«Aucun élément objectif », selon une source proche du dossier, ne permet d’établir un lien technique entre l’effervescence sur les réseaux sociaux, les services russes, et les Gilets jaunes.

Les services de renseignement ont ouvert une enquête afin de vérifier le rôle des réseaux sociaux, et notamment les conditions d’ouverture de comptes suspectés d’avoir démultiplié de façon automatisée informations et commentaires qui auraient pu tenter d’amplifier la mobilisation, bien réelle, des Gilets Jaunes. Mais d’autres signaux internationaux peuvent légitimement alerter quant aux tentatives de récupération du mouvement et aux stratégies de conquête de certains leaders peu réputés pour leur attachement aux libertés individuelles.

Vladimir Poutine, le président russe

Vladimir Poutine, tout d’abord, aura bel et bien appelé le week-end dernier «les autorités parisiennes à s’abstenir de tout recours excessif à la force, conformément aux principes de l’humanisme». Cette envolée du président russe est-elle à prendre au premier degré ? Oui. Nous viennent immédiatement à l’esprit les images de Syrie, de Tchétchénie, des 50 lois promulguées depuis 2012 afin d’étouffer les voix dissidentes en Russie, le visage cadavérique d’Oleg Sentsov, celui d’Anna Politkovskaïa, et bien d’autres. L’acmé du cynisme, une quasi performance artistique, est de l’un de ses chefs-d’oeuvre. À l’accusation d’encouragement de la colère sur les réseaux sociaux, plusieurs médias moscovites ont d’ores et déjà répondu que la responsabilité incombait «aux services secrets américains» : «L’affaiblissement de Macron serait dans l’intérêt de Donald Trump.»

Bahram Qassemi, le porte-parole du gouvernement iranien

Le 3 décembre, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères iranien, Bahram Qassemi, probable futur ambassadeur de la République islamique en France, déclare que «le gouvernement français ne peut pas persister dans la violence contre son peuple. Nous lui recommandons de faire preuve de retenue». Rappelons simplement ici qu’en Iran plusieurs centaines de personnes ont été exécutées, parfois en public, et des milliers d’autres se trouvent toujours sous le coup d’une condamnation à mort – selon Amnesty International, certaines victimes avaient moins de 18 ans au moment des faits qui leur étaient reprochés.

Alexandr Dugin, le théoricien russe ultra nationaliste

Le mardi 4 décembre Alexandr Dugin publie le message ci-dessous :

 

 

Qui est Alexandr Dugin ? Un influent théoricien politique en Russie, ultra nationaliste, «panslave», rêvant de reconstruire le grand empire russe, haïssant l’Occident et ses valeurs «dégénérées», et très en vue dans les arcanes du gouvernement de Vladimir Poutine.

Depuis le début du mouvement, Alexandr Dugin ne poste pratiquement plus que sur les Gilets Jaunes sur ses réseaux sociaux, relayant à l’envie la couverture «presse» des événements parisiens par Russia Today et Sputnik News ou encore les hoax de sites satiriques plus ou moins douteux. Porté par son «élan», plusieurs de ses publications ont également ciblé Bernard-Henri Lévy. Surexcité par les images les plus spectaculaires des manifestations, allant jusqu’à comparer Paris à Alep, il en oublie même l’Ukraine et son projet d’annexion de cette dernière par la Russie pour les besoins de son grand projet eurasiatique.

 

 

Steve Bannon, le chef de campagne de Donald Trump

Le 8 décembre, c’est au tour de Steve Bannon de se réjouir, à Bruxelles, des émeutes aux côtés de Marine Le Pen : «Paris brûle».
L’ancien conseiller et chef de campagne de Donald Trump assistait avec la présidente du RN à une réunion à l’initiative d’un parti flamand d’extrême droite. Il s’agissait là de l’une des étapes de sa grande tournée européenne auprès des leaders nationalistes du continent et pour l’organisation internationale qu’il a créée en vue des élections de mai 2019 : Le Mouvement.
Le nom d’utilisateur pour se connecter au WiFi lors de l’événement belge? «Immigration», a noté une journaliste sur les lieux . «Paris brûle, Londres est en crise, et le pacte de Marrakech sur les migrations est mort avant même d’avoir été signé», a-t-il déclaré, tout sourire.

Recep Tayyip Erdogan, le président turc

Toujours le 8 décembre, Recep Tayyip Erdogan s’y met également. Il critique la «violence disproportionnée» des autorités françaises face aux manifestations de Gilets jaunes :

«Le désordre règne dans les rues de nombreux pays européens, à commencer par Paris. Les télévisions, les journaux regorgent d’images de voitures qui brûlent, de commerces pillés, de la riposte des plus violentes de la police contre les manifestants», a déclaré le président turc.

