Existe-t-il des familles maudites ? Je ne parle pas de celles qui sont otages de l’histoire, subissant les aléas des invasions, épidémies, tsunamis, révolutions, guerres civiles, dictatures, exils… Non. J’évoquerai plutôt les dynasties rutilantes qui, couvertes d’or et d’argent, à l’abri des misères de ce monde, s’imaginent intouchables et bénies des dieux. Je pense aux lignées des Rockefeller, Grimaldi, Getty, Onassis… Le malheur des riches fait-t-il le bonheur des pauvres ?
Car bien né, bien beau et bien célèbre, ne vous met pas à l’abri des dangers et d’une mort prématurée. Un civil moyen vivra plus calme et donc plus longtemps. Le nanti, gâté par sa naissance, sa fortune et son physique, face à un éventail de multiples tentations irrésistibles, fera face à des menaces en cascade : …Soit il roulera « trop » vite, trop pressé, drogué, sucé, pied et bite au plancher dans des voitures de sport, soit il se fera enlever pour une rançon, ou tué par un dealer impatient ? Ou alors, ivre de sa majesté ombrageuse, pilotera-t-il un bateau, un avion, une formule1, une moto, en pensant que c’est une bicyclette ? Le pied d’argile de ces surhommes porte un nom : l’orgueil ou la vanité. A force d’être encensés, admirés, léchés par des courtisans, des avocats, des majordomes, des esclaves et des maîtresses énamourées, ils s’imaginent de la même facture glorieuse que celle de l’étoffe des dieux. Les premiers à vous trahir, sans doute…
– « Si la fortune protège tel un bouclier de bronze… Lorsque le mauvais œil s’annonce, cet écu flamboyant devient aussi fragile que le cristal. »
Cette sentence est de Francis Scott Fitzgerald, l’écrivain mort d’éthylisme à 44 ans. Lui-même n’eut qu’une fille, Scotie, et il s’empressa de l’éloigner du premier cercle de son enfer domestique. Avec ce constat, sans appel :
– « Ma chérie, lui écrivait-il, il y a l’alcoolisme de ton père, la folie de ta mère, et nous deux ensemble, c’est la pire des catastrophes…Va-t’en vite ma fille, fuis-nous, loin, très loin… ».
Dans ce bréviaire de la malédiction comment ne pas penser aux Kennedy, la dynastie royale de l’Amérique ? Tout d’abord, en remontant le temps et l’arborescence des Kennedy, on trouve, à l’origine du clan, le patriarche, Joseph Patrick Fitzgerald (1888-1969), émigré d’Irlande, qui bâtit une fortune colossale, à la fois bootlegger, ambassadeur, pronazi, magnat d’Hollywood, prédateur sexuel, financier véreux et ami de la mafia.
Joseph 1er, de son vivant, dût supporter la mort de trois fils et de deux filles. Son ainé, Joe Junior, 29 ans, pilote de chasse, crashé le 12 août 1944. Puis sa fille Kathleen, 26 ans, dont l’avion s’écrasa en 1948. Rosemary, la petite sœur, simple d’esprit, qui fût lobotomisé à 20 ans. S’ensuivra une longue litanie de drames et de tragédies aux dommages collatéraux. John, alias JFK, le 35ième président des USA, assassiné à Dallas, le 22 novembre 1963, à 46 ans.
Puis, c’est au tour de Robert, 42 ans, flingué à Los Angeles, par le jordanien Sirhan Sirhan, le 6 juin 1968, lors de sa campagne pour la présidence de l’Amérique. Lors des funérailles de ce dernier, Ted Kennedy, le petit frère, regarda le ciel, l’œil mauvais et déclara :
– Il y a quelqu’un là-haut qui ne nous aime pas…
Scoumoune, quand tu nous tiens !
La série noire continue : Dans la branche de Robert Kennedy père, il y a également son fils, David Anthony, mort d’une overdose à Palm Beach, le 25 avril 1984. C’est au tour de son frère, Michaël, 39 ans, de se tuer en décembre 1997, lors d’un accident de ski à Aspen, Colorado.
Et puis, cerise sur le ghetto des cossus, la fin précoce du plus beau des plus beaux !!! John John Junior, le prince de New York City, fils de JFK, le président assassiné.
Trois mois plus tôt, JJ Junior s’est acheté un bel avion, et ce 16 juillet 1999, il compte se rendre avec son épouse et sa belle-sœur à un mariage par la voie des airs. On est vendredi, veille de week-end, et il est hors de question de moisir en limousine dans les embouteillages. Le mariage a lieu le lendemain dans le Massachussetts, non loin de Hyannis et de l’île de Martha’s Vineyard.
