Que voit-on des migrants venus jusqu’en Europe hormis quelques images glanées au détour d’un JT et l’amoncellement des préjugés ? Rien ou presque… Ces sans-papiers condamnés à l’errance dans le désert bétonné de nos villes, nous les croisons pourtant tous les jours. Ils ont des états d’âme, des sentiments… Et aussi surprenant que cela puisse être, des passions ! Les plus jeunes d’entre eux, venus seuls sur le Vieux Continent, sont nommés « Mineur Isolés Etrangers » (MIE) par l’administration. Ils atterrissent en Europe sans bagage mais avec leurs rêves de gosse. Au pays, beaucoup s’imaginaient devenir stars du football. Certains ont même développé quelques habiletés particulières dans l’exercice du drible ou du sang-froid devant le but adverse. Les rudesses de l’exil, les nuits passées dehors, les brimades et autres blessures morales ou physiques ont souvent eu raison de ces douces fictions enfantines. Souvent mais pas toujours… C’est justement dans un club de football pour jeunes migrants, le Melting Passes, que le réalisateur Mathias Pardo a posé ses caméras. Il en a tiré Just Kids, un documentaire poignant diffusé mercredi 7 novembre à 21h, sur Canal +. Le film retrace le combat de Dian Malal, Issouf et Steve, trois jeunes entre 16 et 17 ans, venant de Guinée Conakry, de Côte d’Ivoire et du Cameroun. Trois passionnés de football qui, en attendant la régularisation de leur situation en France, vont trouver refuge dans la fraternité d’une équipe montée de toutes pièces par quelques bonnes âmes. La jeune avocate Maud Angliviel, soutien moral et fondatrice du club, explique : «Melting passes est un club de foot pour mineurs isolés, monté par une bande de juristes. L’idée est venue car on côtoyait régulièrement ces jeunes dans le cadre d’engagements associatifs. Nous nous sommes rendus compte qu’il était impossible pour eux de s’inscrire dans des clubs de foot traditionnels car cela nécessite une situation administrative régulière, chose que ces jeunes ne possèdent pas. Tous souffrent de l’ennui, du désœuvrement. Ces jeunes souhaiteraient s’activer. Faire des choses… Parmi ces choses qu’ils souhaiteraient particulièrement faire, comme beaucoup de grands ados, on trouve jouer au football…»

Jouer au football alors même que l’on dort dehors, que l’on ne mange pas à sa fin, que l’on se retrouve déscolarisé et totalement perdu dans un pays qui conteste jusqu’à votre état civil peut paraître largement anecdotique. L’initiative Melting Passes prouve au contraire que c’est en multipliant l’aide associative et le soutien concret aux migrants que l’on intègre vite et bien, en injectant du sens et des valeurs républicaines.

Filmé sur plus d’un an, Just Kids pointe sans pathos les difficultés des jeunes migrants à se loger, à se nourrir, à se scolariser, mais aussi leur plaisir à se retrouver ensemble sur un terrain de football. Il raconte des trajectoires parmi laquelle celle de Dian Malal, somme toute classique. Son chemin d’exil débute en Guinée Conakry passe par le Sénégal, la Mauritanie puis prend la route jonchée de morts de la Libye. Tout cela à 15 ans, pas plus. Des connaissances, compagnons d’infortune croisés par hasard, s’y feront assassiner et passeront finalement aussi vite dans la vie de Dian Malal qu’ils y sont arrivés… Poussé à continuer sa route, Dian Malal saute finalement le pas. Il tente la traversée vers l’Europe, direction l’Italie. «On a embarqué à 1h du matin, se remémore-t-il. On était 115 dans le bateau je crois. En Italie, je ne voulais pas y rester car je ne parle pas italien… Je voulais venir en France. C’est à Vintimille que je suis monté dans un train pour passer la frontière. Je suis arrivé à Nice. J’ai demandé à des gens comment me rendre à Paris. Je pensais que les choses y seraient plus faciles pour moi. Je dormais un peu partout. Dehors. A Jaurès. Porte de La Villette. Et en dessous le pont là, à Stalingrad. Je me suis découragé… Pourquoi je suis venu à Paris ? Pourquoi… Pourquoi c’était très dur pour moi comme ça ?» Le témoignage est pudique, poignant, bouleversant. Dian Malal s’accrochera au football comme à une planche de salut. Il trouvera au Melting Passes de nouveaux amis, une famille de substitution, de l’aide juridique.

A ses cotés, on trouve également l’ivoirien Issouf devenu son coéquipier. Bon technicien, à l’aise balle au pied, ce dernier a été floué par un faux recruteur qui l’a fait venir en Italie en lui promettant monts et merveille et surtout des tests dans les plus grands clubs de la Botte avant de le lâcher dans la nature. «Il n’y a pas de bonheur sans souffrance», lâche-t-il philosophe, après un énième passage chez la juge pour enfant qui le laissera SDF plutôt que de le placer dans un foyer… Just Kids ne triche pas, c’est là sa grande force. L’air de rien, en se contentant de raconter la vie à hauteur d’ado, le documentaire enchaîne les scènes terribles et les passages euphoriques, petites victoires remportées sur le terrain, grandes victoires remportées dans la vie réelle, lorsqu’on retourne à l’école ou l’on retrouve un toit. Le film se fait politique lorsqu’il montre la justice française labyrinthique, procédurière jusqu’au non-sens. Du Kafka. Il montre aussi – surtout ! – l’extraordinaire soif de vie de ces migrants venus d’Afrique subsaharienne pour la plupart, qui n’ont plus rien à eux, sont tellement seuls et démunis qu’ils n’ont d’autres choix que de se battre. Baisser les bras ne leur servirait à rien. Disparaître se ferait dans l’indifférence. Alors ils continuent, coûte que coûte… Quitte à dormir dehors… Quitte à se faire expulser. Sans exagération, on peut écrire ici que ces mineurs frôlent, pour de vrai, chaque soir, une mort possible voire probable. Leur survie, ils ne la doivent qu’à une poignée de bénévoles ou professionnels dont l’engagement force le respect tant il amène du concret dans le fatras de bonnes intentions jamais suivies d’effet de nos existences privilégiées. Ils s’appellent Maud, Pierre et Léo, sont fondateurs et animateurs du Melting Passes. Ce sont des héros. Des saints qui tendent la main et sauvent des enfants. Simplement des enfants. Just kids… Un conseil donc : mercredi soir, regardez à tout prix ce documentaire ! Un film poignant que l’on doit aux producteurs Anna et Harry Tordjman (déjà à l’origine des formats courts Bref et Bloqués et de la fresque sociétale A Voix Haute). Just kids. Comme un match de football, quatre-vingt-dix minutes finement montées, tournées à hauteur d’hommes. C’est bouleversant.


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