Il était une fois la rentrée.

C’était le temps où, à la débandade de l’août profond et à ses grands mouvements centrifuges, succédait un retour d’élastique jetant chacun contre chacun.

Mais aujourd’hui ?

Il y a la rentrée scolaire, ça, c’est sûr, avec ses parents anxieux et ses enfants impatients.

Il y a une vague rentrée littéraire où, comme chaque année à la même date, on pleure la mort du livre en publiant plus que jamais.

Il y a les perles de cette rentrée : Christine Angot, forcément ; Vanessa Schneider et le dernier tango de Maria, sa cousine lumineuse et tragique ; Pierre Guyotat – d’accord, j’en suis l’éditeur ! mais est-ce une raison pour ne pas dire qu’il nous rappellera, avec «Idiotie», qu’il est notre dernier poète épique ?

Il y a, paraît-il, une rentrée des idées – mais n’est-ce pas confondre les idées et les data ?

II y aura peut-être une rentrée théâtrale, ne serait-ce qu’à cause des Bohringer père et fille à l’oeuvre (mais deux monologues, et leur chant brisé, font-ils un automne théâtral ?), et, à l’Odéon, la énième adaptation du «Procès» (mais rien, dans le genre, n’égalera jamais le film d’Orson Welles : c’était en 1962, avec une autre Schneider, Romy, dans le rôle de l’épouse de l’huissier – il y avait encore, en ce temps-là, des cinémas de quartier pour faire de ça une «exclusivité»).

Il n’y aura pas, en revanche, de rentrée cinéma vu le continuum d’images qui, de Netflix à la télé en passant par les films-qui-sortent-en-août-parce-que-c’est-moins-encombré, fait que tout, désormais, se fond et se confond : à la rigueur, «A Star Is Born», à cause de Lady Gaga, la star ; de Bradley Cooper, l’auteur-acteur ; et des musiques de Mark Ronson ; mais à part eux ?

Il n’y aura pas non plus de rentrée politique. Car socialistes, en cure de sommeil à La Rochelle. Républicains, au bord de la crise de nerfs au Puy-en-Velay. La République en marche qui sèche ou, plutôt, zappe sa propre université d’été.

Le Rassemblement national en apnée, réduit à se réclamer d’Onfray. Et le pauvre Mélenchon soumis à la pression des plus brillants de ses Insoumis qui ne semblent plus d’accord que pour le pousser vers la retraite.

Il n’y aura pas davantage de rentrée sociale, car on a beau s’exclamer, rituellement, que l’automne sera chaud, ça retombera comme un soufflé. Bien sûr, c’est chaud, dedans, un soufflé. Mais quelque chose manque. Un projet. Un désir.

Un esprit de résistance.

Une mémoire. Bref, un peuple.

Or le peuple, en France, a été grand. Il ne l’est plus. Ou mal.

Et se consumant dans la cendre de ses passions inanimées.

Appellera-t-on « rentrée » ce que nous concoctent, en Italie, les compères de la Ligue et des 5 étoiles ? Leur vrai programme n’est pas de baisser les impôts. Ni de créer un ersatz de revenu universel. Mais, avec la complicité de Monsieur Poutine, de faire exploser l’Europe.

Et l’anti-merkélisme primaire qui devrait être, dans toute l’Europe, la tendance de la saison, voire de l’année ? Que cet édito de «rentrée» serve, au moins, à prévenir : s’il y a bien un lieu où l’on ne consentira pas à cela et où l’on ne cédera donc jamais, à propos des réfugiés notamment, sur la durable noblesse de cette grande dame nommée Merkel, ce sera ici, dans ce «Bloc-notes».

Et Trump… Y aura-t-il une rentrée Trump ? Pas sûr non plus. Car hyperprésent. Hyperprésident. Docteur Folamour suraffiché et prêt, hiver comme été, à toutes les aventures pour empêcher l’impeachment qui, dorénavant, lui pend au nez : s’il y a un article à lire, ce matin, c’est celui, précis, argumenté, implacable, de Bret Stephens, sur le sujet, dans le New York Times.

Il y a bien Erdogan. Ruiné. Aux abois. Il fera tout ce qu’il pourra pour prendre de l’argent aux Russes (qui n’ont plus, eux non plus, un sou vaillant) ou aux Qatariens (avant que leurs « frères » saoudiens ne coulent définitivement leur faux pays). Il tournoiera, comme un vautour, autour de ma chère Bosnie (Ami Izetbegovic, entends-tu son vol noir sur nos plaines ? les cris sourds du pays qui ne veut ni ces chaînes ni cette chape ?). Mais ce n’est pas non plus une rentrée. C’est une sortie. Et la seule chose qu’on puisse espérer, c’est que, venu à l’hyperpouvoir par la volonté d’une crise, il en parte par la force démocratique des baïonnettes d’une autre crise.

Il y aura Bachar el-Assad, le dernier des Syriens. Ce pourrait être une variation sur le dernier des hommes nietzschéen.

Ou le titre d’un roman de Gracq ou de Lampedusa. Mais non.

C’est une tragédie à Lampedusa. Et c’est l’application, en première mondiale, de ce théorème nouveau, en formation depuis sept ans, avec accélération cet été : mieux vaut 10 millions d’esclaves dociles que 30 millions d’hommes libres.

Et puis, bien sûr, les réseaux sociaux. Ça repart sur les chapeaux de roue, les réseaux sociaux. Mais comment veut-on qu’il y ait «rentrée» à l’âge d’Instagram, de Twitter et de leur imprésence ? Oui, je sais, «imprésence» est un néologisme.

Mais il dit bien cette façon nouvelle de ne plus se quitter, d’être tous et en permanence présents les uns aux autres – en sorte que la présence réelle, avec débat, discorde et éventuelle société, en devient soit inutile, soit interdite.

Allez, bonne rentrée quand même ! Car on ne sait jamais.

Des fois que survienne un événement, mais un vrai, celui qu’avec Michel Butel, décédé pendant l’été, nous appelions l’imprévu. Il aura passé une vie à attendre. Je suis là. Je guette toujours.

2 Commentaires

  1. Je n’arrive pas à m’expliquer que nos ministres des Étranges affaires cherchent à obtenir la guerre par la paix lorsqu’invariablement, ils transposent dans leur plan de partition de la Palestine mandataire la méthode de résolution célinienne du conflit franco-allemand : «un règlement juste et durable du conflit, à savoir l’établissement de deux États, vivant côte à côte en paix et en sécurité, dans des frontières reconnues, et ayant l’un et l’autre Jérusalem comme capitale».