouer que le résultat a été truqué ? bref, comment conforter ce peuple uni dans son refus de la tyrannie et prenant tous les risques pour briser le dernier pan de mur soviétique encore debout aux marges de l’Europe ? En tendant fraternellement la main à la façon dont nous le fîmes, au début des années 1980, avec les ouvriers polonais des chantiers navals de Gdansk. En renouant avec l’esprit d’un temps qui fit que je pouvais, il y a quarante ans, presque jour pour jour, écrire, dans Le Matin de Paris, un Bloc-notes intitulé « Nous sommes tous des catholiques polonais » qui faisait écho aux protestations de Michel Foucault, Jacques Derrida, André Glucksmann, Jacques Julliard, d’autres : certains sont encore là ! leurs voix ne portent pas moins loin que jadis ! et les ponts que nous jetions alors seraient, à l’âge des réseaux sociaux, plus solides et utiles encore !
Et puis quelle est la responsabilité, enfin, de l’Europe institutionnelle envers ces aventuriers de la liberté qui ressuscitent le « N’ayez pas peur » lancé, en ce temps-là, par le chef de l’Église catholique, apostolique, romaine et polonaise mais dont l’aventure pourrait bien, cette fois-ci, selon l’évaluation que fera le Kremlin du rapport de force international, finir dans la terreur et le sang ? L’Europe doit comprendre qu’elle est seule, réduite à ses forces propres et privée du soutien d’une Amérique républicaine qui a rompu avec l’héritage antitotalitaire du président Reagan. Elle doit prendre la mesure du terrifiant glissement de terrain qui fait que l’on est passé, chez elle aussi, de l’esprit de Jan Patocka et Bronislaw Geremek à celui de Matteo Salvini, Viktor Orban, Jaroslaw Kaczynski et les artisans du Brexit. Et elle doit savoir que c’est à elle, pourtant, qu’il appartient de venir en renfort de l’événement et de faire qu’il vire à la révolution de velours façon Vaclav Havel plutôt qu’à un printemps de sang où, comme à Prague, en 1968, il reviendrait aux chars de Poutine de restaurer un ordre postsoviétique.
La Biélorussie est aussi la seconde patrie de Svetlana Aleksievitch, Prix Nobel de littérature 2015 et autrice, en particulier, de la magnifique Supplication.
C’est celle du jeune Chagall qui y devint, il y a un siècle, un éphémère mais ardent commissaire aux Beaux-Arts. C’est le pays de Vitebsk, sa ville, qui, par un de ces miracles d’écologie spirituelle dont la région est coutumière, connut un destin assez semblable à celui de Lviv, la ville d’Ukraine occidentale où deux juristes conçurent, au même moment, quoique sans se concerter, les concepts jumeaux de « génocide » et de « crime contre l’humanité » : c’est là que travaillèrent Chagall donc, mais aussi El Lissitzky, Kasimir Malevitch, l’architecte Lazar Khidekel – c’est là, dans cette bourgade « enfumée et triste » où Eisenstein observera, en 1920, que les murs de briques rouges étaient recouverts de cercles verts, de carrés orange et de rectangles bleus, que s’inventa tout un pan, et non le moindre, de l’art contemporain.
C’est, comme le reste de la Galicie, l’une de ces « terres de sang » où les vivants sont, depuis soixante-dix ans, cernés par les fantômes, c’est-à-dire par la mémoire des centaines de milliers de juifs (ils étaient une majorité à Vitebsk…) exterminés et restés sans sépulture.
Ajoutez à cela le courage de Svetlana Tikhanovskaïa annonçant, depuis la Lituanie où elle a été contrainte de s’exiler, qu’elle est prête à gouverner.
Celui de ces millions de manifestants dont les drapeaux, les ballons multicolores et les chaînes humaines défient, contre toute raison, les chars.
Ajoutez, face à eux, les provocations ubuesques d’un dictateur qui, voyant que l’opposition à sa personne est incarnée par une femme, explique que la Constitution a été écrite « pour des hommes » et qu’il n’y a rien d’autre à faire avec ceux qui ne l’entendent pas que de « leur remettre la tête à l’endroit ».
Comme en Géorgie en 2008, comme en Ukraine en 2014, c’est l’âme de l’Europe qui vit en Biélorussie.
La Russie et Poutine assurent n’être pour rien dans la foireuse tentative d’assassinat du seul opposant crédible à un régime soviétotsariste qui, plutôt que de cracher sur la part d’héritage dont découlerait sa complicité envers de prestigieux caciques spécialisés dans le crime organisé/contre l’humanité, sponsorise des autodafés où l’on brûle un sel d’effusion toujours contraint de se dilapider sous une infissurable chape.