Les Kurdes – accusés par une porte-parole des Gilets jaunes, sur un plateau de télévision consacré au mouvement quelques jours auparavant, d’être à l’origine de la casse à l’Arc de Triomphe –, les minorités réprimées, les journalistes et les intellectuels emprisonnés n’ont que très peu apprécié les mots de l’organisateur des purges politiques de 2016.

Donald Trump, le président américain

Donald Trump aura bien évidemment tweeté, lui aussi, en ce jour de discorde national. Après avoir tenté d’expliquer que le mouvement des Gilets jaunes était bien la preuve que l’Accord de Paris sur le climat ne «marchait pas si bien que ça», il a assuré dans un autre message que nous avions pu entendre parmi les manifestants : «We want Trump».

Matteo Salvini, le ministre de l’intérieur italien

En Italie, le ministre de l’Intérieur (et des ligues) Matteo Salvini aura lui aussi emboîté le pas de cette inquiétante internationale : «La violence n’est jamais justifiée, mais qui sème la pauvreté récolte les manifestations», a-t-il lancé sur Twitter.

Boško Obradović, le leader nationaliste serbe

En Serbie, c’est un leader d’un mouvement de droite nationaliste, Boško Obradović, qui a revêtu au parlement un gilet jaune pour aborder le prix des carburants.

 

 

Organisations d’extrême droite en Allemagne

Depuis le 1er décembre, plusieurs organisations d’extrême droite allemandes appellent au rassemblement en gilet jaune à Berlin, avec des slogans assez flous sur la justice fiscale mais très clairs sur le pacte de Marrakech et l’immigration. Objectif : «en finir avec ces politiques inconséquentes qui donnent tous les droits aux étrangers alors que les Européens de souche, eux, sont traités comme des citoyens de seconde zone».

Strasbourg et les théories du complot

Le 11 décembre, en tout début de soirée, à deux pas du marché de Noël de Strasbourg, un homme ouvre le feu. Le tireur était toujours en fuite tard dans la nuit et la population confinée. L’union nationale et la solidarité sera-t-elle de mise dans les jours qui viennent ou la compassion et la lutte contre le terrorisme sera-t-elle reléguée aux confins de la «sensiblerie bourgeoise» de «l’oligarchie dominante», comme on peut facilement le lire dans les torrents de commentaires des groupes tenus par les Gilets ? Les premières théories du complot sont tombées instantanément, comme d’habitude, mais elles pullulent d’autant plus frénétiquement que des pages et des pages aux audiences soutenues ont essaimé depuis près d’un mois. Ce qu’on peut y lire donne le vertige. Qu’adviendra-t-il de la colère avec l’annonce d’un état d’urgence «économique et sociale» ce lundi, télescopée par «l’urgence attentat» face à la menace terroriste, décrétée ce mardi ?

Sur beaucoup de forums, groupes, fils twitter et dark web, il est très clair pour certains que l’attaque de Strasbourg a été commanditée par le gouvernement pour faire taire les Gilets, soit un plan secret d’État pour accentuer la misère des manifestants…

Un état d’urgence intellectuelle absolu sur les réseaux sociaux doit être aussi promulgué. Et il est, à minima, un mépris légitime et salutaire ces dernières heures à l’endroit de ceux qui ont décidé en deux clics trollesques et crasses que les trois victimes de l’attaque de Strasbourg n’existent pas et que leur bourreau est à la solde des autorités d’une grande démocratie.

 

 

 

2 Commentaires

  1. Quelle différence y a-t-il entre un Ribbentrop aryen et un Ribbentrop iranien? Le Ribbentrop aryen ne se fait pas d’illusions sur le sort que ses juges lui réservent. Ça réduit son fan club.

  2. Barto Pedro Orent-Niedzielski est la cinquième victime de la fusillade du marché de Noël de Strasbourg. Déclaré en état de mort cérébrale depuis mardi dernier, il aura succombé dimanche soir aux blessures que lui avait infligées son impuissant coranisateur. Lionel Wurms, président de l’association ABD et du festival Strasbulles, nous le décrit comme l’exact opposé de son assassin. Pourrait-on dire que Bartek, personnalité apparemment très investie dans le tissu associatif strasbourgeois, s’était, entre autres engagements
    laïquement chevaleresques, lancé à la reconquête des territoires perdus de la République? Auquel cas, ne serait-il pas judicieux, quitte à infirmer cette piste ou être amené à la confirmer et devoir renforcer notre arsenal de prévention, de vérifier si cet homme on ne peut plus Charlie n’aurait pas fait l’objet d’un assassinat ciblé maquillé en attentat aveugle?