Qu’est-ce qu’une langue ? Un ensemble de mots ? Un ensemble de codes lexicaux, de particularités syntaxiques, de règles grammaticales adoptés, acceptés, partagés par un groupe donné ? Une façon de parler propre à une communauté humaine ? Une façon singulière de nommer, de raconter le monde qui range, sépare, certifie l’affiliation à un groupe ? Un accusateur d’identité ? Un héritage ? Qu’est-ce qui fait la particularité d’une langue ? Son style ? Son rythme ? Sa résonance ? Son particularisme ? Sa polyphonie ?

La langue, c’est ce qui nous permet de nous relier au monde. C’est ce qui fait de nous des hommes. Ecrite ou parlée, de l’intime ou du dehors, le vocabulaire kitsch ou ordinaire, elle ne respire, ne se prolonge, ne s’épanouit que dans la circulation. Dans le voyage. Réalité incontestable, manifeste : il n’existe nulle part de langue dégagée du monde.

Aucune langue vivante n’est brodée de lignées figées ; aucune langue n’est une possession clôturée, fermée. Chaque langue est en soi ondoyante, sang-mêlé, jaspée, habitée de mots venus d’ailleurs. Au fond de son hardware, se trame également les mots, les noms et les prénoms des autres. Et chaque mot, et chaque nom, et chaque prénom ainsi empruntés par une langue à une autre apporte quelque chose de plus, quelque chose de singulier ajoutant de la vie à la vie, ajoutant une autre manière de voir, de sentir, d’inventer, de penser l’univers.

Connue ou non reconnue, transmise ou étouffée, chaque langue avance, vagabonde du singulier vers l’universel, se nourrissant de nouveaux affluents, embrassant d’autres imaginaires, épousant d’autres couleurs, se parfumant d’autres odeurs, la polyphonie bouleversée aux contacts de souffles venus d’autres lits.

Et que dans le fracas du monde, qu’à la croisée des chambardements, peureuse, fatiguée, crispée, tentée par l’esprit de clocher, une langue se recroqueville sur elle-même, se barricade, devienne bunker national obsédé par la levée des origines, et, alors sans ressources vives, neuves, nouvelles, la démarche contrariée, elle dépérira surannée, sans vigueur, sans fécondité, sans énergie, tel un cours d’eau à sec.

Ce que les langues ne sont pas faites pour être enfermées ; c’est que même dans la cohue du monde en morceaux, chaque langue vient, certes de quelque part mais va surtout quelque part. Vers le monde.

Au-delà des rumeurs célébrant la laideur des saisons sans lumières, chaque langue vient au monde pour figer l’instant fugace qui passe sans se figer, conjuguant à son aise temps passés, présents et futurs, moissonnant et mélangeant les mots pour dire l’humanité telle qu’elle va, les termes venus du terroir ou d’ailleurs.

Au plus près de la marche du monde, chaque langue dit l’humanité en voix multiples. Ainsi la langue française nommant en noms et prénoms Georges Charpak, Sydney Bechet, Django Rheinardt, Milan Kundera, Pablo Picasso, Gao Xingjian, Tony Parker, Mercedes Erra, Rama Yade, Enrico Macias, Zinedine Zidane, Hapsatou Sy et beaucoup d’autres.

Un commentaire

  1. Et quand on s’appelle Eric Zemmour, on devrait s’abstenir de pareille insulte.
    Merci pour ce beau texte.