C’est un stade en pleine ville, à l’anglaise. Un endroit comme on n’en fait plus. Les merguez y grillent gentiment sur le barbecue, la bière coule à flot dans le troquet d’en face. Maillots sur le dos, les gamins y trépignent d’impatience avant le coup d’envoi. Tout à Bauer respire le supportérisme populaire et le football d’antan : l’étoile rouge, le maillot vert, la frêle charpente qui soutient – pour combien de temps encore ? – son enceinte mythique. Dans ce bastion historique de la banlieue rouge, le Red Star, étoile résurgente du sport français, résiste tant bien que mal aux coups de boutoir du foot business. Attirés par la promesse d’un football alternatif, les branchés parisiens en ont fait leur nouvelle Mecque. L’ambiance est ici cosmopolite et bon enfant. Et ultras donnent de la voix !

Pas de pétrole mais des idées

Au terme d’une saison de Nationale (troisième division française, ndlr) menée de bout en bout, ce club attachant, résolument antimoderne, est remonté en Ligue 2. Pour l’occasion, Hatem Ben Arfa, génie malmené par le PSG et Eric Coquerel, député France Insoumise du 93, étaient présents en tribunes. Cela sans compter les (très) nombreux journalistes ! Canal +, So Foot, Vice, Le Monde, Le Temps, Libération : chacun dans leur style, ils furent des dizaines à raconter cette charmante épopée des divisions inférieures.
C’est que l’on s’attache vite au Red Star, entité dépourvue de pétrodollars mais formidablement riche de ses idées ! Dans l’univers aseptisé du sport-divertissement, voilà en effet une curiosité, un club véritablement différent, construit autour d’un socle solide de valeurs. L’écrivain Bernard Chambaz l’explique parfaitement dans sa Petite philosophie du ballon publiée chez Flammarion: « Aujourd’hui plus que jamais, écrit-il, le club peut s’appuyer sur une assise populaire, sur une tradition humaniste, sur des statuts rédigés à une époque où la laïcité apparaissait déjà comme un maître mot ». Ne serait-ce que par l’identité de son fondateur, Jules Rimet, également créateur du concept même de Coupe du Monde, la trajectoire du Red Star voisine avec l’Histoire. Et puisque gagner compte désormais plus que participer en matière de football, on notera que l’armoire à trophées audanienne n’est pas vide, simplement (un peu) poussiéreuse. A ce jour, l’Etoile Rouge compte cinq Coupes de France à son actif et titre de champion de France remporté en 1942, alors que les forces vives du pays combattaient au front. Depuis ? Rien ou presque. Le club a sombré, s’est maintes fois relevé, vivotait dans les divisions inférieures jusqu’à l’arrivée de Patrice Haddad, ex-publicitaire passionné de football. Inspiré, ambitieux et volontaire, ce dernier a transformé le club en laboratoire où s’invente le football de demain.

Rino Della Negra et la mémoire des FTP – MOI

Et puis il y a l’icône Rino Della Negra. Au début des années 1940, ce jeune ailier droit virevoltant lutte activement contre l’occupant au sein des FTP – MOI dirigée par Missak Manouchian. Tout au long de la Seconde Guerre Mondiale, ce fils d’immigrés italiens, licencié au Red Star, fera œuvre de Résistance. Avec son groupe, il participera ainsi à l’exécution du général Von Apt, à la destruction du siège du parti fasciste italien ainsi qu’à l’attaque de la caserne Guynemer de Rueil. Lui et ses courageux compagnons préviendront et protégeront les juifs des rafles nazies, attaqueront casernes, patrouilles et autres trains allemands. Héroïque Della Negra. Capturé et torturé par la Gestapo, il sera fusillé au fort du mont Valérien le 21 février 1944 avec les vingt-trois autres membres du groupe Manouchian. On l’ignore mais l’enceinte de Bauer joua un rôle clé dans cette Histoire-là. Le stade de Saint-Ouen servait en effet de base arrière et de cache d’armes aux résistants de l’Affiche Rouge. C’est pour perpétuer cet héritage que les supporters audaniens se réunissent chaque année pour célébrer la mémoire de Della Negra. Et c’est pour cette raison encore que la tribune présidentielle du Stade Bauer porte son nom.

« Travailler le corps, éveiller l’esprit »

Au fil des décennies, le Red Star s’est mué en une sorte de super centre de formation. En son sein des centaines de joueurs se sont épanouis, certains sont devenus internationaux. Les connaisseurs se rappelleront ainsi de Steve Marlet, Lassana Diarra, Abou Diaby, Alexandre Song, Sofiane Feghouli ou encore Khalilou Fadiga. Et ce n’est pas tout. Prolongeant la fameuse maxime de Jules Rimet « Travailler le corps, éveiller l’esprit », le Président Haddad a créé le Red Star Lab, une cellule spéciale dont l’ambition est de favoriser l’accès à la culture de ses jeunes licenciés. L’optique est ici concrète : durant leurs vacances scolaires, une activité artistique est offerte gratuitement aux juniors du club en plus de leurs entraînements. Buts de la manœuvre : « renforcer la cohésion et l’esprit d’équipe en permettant aux jeunes de devenir les acteurs de leur émancipation. Mais surtout : attiser leur curiosité, élargir leur champ d’horizon » nous explique la direction. Au-delà du sportif, Haddad et ses troupes ajoutent donc une dimension éducative, confirmant ainsi l’ADN peu commun, supra-footballistique d’une certaine manière, des verts et blancs. « Si Barcelone c’est plus qu’un club, le Red Star, c’est plus que du foot ! » conclut fièrement un supporter croisé à la sortie de Bauer.