Que l’on ne s’y trompe pas. Théo, ardent défenseur du dialogue et de la paix, était un combattant. Mais son arme favorite était l’ironie. L’existence ne lui fut pas toujours facile. Il décida de la trouver amusante. Parfois elle lui a joué des tours. Quelques fois il l’a devancée. Cette fois, elle semble l’avoir rattrapé.
Militant, avocat, dirigeant d’institutions, écrivain, il a chamboulé, secoué, transformé tout ce qu’il a embrassé.
Théo Klein n’a pas été un président du Crif comme les autres. Théo n’a jamais rien fait comme les autres. Avant lui c’est à peine si l’on savait qu’il y avait une institution qui représentait les Français juifs auprès des pouvoirs publics. Avec lui le Crif devint ce lieu singulier de la société française, carrefour des partis politiques, du gouvernement, des journalistes, des syndicalistes, des représentants de différents cultes et de différents pays et, bien sûr, du lien entre la France et Israël. Il a créé le dîner annuel de cette institution qui accueille rituellement le Premier Ministre et désormais le Président de la République. Il m’avait confié que, mal élu, il avait eu les mains libres pour entreprendre ce qu’il souhaitait à la manière dont il l’entendait, estimant ne rien devoir à la plupart des électeurs qui n’avaient pas voté pour lui… Sur sa relation à Ady Steg, illustre professeur de médecine et compagnon de route de ses aventures communautaires pendant un demi siècle, il avait eu ce mot tendre et définitif : «lui et moi avons toujours fait l’unanimité. Lui pour. Moi contre.». Ainsi était Théo, fin politique et piètre politicien.
Débarrassé des charges de son mandat, non sans avoir réglé «l’affaire du Carmel d’Auschwitz» grâce à sa relation avec le Cardinal Lustiger, il s’engagea dans une discussion inédite à l’époque avec un dignitaire de la Ligue Arabe. Le livre «Deux vérités en face» fut reçu comme un coup de tonnerre qui renversa les discours convenus de chaque camp. Hébreu plus encore que Juif, (dont il interprétait très librement les préceptes religieux), Théo fut littéralement un passeur… d’histoire, de valeurs et de convictions.
Théo Klein, bien avant et au delà du Crif a été un immense avocat. Et encore une fois un pionnier. En 1945, en rejoignant le barreau, il a tout simplement réinventé notre métier en préfigurant ce qu’il allait devenir. Préférant les solutions subtiles aux procès inutiles, il a compris le premier la valeur du mot conseil, quand ses confrères se pinçaient le nez en le prononçant. Rapidement, le jeune avocat a fait parler de lui. Irremplaçable pour ses clients, il se déplaçait chez eux et allait auprès d’eux résoudre leurs problématiques. Autant de choses qui étaient proscrites dans ce qui était alors un métier de robe éloigné des contingences économiques…
Ses premiers clients sont connus : Sylvain Floirat, propriétaire de Matra et Europe 1, puis à sa suite Jean-Luc Lagardère, Gilbert Trigano, mythique fondateur du Club Med, Edmond de Rothschild. Ils devinrent ses amis. Il accompagne leur développement dans la France bénie de l’après guerre et au-delà de ses frontières. Pionnier du barreau il l’a encore été lorsque, au firmament de sa carrière et sous son impulsion, son cabinet est devenu la première firme française à s’allier à des confrères anglo-saxons pour appréhender la mondialisation alors balbutiante.
L’homme volontiers affable était discret. Mais d’Abidjan à Tel-Aviv, où il fut le premier avocat étranger inscrit, le prénom de Théo était un sésame que l’on aimait se partager. Il n’était pas que l’ami des puissants, mais on se sentait important à compter au rang de ses amis. Combien d’hôtes illustres ou inconnus, chefs d’Etat ou intellectuels désargentés ont eu le bonheur de sa table et de sa conversation dans son bureau niché au 44 avenue des Champs-Elysées?
Lorsque nous avons célébré à l’Hôtel de Retz ses quatre-vingt ans, plusieurs de ses vies étaient réunies parmi les convives. Je garde le souvenir de Jean-Luc Lagardère, dont il se dit que Théo avait été déterminant dans le sauvetage du groupe lors de la défaillance de la Cinq, recopiant longuement à la main un mot de gratitude dans le livre d’or, imité ensuite par Monseigneur Lustiger…
Les mots manquent pour cerner le personnage, tant son ampleur fut considérable dans des domaines très variés. Au rang de ses innombrables facettes il faut retenir son rôle de premier président du Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme dont la réussite éclatante, et même l’existence, lui doit tant.
