Une fois n’est pas coutume, aujourd’hui, je vais zigzaguer dans ma réflexion et vous livrer dans un désordre amical, ces rencontres qui ont infléchi ma vie. La Bardot, Vian, Delon en monstre sacré du cinéma, Gilles mon cousin germain, Mireille Darc, Jean-René Hughenin et François Ozon.
Les écrivains et le cinéma, c’est une longue histoire. J’ai toujours pensé qu’un grand film découlait d’une grande écriture. Pourtant, la dramaturgie cinématographique ne se contente pas seulement de mots et de pages griffonnées ou adaptées, il faut que l’œuvre sur l’écran se compose sur trois niveaux : le scénario, l’image, le son. Et la surprise d’un casting idéal parachève l’œuvre.
Parfois, la distorsion entre le texte original de l’écrivain et l’adaptation du réalisateur tient du pur génie. Prenez « En cas de Malheur », le roman de Georges Simenon publié en 1956 et adapté au cinéma par Claude Autant-Lara, deux ans plus tard. De ces dix lignes inoffensives écrites par Simenon, racontant comment la jeune Yvette, 22 ans, propose ses charmes à son avocat, en guise de rétributions, Autant-Lara produit une scène si puissante qu’elle sera choisie pour être l’affiche du film (ou The Big Picture selon la formule d’Hollywood) :
– Coupable d’un meurtre, Yvette, interprétée par Brigitte Bardot, soulève sa jupe, dévoilant ses bas, ses jarretelles, puis ses jolies fesses (elle ne porte pas de culotte) et elle reste ainsi, offerte et provocante face à un Gabin impassible. En langage scénaristique, on nomme cela l’incident déclencheur.
Avant sa disparition, Roger Nimier avait signé́ en 1958 un chef-d’œuvre, en participant à l’écriture du scénario d’Ascenseur pour l’échafaud avec son réalisateur Louis Malle. La bande originale du film, improvisée par le trompettiste Miles Davis jouant en direct sur les images, reste un monument du genre. Nimier devait ensuite collaborer au Feu follet mais la sortie de route de son Aston Martin DB4 GT mit fin au projet.
Bizarrement, aucun metteur en scène n’a jamais tenté d’adapter au cinéma La Côte sauvage, le magnifique roman de Jean-René́ Huguenin : l’aventure d’un trio amoureux, à la façon du Jules et Jim de Truffaut, trois personnages qui s’aiment, se fâchent et se réconcilient, un été en Bretagne. J’y reviendrai quelques lignes plus loin.
Boris Vian et son œuvre magistrale, autant littéraire que musicale, ont eu les honneurs de l’écran en 2013 via Michel Gondry et son adaptation de L’Écume des jours, venant après celle de Charles Belmont en 1968. Le sosie de l’écrivain apparait aussi sous les traits du chanteur exubérant Philippe Katerine, dans Gainsbourg (Vie héroïque) de Joann Sfar en 2010. Toutefois, ne l’oublions pas, c’est ce même cinéma qui a tué́ notre Boris Vian : lorsqu’il fut convié le 23 juin 1959 à la projection du médiocrissime J’irai cracher sur vos tombes, tiré de son roman éponyme.
Et puis il y a en 1967 L’Étranger d’Albert Camus, dans une adaptation pompeuse de Luchino Visconti, avec Marcello Mastroianni et Anna Karina. « Un film raté », selon le réalisateur italien. D’ailleurs Albert Camus, mort en 1961, ne souhaitait pas voir ses romans adaptés au cinéma et Jean Renoir lui-même s’était vu refuser les droits du livre. Assez indiffèrent à l’univers cinématographique, l’écrivain Albert Camus, lui préférait le théâtre, l’art vivant, parlé, et la peau sucrée de l’actrice Maria Casarès.
Récemment, en 2014, le réalisateur David Oelhoffen s’est inspiré librement d’une de ses nouvelles, « L’Hôte », pour son long-métrage Loin des hommes avec Viggo Mortensen et Reda Kateb, un scénario puissant, bien ficelé́, qui se déroule durant la guerre d’Algérie. À voir.
