Je tombe sur le livre de François Ruffin, «Ce pays que tu ne connais pas».
Je découvre les allusions lourdes de sous-entendus au passage d’Emmanuel Macron par cette boîte à fantasmes qu’est, depuis un siècle, la banque Rothschild.
Puis sur les pages où l’auteur dit son rejet «viscéral», sa détestation «physique», d’un président dont il dresse un portrait qui se veut féroce et minutieux.
Je m’étonne de la violence de la charge.
Je songe à la règle non écrite qui veut que les libelles, en régime démocratique, s’en prennent au corps politique du souverain, pas à son corps de chair et de muscles.
Et je songe, symétriquement, que c’est un trait des politiques les moins démocratiques de passer ainsi de l’idéologie à la physiognomonie, de la dialectique à l’anatomie.
Bref je trouve que le député a franchi un cap.
J’estime que le juste projet d’être le porte-voix des aphones et de la misère du monde ne justifie en aucun cas cela.
Je le dis.
J’écris, sur Twitter, que le parler-Ruffin, qu’il le sache ou non, qu’il l’ait voulu ou pas, prend sa source, ici, dans une rhétorique qui est celle des années 1930.
Jugeant que le Rouletabille des Insoumis glisse de la défense des «vies minuscules» au confusionnisme rouge-brun, je cite, très précisément, Rebatet, Déat et le premier Vallat.
Et voilà que, de tous les coins de la Toile, me revient ce rappel à l’ordre : «voit des fascistes partout ! met le fascisme à toutes les sauces ! n’est-ce pas lui, le salaud, qui a franchi ce cap, ce point de non-retour absolu, qui s’appelle le “point Godwin” ?»
La séquence en dit long.
Non pas tellement sur monsieur Ruffin.
Mais sur cette histoire de «point Godwin» qui est en train de devenir, mine de rien, une machine argumentative aux effets très étranges.
A l’origine, comme on sait, il y a un paisible avocat, Mike Godwin, qui constate, sur un mode moins offusqué que potache, que, plus une discussion politique s’éternise, plus elle a de chance d’en arriver à évoquer Adolf Hitler.
A l’origine, oui, il y a un détail façon Flaubert sur les clichés du langage à l’aube de l’ère Internet – et l’observation, souvent juste, que les Bouvard et Pécuchet d’aujourd’hui ne peuvent pas s’empêcher, quand ils veulent achever l’adversaire, de sortir la massue morale de la réduction à l’hitlérisme.
Mais voilà que la notation tourne à l’argument d’autorité.
Voilà que la mise en garde devient un jeu de «chat perché !» qui permet à quiconque se trouve effectivement pris en flagrant délit de tourisme sur les rives brunes de la pensée de couper court et de fermer le ban. Voilà que ce fameux «point Godwin» devient comme un bouton d’alerte qui, activé au bon moment, autorise les vrais fascistes, ou les démocrates en rupture de ban et en route vers quelque chose qui pourrait, un jour, ressembler à du fascisme, à s’indigner d’être traités comme tels.
Et voilà que, par un retournement d’une perversité proprement extraordinaire, cette prétendue loi de Godwin installe, parmi les règles du bon goût sur le Web, le principe suivant : «ne plus jamais parler de fascisme ! jamais ! même, et peut-être surtout, quand on en perçoit, encore timides, ou indistincts, ou sur le point de tonitruer mais hésitant encore à le faire, des signes avant-coureurs ou des échos.»
La loi de Godwin interdit d’avoir de l’oreille.
La loi de Godwin est une massue morale à l’envers qui nous enjoint d’oublier que le fascisme a existé et que, de même qu’il a un passé, il pourrait avoir un avenir.
La loi de Godwin neutralise tous nos capteurs et interdit de parole quiconque essaie de ne pas oublier que les mots ont de la mémoire.
Partie d’une remarque de bon sens sur les gens qui voient du fascisme partout, la nouvelle loi exige qu’on ne le voie plus nulle part.
Je revendique, on l’aura compris, le droit de transgresser cette prétendue loi de Godwin.
Je pense qu’il y a des circonstances (quand, dans cette fête aux sycophantes que sont devenus les réseaux sociaux, sévissent, masques tombés, des discours vomissant la démocratie libérale, la République ou les élites) où il faut refuser le chantage au «point Godwin».
