« La pièce de Bernard-Henri Lévy a laissé perplexe ce journaliste allemand » : ainsi est titrée la reprise, par le Courrier International, d’un compte-rendu, fait par Arno Frank du Spiegel, du passage de Looking for Europe à Amsterdam.
Passons sur l’étrange parti-pris du Courrier International qui, parmi les dizaines et les dizaines d’articles consacrés à la tournée de BHL a choisi de ne reproduire que celui-là.
Le texte du Spiegel est si mensonger, mesquin et paresseux (et parfois les trois à la fois) que c’est le lecteur loyal et informé qui, devant un art de la fake news manié avec tant de goguenardise, reste «perplexe ».
1°- L’article est mensonger. « La salle prétendument comble », ricane l’auteur ? Eh oui. Le Théâtre royal Carré d’Amsterdam était sold-out. Et la plus élémentaire photographie (telle celle qui illustre cet article) l’atteste. Mais « les 1700 places », continue-t-il, étaient-elles « toutes occupées » ? Fauteuil B12, rang 14, y avait-il une absence ? Voilà le journalisme transformé en ouvreuse. Mais continuons : M. Frank constate que, peu à peu, « des spectateurs se dirigent vers la sortie » et que « des murmures » proviennent de la salle – et pourquoi pas des membres du public se jetant par la fenêtre ? Défonçant les portes des coulisses pour s’échapper ? S’arrachant les vêtements et se roulant par terre ? Rien de cela n’a eu lieu, selon tous ceux (1.699 personnes, donc) qui ont assisté à la representation. M. Frank s’étend ensuite longuement sur BHL qui « bégaie », « bredouille », « cafouille ». Oui mais voilà : c’est l’exact sujet de la pièce (un auteur qui, à voix haute, tente d’écrire un discours). Qu’un chroniqueur du Spiegel ne parvienne pas à discerner ce qui est de la comédie préméditée, et ce qui est un trou de mémoire, voilà qui laisse songeur. Et ce long passage sur un soi-disant moment d’égarement devient un éloge involontaire du talent de l’acteur.
2°- Le texte est mesquin. Comme si M. Arno Frank avait passé les quarante dernières années dans un cloître cistercien, il découvre BHL, et s’appesantit de manière suspecte sur l’argent du philosophe, affirme qu’il finance sa propre pièce (ce qui est faux là encore), et remet sur le tapis les éternels reproches. Voulant être méchant, il le taxe de « caniche mouillé » (sans doute moins que ces petits pétards gorgés d’eau qu’il pense être des poignards assassins) : c’est dire le niveau d’analyse philosophique. A-t-il lu un livre, interrogé des membres du public, ou ceux que BHL rencontre à chacune des étapes de sa tournée ? Le chroniqueur allemand n’avait visiblement pas le temps. Il passait là, regardant cela d’un œil morne, en amateur, et selon les mots avec lesquels il décrit le philosophe : « On pourrait dire : un touriste ».
3°- Le texte est infiniment paresseux. La critique la plus substantielle de l’article du Spiegel serait que BHL se produirait devant des « convaincus » et des « salles de gauche », si bien que la tournée serait vaine. Une nouvelle fois : rien n’est moins vrai. Et c’est si faux qu’ont paru, par exemple, deux compte-rendus des longs entretiens de BHL avec Orban et Babis, deux Premiers ministres populistes, et qu’une enquête élémentaire aurait suffi à s’informer de ses multiples échanges avec les acteurs politiques, qui, dans chaque ville, font le tissu politique de chaque société.
Looking for Europe est donc une pièce qui arrache à Orban des mouvements de peur, mais des sarcasmes désinformés à un chroniqueur allemand. On se demandera lequel des deux éléments renseigne le mieux sur l’impact politique de la tournée.

Photo de la salle du Koninklijk Theater Carré (Le Théâtre Royal d'Amsterdam) lors de la représentation de "Looking for Europe" le 13 mars 2019. Photo : Yann Revol.
Photo de la salle du Koninklijk Theater Carré (Le Théâtre Royal d’Amsterdam) lors de la représentation de « Looking for Europe » le 13 mars 2019. Photo : Yann Revol.

3 Commentaires

  1. La différenciation entre migrants politiques et économiques n’est plus si évidente dès l’instant qu’ils vont tous passer à la casserole du Conseil de sécurité, autrement dit, entre les griffes de passeurs qui font d’une pierre deux coups en obligeant les otages inconscients d’un djihadisme de peuplement à contribuer financièrement à l’effort de guerre sainte. Nous sommes pris dans l’un de ces tourbillons sanglants où l’Union sacrée est de mise. La régularisation des candidats éligibles à l’asile politique doit être simplifiée, accélérée en sorte que la résolution du problème qu’ils nous posent puisse procéder de la résolution du problème qu’on leur pose. Notre implication dans les zones de conflit dont ils s’arrachent en se transfigurant, ira ainsi en s’intensifiant sans que la légitimité de notre interventionnisme laisse quiconque nous mettre à la question. Nous sommes victimes, sinon comme eux, du moins en même temps qu’eux, d’une conjonction d’idéologies bellicistes dont un relent de pacifisme ne nous protégerait guère. Économiquement : nous ne pourrons pas encaisser les prochaines crises migratoires que les écopolitologues nous annoncent impossibles à contenir. Culturellement : l’État de droit est un château de verre qui ne saurait en aucun cas soutenir un surcroît de citoyens-monarques. Il est donc nécessaire que son contenant s’agrandisse à mesure que grossit son contenu de manière que chaque nouvel arrivant puisse être appréhendé comme le coarchitecte de notre construction universelle. Dans le cas contraire, il participerait de sa lente et non moins sûre démolition. Nos aïeux nous transmirent ce qu’ils avaient appris des guerres de religion, à savoir que les peuples qu’un empire monothéiste convertissait de force pouvaient développer un désir de vengeance les rendant quasi invincibles lorsqu’ils se mettaient en tête de prendre la sienne avec autant de détermination qu’il en avait manifestée en vue de dépaganiser ses sujets hérétiques. Le zèle du converti fait trembler le parvis des droits de l’homme? Eh bien, convertissons dare-dare les humiliés du siècle des Ténèbres. Que l’ébranlement change de camp!