Je crois que notre parcours en miroir à soixante ans de distance entre l’Uejf, le Crif, le barreau et «la chose publique» l’amusait beaucoup et il aimait bien me le témoigner par un mot ou une invitation, toujours avec beaucoup de bienveillance et un peu d’ironie.
Jamais sentencieux ou autoritaire, il savait orienter, plus que guider, le pas de celui qui cherche son chemin. Il avait le don rare de développer chez son interlocuteur le goût de sa propre liberté. Ainsi était Maître Théo Klein. Un éclaireur. Un émancipateur. Un maître donc. Et un ami pour tous ceux qui ont eu comme moi la chance de croiser sa route et de voir en retour leur propre trajectoire bouleversée.
Quand l’islam des Lumières aura reconnu sa dette envers le judaïsme et guérira du même mal qui rongea la chrétienté jusqu’à ce que sa base fît prendre conscience à sa tête qu’elle s’était fourvoyée dans des réalisations génocidaires qu’on ne lui avait demandé de fomenter qu’en rêve néoprophétique, le paradigme islamiste pourra enfin déserter les grilles de lecture d’une majorité silencieuse sans le soutien à peine dissimulé de laquelle le terrorisme low cost ne nous pondrait pas un jihâd proactiviste en forme récurrente.
L’antisionisme n’est pas un objectif lunaire, c’est une rampe de lancement.
Le bouclier du deuxième roi et le génome humain se recoupent.
Le fait que le salut d’Israël en dépende en dit long sur la relation que ce peuple entretient avec son humanité.
Tant qu’il y aura un homme sur terre dont l’équation âme/corps, soit omettra de booster en lui la volonté de se dresser contre le mal sous toutes ses formes, soit le séquestrera dans un cube névrotique à l’intérieur duquel elle le poussera à montrer les dents face à la grande armoire où furent accumulés ses objets de (mépris)e, le Maguèn David demeurera un symbole inopérant.
Car il n’a rien sauvé, celui qui n’a pas tout sauvé (résumé exhumé).
Rappel de 5 : Je suis de ces mauvais juifs qui placent les droits de l’homme au-dessus des lois divines et, de manière paradoxale, j’ai la faiblesse de penser qu’au fond, cette attitude transgressive me fut inspirée autant par mon étude de la Tora que par la partie de moi-même qui se replie et se déploie, se déconstruit et se construit à l’image de la gamme pythagoricienne, — allez comprendre…
Rappel de 4 : S’il est absolument nécessaire que la République tienne IHVH à distance, rien n’empêche en revanche que des intellectuels, issus d’un siècle des Lumières qu’ils sont libres de critiquer comme bon leur semble, emboitent le pas à Jean-Paul Sartre en s’exerçant à casser des os dans les têtes de leurs adversaires idéologiques, fussent-ils intégristes religieux.
Rappel de 3 : L’assimilation de l’élection divine à un concours de pénis n’est pas sans rappeler la censure que l’on tenta en vain d’instaurer à l’encontre des images de la Shoah dans le cadre de la lutte contre la pornographie mémorielle.
À l’évidence, le sujet est casse-gueule.
Qu’on le contourne ou s’y confronte, il se prête à tous les renversements.
Le peuple juif est accusé de s’abstraire par le haut du concert des nations en raison d’un complexe de supériorité confinant au principe d’exclusion — autant dire qu’il porte en lui les germes de la déshumanisation racialiste ; ça ne vous rappelle rien ? — alors même qu’il est le premier à comprendre que le Dieu qui est le sien voue un intérêt aussi grand au salut des hommes qui Lui vouent une adoration exclusive qu’à ceux qui contestent Son existence.
Que dire de plus sinon qu’à chaque fois qu’une description est faite d’Israël comme peuple d’élite, sur de lui-même et dominateur vouant un culte à un Dieu jaloux, nous ne sommes pas à l’abri d’un déluge de contresens.
Bien entendu, on pourrait sauter sur sa chaise comme un cabri en disant « Haro ! Haro ! Haro sur l’antisémitisme ! », mais cela n’aboutirait à rien, quand bien même cela signifierait-il beaucoup.