Et je précise, pour la petite histoire, que le premier à le dire aura été Mike Godwin lui-même.
Il l’a fait à deux reprises.
Après les manifestations de Charlottesville où des nationalistes blancs avaient semé la terreur : «par tous les moyens, écrivit-il alors, comparez ces salopards aux nazis ; encore et encore ; je suis avec vous.»
Puis, en octobre 2018, au moment de l’élection, au Brésil, d’un président amoureux des militaires, détestant les homosexuels et les Indiens, raciste : «ce n’est pas parce que la comparaison est parfois abusive, déclara-t-il à la Folha de São Paulo, qu’elle n’a pas, ici, tout son sens et qu’il faut se priver de dire que Jair Bolsonaro est un Führer au petit pied.»
Eh bien, ce qui est vrai pour les chemises brunes tropicales ou pour les nostalgiques du Ku Klux Klan rejouant «Naissance d’une nation» au XXIe siècle, est vrai partout.
Et il faut vraiment souhaiter que cette parenthèse Godwin, avec ses effets d’intimidation et d’ignorance, soit très vite reléguée au rayon des antiquités de la jeune vie d’Internet.
Vive le « point Godwin » !
«Quand il pleut, dites qu’il pleut», recommandait encore Flaubert : quand le «point Godwin» est franchi, quand se reconnaît, sous la plume d’un député de la République, la filiation consciente ou sournoise avec la prose de Gringoire, il faut dire qu’il est franchi, et inviter au ressaisissement.
Il faut franchir le «point Godwin»
par Bernard-Henri Lévy
12 mars 2019
Pourquoi il faut refuser le chantage au «point Godwin» si répandu sur la Toile.
Enorme. Quand BHL exige le droit de faire des Points Godwin sans qu’on les qualifie de Point Godwin. Il n’y avait que lui pour oser.
Retour de lapidaire : L’ambiguïté que fait planer sur la cohérence de mes engagements le risque de contresens que mon style n’est pas près de vous épargner, ne doit surtout pas être dissipée avant d’avoir été judicieusement exploitée.
Confronter à leurs contradictions des rehausseurs du pouvoir d’achat de la classe moyenne inférieure lorsqu’ils mettent sur la paille plusieurs kiosquiers parisiens, ne doit pas détourner la grande presse de la cible d’une attaque trahissant les obsessions conspirationnistes de ses auteurs , j’entends par là le quatrième pouvoir, que les milices douguinistes de l’uchro-empire imaginent à la solde d’un agent double des États-Unis d’Amer-Hic ! — mais où vont-elles chercher tout ça ?
Nicolle et Drouet ne sont pas malhabiles. Agglomérant un ramassis d’idéologies incompatibles prêtes à unir leurs énergies destructrices le temps d’évacuer leur planète d’un méchant générique bondissant de cauchemar en cauchemar, ils possèdent la faculté d’attribuer à leurs cibles la responsabilité des actions délictueuses qu’elles pourraient avoir à subir si jamais elles refusaient de se plier à leurs quatre volontés. Les mettre aux arrêts ferait d’eux des prisonniers politiques et leur conférerait, en moins d’une heure de couverture médiatique mondiale, la stature de deux libérateurs d’envergure internationale. Il en est tout autrement d’un Schwarzer Block de fanatiques anticapitalistes vandalisant, semaine après semaine, les symboles de la Ve République comme d’autres épouvantails narcissiques n’hésitèrent pas à réduire en poussière les traces de leurs racines païennes en Irak et au Levant. Voilà pourquoi les templiers illibéraux utilisent des boucliers humains qui vont rendre totalement impuissant le dispositif défensif d’un État attaché à observer les droits de l’Homme désarmé. Or qu’en est-il du citoyen éclairé d’une civilisation européenne, esprit adulte et responsable censé pouvoir se diriger tout seul dans la nuit cristalline aux effets de miroir grossissant, en se fiant uniquement au radar criticiste en possession duquel il fut livré à lui-même ?