À l’étranger, Jack London, avec ses vingt-neuf adaptations au cinéma (Croc-Blanc, L’Appel de la forêt, etc.), compte parmi les auteurs adaptés le plus grand nombre de fois à l’écran, un palmarès où caracolent, outre notre Georges Simenon (et Maigret national), les maîtres comme Stephen King et Agatha Christie…
Revenons à nos moutons : A chaque fois que je vais au cinéma découvrir le dernier film de François Ozon (Un Été 85), je me pose toujours deux questions : Pourquoi n’a-t-on jamais adapté au cinéma « La Côte Sauvage » le roman magnifique et ultime de Jean René Hughenin ? Et qu’attend Ozon pour s’en charger ? C’est un livre et un sujet pour lui… Non ?
Séquence flashback : L’été 1983, je bullais chez mon cousin Palois, le journaliste culinaire, Gilles Brochard, rue Ernest Reyer dans le 14ième. Je revenais de Bretagne, du tournage d’un nanar produit par Gaumont et réalisé par Daniel Ceccaldi, « Jamais avant le mariage ». Mon seul souvenir excitant était l’arrivée imprévue d’Alain Delon, venu rendre visite à sa compagne de l’époque, Mireille Darc, actrice principale dans cette comédie avec Jean-Pierre Marielle. Nous étions à la pause déjeuner, toute l’équipe était attablée, la tente avait été installée dans la cour d’un manoir breton du 17ième’. Soudain une Mercedes noire se gara à une vingtaine de mètres et Delon, imper en cuir, lunettes noires, apparût et marcha vers nous… Mazette ! On aurait programmé la musique du « Clan des Siciliens » que l’effet n’en n’aurait pas été moindre. Tout va très vite à ce moment-là… Les visages rougissent ou plongent dans leurs assiettes, les poitrines des comédiennes se gonflent et le temps s’arrête… Le jeune coq idiot que j’étais, faillit se jeter à ses pieds :
– Monsieur Alain, s’il vous plaît, je vais vous dire la vérité, Mireille et moi, on s’est juste embrassés, rien de plus ! Frappez-moi, si vous voulez mais ne me tuez pas… Je suis à l’aube d’une carrière florissante quasi internationale, ce serait dommage…
Bref, Alain a embrassé Mireille, s’est fait servir un repas et m’a copieusement ignoré. Un seigneur, quoi… J’ai juste entendu qu’il avait réservé une suite à Perros-Guirec, l’hôtel ou nous dormions tous. Je me suis félicité d’avoir emporté mon pyjama de combat et une lampe de poche. Les nuits celtiques allaient être agitées. La suite de l’histoire, je la réserve pour le premier tome de mes mémoires.
Donc, cet été 1983, allongé sur le sofa, je narrais mes aventures fantasmagoriques de tournage, lorsque mon cousin m’interrompit :
– Zigoto, arrête de pérorer et de raconter des bêtises, si Mireille t’entendait, elle t’enverrait direct tourner avec Max Pecas… Tiens, cultive-toi et intéresse-toi plutôt aux belles choses…
Et il me lança sur les genoux, le livre « La Côte Sauvage ». J’ai fermé mon clapet pendant trois heures. J’ai dévoré le bouquin. Plus tard, j’ai voulu en savoir plus sur son auteur… Jean-René, si beau, si jeune, mort à 26 ans, sur une route de Mayenne.
« …Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours eu faim. Si ma vocation littéraire n’était pas venue donner à cette faim son objet, je serais devenu anarchiste, aventurier, assassin… Je rêvais moins de conquérir le monde que de me donner à lui avec violence. Régner sur les foules, sur un pays, m’exaltait moins que de régner sur moi. Le seul empire que je n’aie jamais voulu posséder, c’est l’empire sur moi-même. » (JRH)
Il y a cette photo incroyable lors de la création de la revue Tel Quel en 1960 aux éditions du Seuil. Un petit groupe de jeunes écrivains frondeurs et élégants, Jean Loup Dabadie, Renaud Matignon, Philippe Sollers, Jean-Edern Hallier (le Voltaire des garçons coiffeurs) et Jean-René Hughenin, alias JRH, notre héros. Bon, c’est sûr, ces esprits échauffés veulent en découdre et cherchent la bagarre et la victoire intellectuelle. Ils étaient trop gamins pour être des héros de la seconde guerre mondiale, trop adolescents révolutionnaires pour regretter Dien-Bien Phu, trop pistonnés pour être des appelés de l’Algérie française, trop bourgeois pour renoncer à s’éloigner de la cause du peuple.
