L’ombre des géants du passé plane décidément sur cette Coupe du Monde. Durant les matchs de poule, tandis que l’Argentine balbutiait son football et laissait son Messi sombrer, une présence quasi divine observait le cruel spectacle des tribunes : Diego Maradona. Le Pibe de Oro était-il vraiment, sincèrement, venu encourager son pays ? Ou bien avait-il en tête un plan beaucoup plus machiavélique, celui de montrer à la planète que lui, au moins, avait réussi à gagner une Coupe du Monde ? Et que dire de Pelé… Bien que diminué physiquement, l’icône auriverde n’a manqué aucun match devant sa télé. L’occasion, entre deux coupures pub et une poignée de commentaires dispensés par tweets interposés, de se choisir un successeur. Neymar ? Pensez-vous donc ! Il s’agit plutôt du français Mbappé, précoce comme l’était la pépite Edson Arantes do Nascimento alors qu’il disputait son premier Mondial, en 1958. Voilà donc Pelé félicitant l’éclair de Bondy en le comparant au jeune joueur qu’il était jadis. Retentissant éloge qui fera le tour du monde. Mais surtout : cruelle gifle assénée symboliquement à son compatriote Neymar. Lancé dans une curieuse croisade personnelle, ce dernier espérait tant et plus de son été russe. Il comptait offrir à sa patrie un sixième titre de champion du monde et remporter, pour lui seul, une retentissante victoire au Ballon d’or. Il n’en fut rien. Car Neymar, éliminé par une Belgique étonnamment joueuse, n’est pas Pelé et ne le sera jamais. Et même si le troisième meilleur buteur de l’histoire de la Seleção (57 buts) derrière Ronaldo (62) parvenait un jour à dépasser la perle noire Pelé et ses 77 réalisations, il y a fort à parier qu’il laissera une trace moins déterminante que son glorieux ainé. Pourquoi donc ? Car, de jeune homme doué et prometteur, Neymar s’est au fil du temps transformé en monstre égotique plus intéressé par sa petite personne (coiffure, look, petite amie, villa avec piscine, contrat publicitaire, clauses de transfert, organisation de sa soirée d’anniversaire et autres virées en jet privé) que par le jeu. Un authentique drame moderne… Nombreux sont les épisodes de cette détestation. Peut-être coïncident-ils d’ailleurs avec son arrivée au PSG, club nouveau-riche par excellence, entité révolutionnaire si on la compare aux vieilles institutions du football européen. En étouffant le championnat français de sa classe, l’attaquant fantasque a suscité l’admiration autant que la polémique. C’est que le joueur est à la fois diablement efficace, tout bonnement insaisissable et écœurant. Et lorsqu’en face de lui un défenseur robuste se décide enfin à stopper sa furia dribbleuse, on l’accuse sans tarder d’être – insulte suprême – un assassin du beau jeu. Impasse pour l’adversaire. Malaise à voir le dit «Ney», dépositaire du joga bonito, marquer sans cesse, même lorsqu’il ne joue pas collectif, même lorsqu’il méprise l’adversaire, même lorsqu’on le dit blessé. Neymar rime avec victoire. Et pourtant, en club comme en sélection, les déroutes marquantes s’enchaînent.

Il y a peut-être pire que la défaite, le déshonneur… Aux quatre coins de la planète, Neymar suscite désormais la moquerie. On l’égratigne pour sa propension à s’écrouler au moindre contact, on ricane lorsqu’il rate le cadre. Pourquoi et comment le public s’est mis à détester si radicalement un joueur si doué alors qu’il n’aime rien tant que ses compatriotes auriverde et leurs dribbles chaloupés ? Guillaume Loisy, du Figaro, analyse : «Il y a d’abord eu cette série de roulades aussi amplifiée que grotesque après un tacle à retardement du Serbe Ljajic (victoire 2-0 du Brésil). La séquence a fait le bonheur des internautes imaginatifs et du service pub d’une célèbre chaîne de fast-food qui s’en est inspirée pour un spot télé humoristique. Lundi dernier, ce sont ses convulsions carnavalesques à terre lors de Brésil-Mexique (2-0) qui ont fait sortir de ses gonds le sélectionneur mexicain. “C’est une honte pour le football, un mauvais exemple pour le monde et tous les enfants qui regardent […] C’est un sport d’homme, il ne devrait pas y avoir autant de comédie”, s’est emporté Juan Carlos Osorio.» On laissera de côté l’inutile saillie viriliste du coach de la Tri. L’on se contentera de déplorer ces exagérations théâtrales qui mettent aujourd’hui à mal la réputation du joueur. Car, partout, sur les plateaux télé, à la radio, dans les journaux et sur les réseaux sociaux, on se moque de l’attaquant du PSG. Utilisant une de ces métaphores obscures dont il a le secret, Éric Cantona comparait Neymar à une valise à roulettes, «capable de tourner pendant des heures». L’ancien joueur et consultant anglais Gary Lineker, qualifiait quant à lui le brésilien de «joueur le moins tolérant à la douleur dans une Coupe du monde depuis l’apparition des statistiques Opta». Blague pour connaisseur, à l’instar de ces vidéos «Neymar Challenge» qui tournent en boucle sur Twitter. On y voit des gamins en short et crampons se ruer au sol et enchaîner frénétiquement les galipettes frénétiques dès qu’ils entendent le patronyme du joueur… Clownesque.

Tout cela pose au fond une question. Pourquoi Neymar simule-t-il ? Par dépit bien sûr ! Pas pour obtenir un penalty comme Cristiano Ronaldo mais plutôt pour signifier au corps arbitral qu’il est la cible d’incessantes attaques de la part de ses adversaires. Selon les statistiques, en l’espace des quatre premier matchs de sa Coupe du Monde, l’attaquant brésilien a été victime de vingt-trois fautes. Un chiffre relativement élevé dans une compétition placée sous l’œil orwellien de la VAR (arbitrage par assistance vidéo, ndlr). Dans le même temps pourtant, les journalistes de la Radio télévision suisse (RTS) ont révélé, chronomètre à l’appui, que les roulades du brésilien auraient coûté treize minutes et cinquante secondes de jeu depuis le début du Mondial. Autant de temps passé à simuler, geindre ou protester que «Ney» n’emploie pas à ce qu’il sait faire de mieux : jouer ! Que faire maintenant ? Comment réagir ? En prenant le large et en retenant surtout la leçon de son immaturité. «La douleur est très grande, car on savait que l’on pouvait y arriver, explique le joueur. On savait qu’on avait une chance d’aller plus loin, d’écrire l’histoire ! C’est difficile de trouver la force de vouloir jouer à nouveau au football, mais je suis sûr que Dieu me permettra de tout affronter…» Par l’intermédiaire de son émissaire terrestre, l’au-delà a justement envoyé un signe au génie brésilien. Alors qu’il adressait son angélus dominical à la Basilique Saint-Pierre de Rome, le Pape François, grand fan de football devant l’éternel, s’est écrié : «Je salue les Brésiliens : courage ! Il y aura une autre occasion !»[4]. De quoi amorcer un retour un grâce ?