Nous aurions dû verser notre petite larme lors du discours scoopesque de Vlad l’Empaleur au 5e forum mondial sur la Shoah, à Jérusalem, capitale une et indivisible, sauf à vouloir entretenir, à travers elle, d’implosives divisions ; hélas, nous ne sommes pas encore, comme se doivent de l’être les hauts diplomates de l’Acommunauté, atrophié du cortex.
Quand le paraformateur en techniques de combat paramilitaires et fournisseur officieux en armement clandestin d’une entité antisioniste millénaire devenue N° 1 mondiale des porteurs du virus antijuif, vous jure, sur l’honneur qui lui fait cruellement défaut, que la charte préconsciente de sa contre-religion est désormais caduque, préparez-vous à rempiler pour trente ans de guerre tiède.
Si la loi du marché sans recadrage politique nous abandonne à la merci d’une Terre Mère maquerelle bien décidée à en finir avec l’Histoire et ses impondérables, qu’en est-il de cette globalisation antilibérale servant de marche-pied à une pathétique révolution citoyenne que ses instigateurs livreront à la première tyrannie venue, eux qui détournent sans vergogne le sens de la mémoire en inscrivant au patrimoine de l’inhumanité une monarchie parlementaire des plus réparatrices du siècle du Désastre.
On ne qualifie pas de successeur de Francisco Franco un roi qui, vaillamment, trahit son immonde protecteur en libérant pour de bon son pays du fascisme.
Juan Carlos tourna le dos à la dérive totalitaire de son propre peuple comme De Gaulle l’avait fait, à sa manière, alors que les carabiniers de la France maurrassiste le canardaient depuis les tours d’une cathédrale que rien ni personne ne l’aurait empêché de reconquérir afin d’y affirmer la continuité entre la République, la nation et son histoire en dents de scie.
Aussi graves que soient les malversations financières dont s’est rendu coupable l’Abdicateur, ses dénonciateurs lui rendent un immense service en lui offrant l’occasion d’entamer contre eux une action en diffamation visant à protéger l’intégrité du corps éternel de la démocratie européenne.
Ironiquement, le socialisme et le libéralisme partagent un même travers qui est de niveler par le bas les peuples qu’ils régissent.
Quand le premier en arrive toujours à rabaisser ses ambitions éducatives face au risque de décrochage des derniers wagons exerçant une menace insurrectionnelle permanente sur le train de vie des classes moyennes et supérieures, le second doit veiller à ne jamais se montrer repoussant à ce consommateur médiocre, au sens statisticien du terme, qui constitue le gros de sa clientèle.
Pour autant, seule une société où la liberté d’entreprise est garantie par la Constitution permet qu’un D.-H. Kahnweiler défende la révolution cubiste contre les résistances conservatrices de ses contemporains (toutes classes confondues).
L’Insoumis nous vend la nature humaine — trop humaine — de feue l’Union des républiques SS, et en même temps, il s’emploie à faire huer le chef d’un État français qui pourra enfin s’honorer d’avoir eu le cran de séparer le bon grain de notre République issue de l’immigration, de cette ivraie séparatiste ayant recours à toutes manœuvres d’intimidation possibles et inimaginables pour empêcher que l’Oummien potentiel n’aille convoler en justes noces avec l’Internationale universaliste.
Il en profite pour prononcer une peine de bannissement idéologique à l’encontre des raclures insondables dont la langue fourchue fait dévier madame Obono sur l’échelle de l’évolution vers l’un de nos cousins primates ; sur ce point précis, nous souscrivons au haussement des pôles qui électrisent le débat national.
Toutefois, en opérant plusieurs glissements à partir de la profanation négationniste du centre de la mémoire d’Oradour-sur-Glanes, entre les martyrs d’un régime nazi qu’il définit par son racisme d’État et un État social-libéral qui cèderait aux sirènes du match retour Macron-Le Pen, il est difficile de lui garder notre sympathie car, quand sa camarade indigéniste s’illustre par sa participation du PIR de notre époque, nous ne pouvons pas ne pas avoir authentifié l’ARN spécifique des cris de haine scandés au cours d’une manifestation spontanée répondant à l’appel du Comité Adama Traoré, lesquels rites d’unité nous évoquent moins les dernières manifestations antinazies défrayant la chronique en janvier 1933 qu’ils ne nous téléportent au Sportpalast, lors d’un fameux discours de Goebbels prononcé au grand soir du 18 février 1943.
Ils nous tançaient :
« À social-traître, social-traître et demi ! »
Ils savaient de quoi ils parlaient.