En ce début des années soixante, à part démonter les bars du quartier latin et les jolis mannequins de chez Catherine Harlé, il faut bien occuper son temps : En dehors de négliger une épouse domestique et des enfants turbulents, de rentrer tard, de fumer beaucoup, d’aimer boire et de conduire vite, l’avenir appartient à ceux qui ont les dents longues. Chacun aura l’aventure qu’il mérite. Jean-René n’est pas dupe et prend de la distance avec le milieu éditorial bourdonnant de Saint-Germain-des-Près. Avec ces petits bourgeois prêcheurs du nouveau roman, de la nouvelle vague et de tous les (isme) Existentialisme, Lacanisme et pourquoi pas… Onanisme ? JRH qui n’aimait pas trop Françoise Sagan et son snobisme fumeux de tropézienne bronzée tranchera d’un coup de sabre:
– « Elle parle de l’ennui à des gens qui s’ennuient… »
Hughenin vient de sortir La Côte Sauvage et les bons apôtres de la revue Tel Quel, à priori ses amis, critiquent son livre, le qualifiant de romance bleuette adolescente. Sympa, les gars !!! Pas rancunier, notre JRH … Noble et distingué dans son gilet bleu pétrole, son col anglais et sa cravate club, il est autant dans la cible et la critique qu’il prétend dénoncer. Pourtant, Aragon et Mauriac, les illustres mandarins du quartier latin, font son éloge et saluent la prouesse de ce premier roman. Tout n’est donc pas perdu.
Ce garçon grand et racé, issue de la grande bourgeoisie d’Auteuil, fils d’un professeur éminent cancérologue, élève à Sciences Po, il sera à l’heure de sa mort, un militaire pistonné et planqué. Aviateur au service cinématographique de l’armée de l’air, il va quitter le monde en beauté, laissant en héritage, ce roman culte « La Côte Sauvage » et son journal intime, publié post mortem. Disposant d’une permission, il a l’habitude d’emmener sa sœur Jacqueline et ses neveux à Rambouillet en week-end. Lui, son jumeau Jean-Edern (né le même jour, un 1er mars 1936) et quelques amis, s’invitent dans de belles maisons de campagne pour fuir l’ennui de la capitale.
C’est un dimanche soir, l’heure où il faut rentrer à la capitale et affronter la mélancolie du trafic. Jean-René est seul, au volant d’une somptueuse Mercedes 300 SL Papillon, immatriculée 387 JP 75, prêtée par un ami cossu, Yves Merlin, il roule à vive allure sur la Nationale 10 entre Chartres et Paris.Pourquoi perd-il le contrôle de son bolide ? À hauteur du village de Sonchamp et en voulant dépasser la ligne blanche, il vient percuter le break Peugeot 404 qui arrive en face, celui d’un grainetier de Mayenne. Le choc est terrible. Les deux n’y survivront pas. Qui est responsable de la mort de l’autre ? Le bourgeois en Mercedes ou le paysan en Peugeot ? La lutte des classes ne finira jamais de commencer.
« Il est clair que je n’ai pas ma place dans ce monde, parmi ma génération, au sein de cette civilisation. Je vais écrire quelques romans, et puis j’éclaterai comme un feu d’artifice et j’irai chercher la mort quelque part. La pensée de mourir est finalement ce qui me console le mieux de tout. » (JRH)
Le James Dean de la littérature s’en est allé, une semaine avant son ainé, Roger Nimier, mort en Aston Martin DB4, au côté de son amante, l’inoubliable Sunsiaré de Larcône. Nimier avait 36 ans et Sunsiaré, 27 ans, l’âge où décède les rock stars.
Ces garçons-là se choisissaient de beaux cercueils pour franchir l’au-delà. Le journal intime de Jean René (préfacé par François Mauriac) fut publié à titre posthume et « contre son gré » : Il balança un terrible orage sur Paris le jour de sa publication en 1964. Huguenin est inhumé dans le caveau familial du cimetière de Saint Cloud. Quand il disparût, sa fiancée Marianne était enceinte. Elle et le bébé… Que sont-ils devenus ?