Les causes profondes et éthériques de ce mal radical que l’on refoule sitôt qu’il resurgit, se sont déjà coupées de celles qui ont fini par nous sauter aux yeux lorsqu’on se décide enfin à les traiter.
Une guerre d’indépendance fut bel et bien menée au Proche-Orient : par les seuls indigènes d’une Terre sainte ayant ployé sous le joug d’une succession d’empires fantomatiques empilés les uns sur les autres jusqu’à l’effondrement de la tour de Babèl colonialiste.
La résolution du conflit israélo-arabe devra tenir compte du fait que des colonies de peuplement nomade n’ont jamais constitué une nation.
L’État palestinien est une construction intellectuelle se heurtant à un monument de l’Histoire universelle et qui, en l’espèce, n’a aucune chance de tenir debout si elle se charge d’assouvir un simple désir de destruction.
Rappel de 1 : À l’instar de Rocard, je ne commente jamais un commentaire.
Rappel de 2 : Quand je m’en prends à l’antisémitisme chrétien ou musulman, je veille à ce que l’on ne puisse pas m’imputer un génocide intellectuel en soulignant la diversité des degrés de manifestations d’un crime institutionnel qu’aucun CCIF n’a pouvoir de désincarner.
Rappel de 3 : Je ne porte jamais atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne, sauf à ce qu’elle se soit instantanément reconnue dans le portrait-robot que j’ai brossé d’elle.
P.-S. : Mes nuances n’ont pas vocation à atténuer des propos dont elles rehaussent les valeurs ; n’ayant aucun moyen de prévenir un inévitable procès d’intention, je leur confie la garde de ma parole ainsi que celle d’une hominité qui m’est chère, et à laquelle je veux dédier mes plus cruelles lignes.
(P.-S). : Ce qui vient d’être dit n’entame pas notre confiance dans les facultés humaines à terrasser le mal par toutes sortes de voies jugées hérétiques par nos propres ancêtres, et par leurs bannisseurs, et par les naufrageurs de ces derniers.
Le minimum de cohérence auquel j’aspire est, je le vois bien, quasi insoutenable et le sujet inabordable tant il est scabreux.
Ainsi évoquer, comme je le fais, le postulat biblique sur lequel est fondée l’attente d’un peuple messianique jouissant pleinement de sa liberté d’être et faire ce qu’il faut pour être élu par un Dieu unique dans le dessein de conduire tous les hommes sur le chemin qu’Il leur a tracés et selon la manière dont Il exprime Sa volonté de les y voir entrelacer leurs existences, ne présuppose en rien que les origines païennes d’un homme, qui se serait détourné des idoles de ses pairs afin de pouvoir supporter l’ardeur du foyer dudit peuple de Dieu, le priverait à jamais d’indiquer à son tour la voie vers la sainteté.
Nul ne pourra dénier aux Hébreux le rôle crucial qu’ils jouèrent dans l’orientation civilisationnelle de la plus grande partie de l’humanité.
Cela étant dit, l’on ne saurait guère minimiser l’intensité de la foi et la noblesse d’une âme sur laquelle la forge à destins aurait pu exercer une influence capitale.
Seul un expert en économie divine parviendrait à expliquer qu’une créature humaine se fût délestée de son idolâtrie deux millénaires avant NOTRE ère ou il y a à peine trois heures ; hélas, il n’en existe pas.
Il serait par là même impensable qu’un Juif déprécie, sans déchoir du même coup de sa position anhistorique et non moins historique, la valeur d’une conversion au Dieu unique qui aurait été impulsée par un monothéiste issu des premières ou dernières générations de convertis.
L’élection divine est ouverte à tous.
Elle donne à chacun les mêmes chances de remporter la lutte contre l’Ange.
C’est le reproche le plus enfoui, celui qui remonte avec aigreur et rage rentrée lorsqu’il surgit à la surface d’un antisémite refoulé à qui vous fournissez le parfait alibi.
C’est la grosse concession que vous pressent de leur faire des alliés en carton en échange de la poursuite bien arrosée des pourparlers de paix auxquels vous les conviez.
En l’occurrence, avez-vous remarqué combien il est plus difficile à un monothéiste qu’à un athée de souffrir l’existence d’un peuple élu ?