Lorsque l’on découpe le scénario des évènements qui vont s’enchaîner de façon implacable, on est choqué de tant d’aveuglements. L’effet Papillon va être dévastateur : A aucun moment, le bon sens est venu siffler aux oreilles de John John Jr. Car le prince de New York accumule les erreurs : Le fils JFK arrive en retard à l’aéro-club et décide, malgré tout, de prendre les commandes de son avion Piper Saratoga sans l’aide de son instructeur. Il va faire nuit et la ballade est longue et le ciel couvert. Il refuse l’aide d’un co-pilote qui se propose.
Le départ était prévu à 17 heures mais à 20 heures, Carolyn Bessette, sa femme est encore prisonnière du trafic routier avec sa sœur Lauren. John en profite pour étudier les relevés météos, sachant que c’est la première fois qu’il pilotera, seul, de nuit, survolant l’océan et en se guidant, donc, uniquement aux instruments de bord.
John John, accidenté récemment, vient juste d’enlever son plâtre à la jambe gauche et se déplace avec une béquille ; à la gêne physique et douloureuse, il est stressé, énervé, acculé par le déclin de son magazine Georges qui perd beaucoup d’argent, et il semble épuisé par son mariage explosif avec Carolyn Bessette, 33 ans, chamboulée entre son addiction à la cocaïne et une dépression latente.
Cette dernière, coincée dans un bouchon avec sa sœur Lauren, arrive très en retard. Il fait nuit noire… John John Junior calme son impatience en installant les sacs Gucci des deux sœurs à l’arrière du Piper. Entre-temps, la météo s’est dégradée et on conseille à JJ Junior de ne pas décoller.
John John prend une décision fatale : au lieu de suivre la côte et de s’orienter avec les lumières balisant les villages et la départementale avoisinant le bord de mer, il choisit de couper par la mer et de voler plus de cinquante kilomètres au-dessus de l’océan, dans le noir absolu, sans repères visuels.
Le responsable de l’aéroclub tente d’infléchir sa décision :
– Mr Kennedy, le temps se gâte, vous ferez mieux de suivre la côte !
Mais bon, avec ce grand gars, gaffe ! C’est un Kennedy ! Qui osera se mettre en travers de sa route à part Fidel Castro, Ho Chi Minh et la bombasse platine Darryl Hannah, son ex qu’il avait salement larguée ?
Trop tard : Celui qui fût célébré par les magazines féminins comme « The Sexiest Man Alive » est en vol pour une « destination finale », avec deux jeunes femmes confiantes, impatientes qui devraient se méfier… « The Most unpredictable Pilot » est aux commandes de l’enfer.
À 21h40, l’histoire est bouclée.
L’avion s’est trompé de cap et fonce vers le large. John John s’est trompé de fréquence radio, il navigue à vue et décide de débrancher le pilotage automatique.
A 22 heures, le Piper plonge dans les eaux sombres de l’océan. On retrouvera les trois corps encore sanglés aux sièges, quelques jours plus tard par trente mètres de fond. Le président Clinton en hommage à JFK, trésor de la nation, ordonnera les honneurs de la Navy.
La légende noire des Kennedy perdure et les compagnies d’assurances et les avocats des sœurs Bessette calculent le montant faramineux des indemnités.
Et la malédiction n’est pas finie : Mary Kennedy… Elle s’est pendue le 16 mai 2012. Celle qui était l’épouse de Robert Kennedy Junior, le fils de Robert Fitzgerald Kennedy, qui fût assassiné en 1968 à Los Angeles.
En 2019, le clan Kennedy est à nouveau en deuil. Saoirse Kennedy Hill, 22 ans, petite-fille de Robert F. Kennedy, est retrouvée inconsciente le 1er août dernier, dans l’immense domaine de la famille à Hyannis Port, dans le Massachusetts. Dépressive, notamment à cause du traumatisme de l’agression sexuelle subie alors qu’elle était collégienne, l’étudiante n’a pas survécu à une overdose. La veille, elle dînait avec sa grand-mère, Ethel Kennedy, et avait rejoint dans la soirée des amis pour un karaoké.
Le lundi 6 avril dernier, nouveau coup du sort, Maeve Kennedy McKean, petite nièce de JFK et avocate de 40 ans, s’est noyée avec son fils Gideon dans la baie de Chesapeake lors d’une ballade en canoë.