Tbilissi, 22 novembre 2003, Mikheïl Saakashvili, une rose à la main, accompagné de ses partisans, fait irruption au parlement géorgien, après des jours de mouvements populaires, contestant corruption et élections truquées.

En quelques heures, les vieux apparatchiks et Chevardnadze, « le renard blanc », ancien membre du politburo de l’URSS resté sous la pression russe, doivent enfin quitter le pouvoir. Une nouvelle génération pleine d’espoir, tournée vers l’Europe et l’Occident prend les rênes du pays. 

C’est la révolution des Roses, qui accompagnera toutes celles dites de « couleur » dans la région et dont les peuples vont tenter de rejeter en masse et comme ils le peuvent les désirs impériaux de contrôle et de soumission de Moscou. Orange pour l’Ukraine… tulipes au Kirghizistan… en Jean au Belarus… et autant de mouvements de jeunesse cultes façon Otpor, acteur capital de la chute du régime de Slobodan Milošević. 

De ces années d’effervescence et d’ouverture, le Kremlin nourrit sa haine et ses plans de revanche sanglante. En 2008, Moscou lance ses chars sur Tbilissi, annexe l’Ossétie et l’Abkhazie, fait passer « Misha », surnom de Mikheil Saakashvili, pour un fou, l’Occident le déclare pudiquement « imprudent » ou « va-t’en guerre », les agents russes, eux, l’inscrivent en sursis…

Sa génération perdra donc irrémédiablement son poids électoral, la Russie se rassure et retrouve son influence morbide. Moult chancelleries en seraient presque soulagées.

Ces petits « insolents » à la rose, certes courageux, mais trop intrépides et turbulents, sont lâchés. Les Ors des palais ont besoin de calme et de feutré, les remuants ont forcément tort, quand bien même seraient-ils honnêtes et forts. Fût-ce pour la liberté, il ne vaut pas la peine de soutenir nos idées de dignité élémentaire. Vladimir Poutine savoure. Et poursuivra ses plans. Nous connaissons la suite tragique… et les discrets remords et regrets de ceux qui n’auront pas voulu entendre et croire les alertes de toute cette jeunesse, immense de talent et de courage, gâchée sur l’autel des œillères prétendument « raisonnables », pour ne pas dire crasse de lâcheté, de mépris et de cynisme.

Avril 2023, Misha n’est plus que l’ombre de lui-même.

Il est incarcéré depuis des mois à Tbilissi, vraisemblablement empoisonné à petit feu par une main trop évidente pour la nommer, décharné, maltraité, humilié, torturé. Une petite équipe de fidèles se bat pour dénoncer ses conditions iniques de rétention, alerter l’opinion sur ce crime en direct dont les images et les lettres exfiltrées de prison tordent les tripes et les âmes quand on a connu cet opposant si charismatique aux allures fières et décidées. 

Ces proches politiques viennent de déposer un recours auprès de la Cour Européenne pour les Droits de l’Homme, ils implorent une intervention de notre pays, (la présidente géorgienne officielle n’est-elle pas aussi française ?) et ont sollicité Bernard-Henri Lévy au nom de combats partagés et du soutien indéfectible du philosophe aux tenants de l’opposition à l’impérialisme russe. 

Misha a demandé en personne qu’il lui soit confié la réception à Varsovie, à sa place, de son prix « Lech Kaczyński Prometheus Awards », du nom de l’ancien président polonais ayant péri dans le crash qui décima toute une partie de la classe politique polonaise le 10 avril 2010, à Smolensk, alors qu’elle se rendaient aux 70e commémoration du massacre de Katyn. 

En ce 12 avril 2023, BHL est donc, bien sûr, au rendez-vous. 

La cérémonie accueille un parterre d’officiels britanniques, Ben Wallace étant également honoré ; des polonais, de la presse européenne et des représentants de cette Géorgie libre, chaleureuse, vibrante d’espoir. 

La mère de Misha a fait aussi le déplacement, toute en dignité et finesse, cette universitaire au regard tendre et lumineux prononcera à la tribune un hommage à son fils. A cet instant, il est toujours évident que s’il est bien une chose impossible à réaliser pour Poutine, aussi machiavélique soit-il, c’est l’annihilation de la force et de la détermination gravées dans le marbre des convictions de toutes ces femmes, mères, amies, filles de ces peuples objets de ses obsessions fascistes. 

BHL entame ensuite un discours en l’honneur du leader de la révolution des roses, très attendu à Tbilissi, où il est diffusé en direct sur les chaînes d’opposition, provoquant l’émotion jusqu’aux larmes de ses compagnons de toujours ou de leur relève, d’anciens ministres désormais en uniforme militaire siglé de bleu et de jaune de la légion géorgienne engagée aux côtés de l’Ukraine. 

« Je demande à être transféré en Pologne, car il est clair qu’à l’hôpital géorgien, je mourrai », a écrit un peu plus tôt l’ancien président de Géorgie à Bernard-Henri Lévy.

La Pologne a évidemment signifié son accord. Reste à convaincre les autorités géorgiennes de ne pas céder à leur démon. Comme l’a suggéré si justement BHL en ce grand soir varsovien, l’Histoire rendra toujours compte des actes des uns et des autres, des gestes qui auront permis le crime et de ceux qui auront tenté de l’empêcher ; et BHL d’ajouter que si la Géorgie se rêve européenne, elle est au pied du mur et doit choisir ; puis de rappeler que, sur ce continent, il est un principe fou à rappeler : non, il n’est pas permis de laisser assassiner ses opposants. 

Un commentaire

  1. La Géorgie a bel et bien ouvert les hostilités, mais la Russie porte une part de responsabilité dans la genèse du conflit qui ébranla le Sud du Caucase au mois d’août 2008 : telle est la conclusion du rapport remis mercredi 30 septembre 2009 aux pays membres de l’Union européenne (UE) afin d’identifier les torts des deux parties dans cette guerre éclair.

    Ce conflit s’était soldé par la défaite de la Géorgie et l’indépendance autoproclamée de ses deux régions séparatistes, l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud. D’après Heidi Tagliavini, la diplomate suisse qui a piloté les travaux de la commission indépendante mandatée par l’UE en 2008, « les deux côtés portent leur part de responsabilité ».

    Le rapport réduit tout d’abord à néant les arguments avancés au début de la guerre par la Géorgie. Son président, Mikheïl Saakachvili, avait justifié l’intervention des troupes géorgiennes dans les régions séparatistes au motif d’une « invasion » par la Russie.

    « Crimes de guerre »

    « Les hostilités ouvertes ont commencé par une opération militaire géorgienne de grande ampleur, dans la nuit du 7 au 8 août 2008 », juge au contraire le rapport de la mission indépendante. « Il n’y avait pas d’offensive en cours de la part de la Russie avant le début de l’opération géorgienne », indiquent les enquêteurs, en dépit « de mouvements de volontaires et de mercenaires » observés depuis quelques semaines dans la région. L’attitude géorgienne ne pouvait donc pas être justifiée par un souci de « légitime défense ». Une conclusion qui devrait accroître la pression sur le président géorgien, accusé par son opposition d’être tombé dans un piège