  2. Loiseau revient vers l’arche, à qui la faute? Au Grand Débat? En quelque sorte, oui, car la crise nationale nous persuada que l’antidote contre Apocalypse Next était à l’origine de nos malaises individuels. Nous semblons oublier que Bruxelles n’est pas plus un Veau d’or que nous ne sommes des enfants gâteux suspendus à ses pis. Qu’elle est un dèmos protéiforme. Que les projets qu’elle finance n’ont rien d’une manne providentielle dès lors qu’ils sont drainés par les États qu’elle ponctionne. Que Bruxelles ne peut donc aucunement être réduite à une coopération économique là où son mode de redistribution détermine des politiques publiques au sein de chacune des nations qu’elle ambitionne d’unifier et qu’en cela, l’Union européenne est une construction rigoureusement politique, un projet de civilisation dont il est inévitable que les dimensions sociétales et sociales de ses membres convergent et s’imbriquent tel un arcane majeur soutenant, avec intransigeance et grâce, une construction d’avenir, consciente de ses grandes fautes et petits crimes, endurante et réparatrice, mimant l’économie divine. Le Grand Débat n’a aucune chance de convaincre aussi longtemps qu’il ne s’invitera pas dans une campagne qui est on ne peut plus sienne, que le torrent d’éclaircissements qu’il a fournis à l’exécutif d’un pays qui n’est pas le dernier parmi les éclaireurs du monde, n’est pas remonté bien plus haut que jusqu’au seul sommet d’un seul État de cette nation transcendantale qu’est notre Europe en gestation.

  3. Arno Frank se désole que Looking for Europe n’affiche pas complet jusqu’en 2039 sur tous les continents de chacune des planètes héliocentrées de notre constellation acéphale. Qu’il trouve ici un point d’accord avec la tête de Turc qu’il n’eut pas même l’audace créative d’affronter à contre-courant. Lévy écrivit sa pièce pour cette unique raison qu’il déplorait que la culture européenne s’étiolât en douce, et sans douceur, à la faveur d’une mauvaise pente dont les mémoires qui la dévalent ne parviennent plus à se remplir qu’à la manière des anticréatures totémisées par un taxidermiste, comme s’il fallait qu’elles soient vidées en toute hâte de leurs propres entrailles sous peine d’avoir à endurer les joies sadiques de la décomposition avancée. Autant l’Europe ne serait rien sans les nations dont elle excède la somme, autant celles-ci n’auraient aucune chance de conserver leurs superbes visages si l’union de tout leur corps et de tout leur esprit ne continuait d’être irriguée par des forces préhistoriques, antiques, médiévales, renaissantes, baroques, classiques ou romantiques — eh oui ! le XIXe siècle ne fut pas que le géniteur hermaphrodite d’un monstre unique en son genre — ayant atteint une modernité pérenne ranimant ses rameaux tellurique, animiste, polythéiste, monothéiste, prophétique, théocratique, monarchique, démocratique, républicain, impérialiste, féodal, intégriste, absolutiste, rationaliste, libéral, communiste, fasciste ou mondialiste, forces qui deviendraient si véhémentes au contact d’une tartufferie s’employant à broyer leurs substructions vitales au nom d’humanités réduites à leur portion concon, qu’elles seraient capables de refluer, durant quelques minutes de zone grise, afin de délivrer à la progéniture artificielle de Rachi et d’Érasme le valéryen électrochoc sur l’apparente agonie des civilisations dormantes. Tiens, à propos de Valéry… Ne dit-il pas de l’écrivain que, ne trouvant pas ses mots, il est condamné à les chercher, ce qui lui offre une chance d’en trouver de meilleurs ? C’est parce qu’elle sait maintenant ne pas pouvoir compter sur l’autonomie intellective de ses peuples que l’Europe devrait être rassurée de voir ses sigisbées les moins déquichottés s’éprendre d’elle au point d’aller cultiver le jardin des autres. Les philosophes ne sont pas des pop stars. Ne soyons pas catastrophés à l’idée qu’un d’entre eux, qui aurait pris la peine d’informer ses contemporains du fait qu’il existait un multivers après la Virtualpolitik, n’ait pas attiré vers ses Thermopyles un défilé de trumpismes éculés.