Trois précisions à l’usage des « amis qui nous veulent du bien » et qui s’expriment depuis hier soir sur certains réseaux sociaux à propos du livre de Bernard-Henri Lévy : « Ce virus qui rend fou ».
1. BHL n’a pas « attendu la fin de la pandémie » pour s’exprimer. Les lecteurs de la revue savent qu’il n’a pas cessé, semaine après semaine, et depuis le premier jour, de donner son point de vue sur cette affaire. Je dirai même que, dès son tout premier bloc-notes au Point, le 10 mars, certains des thèmes de son livre étaient déjà en germe.
2. L’argument selon lequel l’auteur « tirerait profit » de cet évènement tragique pour « vendre des livres » est, quant à lui, tellement sot et bas qu’il ne mérite pas que l’on s’y attarde. Si, tout de même. Il nous donne l’occasion de rappeler que, comme l’a dit François Busnel en ouverture de sa dernière « Grande Librairie », l’intégralité des droits d’auteur du livre sera versée à l’ADELC. Qu’est-ce que l’ADELC ? L’Association pour le Développement de la Librairie de Création ; c’est-à-dire l’organisation la plus active, aujourd’hui, pour aider la librairie indépendante menacée par la pandémie, par Amazon et par l’inculture grandissante.
3. Quant au fond du livre, et quant aux débats qu’il ouvre, je me permets de renvoyer au compte rendu honnête qu’en donne Libération, ce matin, par la plume de son directeur Laurent Joffrin. L’avantage, avec Joffrin, c’est qu’il dit les choses, et il les dit avec probité. En la circonstance : le risque que nous courons tous d’une accoutumance à la privation de liberté.
Bernard-Henri Lévy, Ce virus qui rend fou, éd. Grasset, 10 juin 2020, 112 pages.
Nous enfoncerons-nous plus avant dans ce combat stérile contre les turboréacteurs d’un paradigme artificiel sous l’empire duquel Don Quichotte s’exténuera toujours à préserver un absolu dont il eût fallu, pour qu’il tremblât sous nos menaces de désintégration, qu’il commençât par poindre à l’horizon, qui est un autre mythe dans lequel nous sommes conviés à nous anéantir, et où, exaspérée par l’idiote car inaccessible messianité du prince Mychkine, la femme en quête de Dieu se jette avec dépit dans les bras d’un Autre, qu’elle a emprisonné dans sa propre hantise du parfait Antéchrist avant que ce dernier, pressé de lui donner raison, n’en sacrifie la sienne ?
Covid ou pas, la libre circulation des capitaux se conduit telle une Vierge en majesté freudienne partout où le bébé de la mondialisation a longuement macéré dans l’eau d’un bain inévacuable.
Aucune pandémie au monde ne ferait mieux que la meilleure des mères ou le meilleur des pères pour inculquer les bases de l’art équestre au bas âge d’or de l’économie de marché alors qu’elle est encore si loin de pouvoir chevaucher son monstre de pulsions débridées.
Et pourtant, de l’extrême tribord à l’extrême bâbord, l’obsolète affrontement d’un souverainisme croyant pouvoir survivre au rétablissement des frontières mentales de l’Ancien Régime et d’un internationalisme s’asseyant sur le principe volcanique de la souveraineté, siffle la fin de la récré régressiste tel qu’un agent de la circulation se laisserait submerger par une fanfaronnade de klaxons qui, aux deux bouts de la chaîne de l’immobilisme, prônerait la restauration de l’État fort capable de désenvoûter cette Pop(ulist) generation que l’on sevra au prêchi-prêcha psychologiaque des frères de parentèle du Veau humblement inclinés devant Her Majesty the Money.
Face au risque d’infantilisation d’une civilisation dont la découverte de son incomparable potentiel de destruction créatrice de richesses lui ferait aborder la maturité comme une horrible nasse de renoncement, nous aurions tendance à davantage nous méfier d’une forme de dépression froide qui n’offrirait pas d’autre solution de sortie de crise aux naufragés du chaos démocratique pris en otages par Baby Liberty, qu’un pur et simple infanticide.
Il fut d’autant plus nécessaire que nous nous assurions la promulgation d’un Habeas corpus que ce droit, fondamental pour un être humain, d’être informé des faits qui lui sont reprochés afin qu’il puisse bénéficier d’une stratégie de défense rendant compte de la somme des actions que ne cesseraient plus d’être ses intentions premières, repoussait le vent de libération qu’avait pu déverser le bateau ivre du Déluge tandis qu’il s’échouait sur le terreau même du salut.
Un penseur c’est fait pour penser. Ne vous étonnez pas qu’en temps de postpandémie, il vous délivre les réflexions que lui aura inspirées le fléau lorsqu’il battait son plein. Ne vous offusquez pas qu’au cœur de la tempête, son réflexe premier soit de s’imprégner de l’événement plutôt que de le traiter en curé ou en curateur.
William Turner ne s’emparait pas du gouvernail au cœur de la tempête ; il demandait à ce qu’on lui lia les pieds et les poings au sommet du plus haut des mâts d’un navire frôlant le naufrage à chaque vague, surplombant le péril sans en éprouver le moindre soupçon de dédain envers l’équipage. Son œuvre n’en finit pas de nous éclairer.
Je n’ai nul besoin qu’on me rassure. La fée Arielle ne me ferait pas l’offense de me prêter de brutes intentions, de surcroît dirigées contre sa cristalline personne. Pour l’énième fois, je ne commente ni ne critique le commentaire ou la critique ; ce qui ne veut pas dire que je ne lis pas les autres, que je ne leur réponds pas ; mais il se peut que je leur aie déjà transmis une réflexion en différé.
Je connais l’intérêt que porte Bernard-Henri Lévy au concept de messianisme et à ses incursions dans les champs de gaité hérétique de la philosophie. Mais je n’ignore pas davantage l’attachement mâtiné d’arrachement qui le lie à un ordre très ancien, qui échangea son statut de tribu dans le cadre d’une mission d’élite illimitée, pour l’accomplissement de laquelle ses membres n’auraient jamais songé à préempter un éclat de muraille du pré carré de l’Esprit. En outre comme en transe, je ne suis pas de ceux qui voient en BHL un Idiot transnational. Une philosophie messianique ne souffrirait aucun écart par rapport au premier grand commandement, et la psychose en est un. En espérant que ces légers obscurcissements vous auront aidé à m’interpréter…