L’athée dézingue les religions en les prenant pour ce qu’elles sont ou ne sont pas, dans l’ordre ou le désordre ; le polythéiste, quant à lui, impose indistinctement aux monothéistes et aux matérialistes l’obligation de se prosterner devant des statues dont ces derniers contestent, dans un commun élan hérétique, la nature divine ; seuls les plus véhéments des appropriateurs que furent, d’abord, les canonisateurs du Tanakh dans ses versions massorétique et vulgatique, puis les islamisateurs des patriarches de la Bible arrachés à leur propre Genèse en vue d’une substitution paternelle pour le moins freudienne, je dis bien que les seuls chrétiens et musulmans manifestèrent à des degrés divers une forme de rejet viscéral envers la possibilité d’une élection divine faisant des Benéi Israël un peuple à part dans l’Histoire.
Ceci, je vous l’avoue, m’intrigue, m’indigne et me révulse d’autant plus que cela vient de leur part.
Car s’il est tout à fait logique qu’un athée pur et dur ne souffre pas l’idée qu’un peuple soit élu par un Dieu dont il conteste jusqu’à l’existence, comment se peut-il que des brebis toutes fières d’avoir passé haut-la-main le test de dépistage de la gale, qui témoignent avoir fait l’objet d’attouchements foudroyants de la part de la Grâce et se voient confirmer leur mission au service de Sa Majesté notre seul Roi, comment des hommes de foi — tous sexes confondus — ne s’inclinent-ils pas devant l’évidence que le peuple dont ils sont issus n’a jamais pu être choisi parmi les Nations pour indiquer à celles-ci le chemin menant au Découvrement, dès lors que leurs propres ancêtres persécutèrent globalement, torturèrent massivement et massacrèrent récuremment les miens pour cette seule raison, avant que d’en trouver une autre qui fût à même de justifier les prolongations d’une forfaiture illimitée, suite à la conversion très pragmatique de leur État ?
Si nous considérons comme tout à fait plausible que les Sages du Talmud aient cherché à mettre l’accent sur la différence qu’il y a entre le Dieu d’Abrahâm, le Dieu d’Is’hac et le Dieu de Ia‘acob, la pluralité sur laquelle ils s’appesantirent ne saurait concerner l’objet inatteignable de notre quête mais, de toute évidence, la représentation que chacun de nous se fait de l’Être suprême.
Il est dit ailleurs que les récepteurs de la Tora n’adoreront qu’un seul Dieu.
Les trois patriarches hébreux voyant ce Dieu unique de diverses façons, nous en concluons donc qu’aucun d’eux ne Le voit.
Mille ans avant Socrate, l’architecte de l(a nation) prototypique nous fait savoir que la seule chose qu’il sache, c’est qu’il ne sait rien.
Il est une double inclination au désastre qui causerait un tort notoire à Israël si, par mégarde ou avant-gardisme mal placé, ce peuple dont nombreux sont ceux qui continuent encore à lui reprocher de se souvenir qu’en des temps toraniques, il se retrouva seul contre tous à psalmodier l’unicité de Dieu, en venait à penser que, IHVH étant le Dieu d’Abrahâm, d’Is’hac et de Ia‘acob, la Chékhina qui se fit ressentir au premier différait des deux autres.
Procédant par autohypnose, l’arme à double tranchant du premier piégeur inciterait l’adâm à commettre l’erreur fatale d’observer fixement l’ardent miroir désorienteur que lui tend ce pervers narcissique et spoliateur de sa vertigineuse identité quand, péchant par excès de prévention, le champion toute catégorie de résistance aux persécutions irait noyer son chagrin dans la mer Mortifère que refermerait sur lui un séparatisme outré par sa diasporité.
Dieu merci, Israël possède une faculté d’interpolation aussi aiguisée qu’un double sabre séraphique, tournée vers l’intérieur de soi, car ayant pour fonction de tenir en respect la propension à mal faire le bien ou à bien faire le mal, lequel détecteur de systèmes non linéaires hors pair enveloppe de son manteau d’insuperposition la masse totale des mondes connus et inconnus.
Depuis son émergence jusqu’à son émersion, il n’est pas illogique que, pour un peuple errant parmi les Nations, voué comme tout un chacun à convoler en noces avec le non-autre, la dote fît office d’antidote.