Les déséquilibres macroéconomiques nécessitent une régulation permanente. Car nous ne connaissons pas de liberté qui ne soit précédée d’un saut de l’ange dans l’espace-temps, l’Histoire universelle est un chef-d’œuvre inachevable en apparence et requérant la plus vive attention de la part de ses cocréateurs, qui s’acquitteront de leur mission, chacun selon sa position sur l’ineffable échelle contrapuntique de la conscience qu’il défait la totalité qui l’inclut sitôt qu’il la parfait. Les colégislateurs n’ont pas été élus pour déréaliser ces mouvements de convection générant de l’instabilité dans les êtres et les choses. Le mythe du meilleur des mondes passerait nécessairement par l’abolition d’un privilège exceptionnel qui est celui de respirer l’oxygène universaliste que sont les libertés fondamentales. Partant, ce ne sont rien d’autre que les droits fondamentaux que menacent les factions antilibérales quand elles sont prêtes à saccager, à incendier et, disons-le, à assassiner dans l’objectif de renverser les premiers régimes de la planète qui se soient fondés sur l’idée qu’un certain nombre de droits fondamentaux, au nombre desquels se trouvent les libertés individuelles, s’inscrivent dans la nature même des êtres humains, et donc, que priver ces derniers de leurs droits reviendrait à les déposséder de leur propre nature.
Projetés au cœur du champ de bataille d’une guerre de Religion, difficile de voir se dessiner une ombre de Lumières, à moins d’être du genre à s’extasier face au degré d’intégration des petites sœurs d’Atta ou Merah Mohammed, transgresseuses de circonstances, étendards de la Cause prêtes à toutes les compromissions pour remporter le combat à l’usure, comme s’incruster dans le public des talk-shows à succès où leur chaperon les menace de sanctions immédiates, au cas où elles auraient l’impudeur de laisser dépasser du hijab H&M une mèche de cheveu, tout en les invitant à esquisser un sourire angélique aux vannes graveleuses de Jean-Marie Bigard. Il importe que la migrante des terres d’islam puisse bénéficier du droit d’asile qui lui est dû sans vivre comme un second viol son exfiltration en zone libre internationale. Il est tout aussi impérieux que les démocrates des terres de démocratie apprennent à faire respecter les principes élémentaires d’une civilisation éclairée aux jeunes pousses de l’alterglobalisation néo-obscurantiste si nous ne voulons pas laisser aux copycats d’Anders Behring Breivik le soin de repeindre à leur sauce un mur d’immeuble londonien sur lequel l’idolâtrique portrait street art géant de Jeremy Corbyn n’est pas sans évoquer le culte du chef de toutes les dictatures.
Deux missiles iraniens s’écrasent aux abords de la Bulle progressiste, capitale que les alliés objectifs de la Reconquista islamica ont choisi d’attribuer à l’État sursitaire d’Israël. Ces armes de destruction, spécialement conçues pour faire du dégât collatéral, porteraient la signature du Jihad islamique palestinien, laquelle murmuration de perdreaux reconditionnés aurait, depuis quelques années déjà, pris le relais du Hamas auquel la gestion des affaires courantes n’accordait plus la possibilité de mener efficacement la guerre totale contre l’Obstacle n° 1. Sauf que si, comme nous le disons, l’Iran a effectivement changé de bras armé de l’autre côté de ce qu’il se représente comme une ligne Maginot, ne sommes-nous pas sommés d’en déduire que son ancienne milice gazaouie est à présent l’interlocuteur diplomatiquement correct que nous, hommes de bonne volonté à l’ancienne, appelions de nos vœux ? Oui, c’est bien cela. C’est en ceci que tient toute la programmation du simulateur de feux d’artifice paralysant nos huiles. Le même phénomène qui, en 2002, avait nimbé de Nobel de la paix les kamikazes palestiniens ovationneurs du 11-Septembre, tandis que nos idiots d’État s’évertuaient à distinguer entre bon et mauvais terrorismes, le bon visant exclusivement le « bacille juif » (nazi ancien). Au moment même où la version neuneu de Rabbi Iéshoua‘ célèbre la défaite de Daech, on imagine par quel faux étonnement elle accueillit la sortie de tête chî’ite de son Autruche de Lerne. « La mort continue » est son crédo zombiaque. Aucune trêve ne nous sera concédée.