Comment l’opinion russe accueille-t-elle cette Coupe du Monde ?
La question est plutôt difficile à juger. S’il y a bien une forme d’effervescence populaire, celle-ci a néanmoins tardé à arriver. En France, en amont de l’Euro, on se souvient d’un véritable engouement. Les choses sont un peu différentes en Russie. La situation politique et les considérations économiques ont un temps éclipsé l’euphorie. Rappelons que selon les statistiques officielles, il y aurait 20 millions de pauvres en Russie à ce jour, si ce n’est plus… Les difficultés sont là, empêchant l’opinion de profiter pleinement de la joie d’accueillir un tel évènement. Il n’en reste pas moins que les supporters sont ravis. Rappelons que la Russie est un véritable pays de football. Et puis la publicité du régime pour populariser l’évènement a bien aidé…
Quels bénéfices Vladimir Poutine peut-il espérer tirer de l’évènement ?
En France, on s’intéresse souvent à l’impact international de l’organisation de grands évènements comme les Jeux Olympiques ou la Coupe du Monde. Cet aspect est indéniable mais il en cache un autre, extrêmement important pour Vladimir Poutine et pour sa popularité : la problématique domestique. A l’intérieur des frontières, cette Coupe du Monde est cruciale pour le pouvoir russe. Ce dernier a fait jouer la fibre patriotique des Russes, le côté «nous aussi on peut le faire», «nous aussi on peut accueillir un évènement de grande ampleur». C’est une donne à ne pas négliger dans l’analyse. Beaucoup de projets lancés par le Kremlin ont une visée domestique. Il ne faudrait pas non plus se faire berner par les scores importants obtenus par Vladimir Poutine à l’occasion des dernières élections présidentielles. Les mouvements de mécontentement existent au sein de la population russe. Et même si la majorité est sans doute très heureuse d’accueillir le Mondial, il y a, en même temps, une montée de la contestation sur quelques points ciblés liés notamment à certaines formes de restrictions de circulation pendant la durée de la compétition. Cela, sans même évoquer le problème de la corruption. Même la presse sportive russe, l’équivalent de l’Équipe par exemple, parle des couts liés à la construction de nouveaux stades. Certains ne sont d’ailleurs pas jugés très utiles. Samara, Saransk… On remet en question les choix stratégiques. Et les retards de livraison. La réalité ne suit pas toujours le message de communication du pouvoir…
La Russie 2018 pourrait-elle connaître le même sort que le Brésil pendant le Mondial et les JO ? On se souvient que la contestation populaire y avait gâché la fête sportive…
Tout a été fait pour prévenir, dissuader et empêcher, au cas où, les manifestations de grande ampleur pendant la Coupe du Monde. Une série de mesure a été prise, un régime spécial limite le droit de manifester. Depuis les grandes manifestations de 2011 et 2012, ces lois étaient déjà en vigueur, elles ont été renforcées. Les dernières manifestations ont été dispersées sévèrement. Alexeï Navalny a été emprisonné : il n’a pourtant pas appelé à se mobiliser contre la Coupe du Monde. Dans les villes organisatrices, il sera difficile pour l’opposition d’organiser des manifestations dignes de ce nom. A Iekaterinbourg, impossible, par exemple, d’organiser un rassemblement de plus de 100 personnes !
Sur le fond, personne ne peut vraiment appeler à manifester contre le Mondial. Navalny n’y a aucun intérêt, de même pour Ilya Yashin, leader de l’opposition qui a des vues sur la mairie de Moscou. Ce serait contre-productif. Les opposants préfèreront certainement profiter de l’effervescence médiatique et de la présence des journalistes sur place.
En France et dans toute l’Europe, un nombre croissant d’intellectuels proposent de boycotter la compétition. Qu’en dites-vous ?
A titre personnel, je n’y suis pas favorable. J’entends et comprends toutes les positons mais pense sincèrement que le fait d’aller en Russie et d’y porter un message pour la défense des ONG, la libération des prisonniers politiques, la réclamation de droits pour l’opposition, le respect du travail des journalistes et de l’intégrité des LGBT a plus d’impact que le boycott. En marge des matchs, certains joueurs seraient inspirés d’avoir des modes d’expression qui engagées. Pour en revenir à cette question du boycott, il faut se poser la question suivante : Le boycott des JO de Moscou en 1980 a t-il modifié la perception des soviétiques ? Non ! A-t-il mis fin à la Guerre Froide ? Certainement pas ! Ni à la guerre en Afghanistan d’ailleurs… Les choses doivent être faites selon leur efficacité. C’est surtout vis-à-vis de la population russe qu’il faut faire des efforts. Et se rappeler également que le peuple russe n’est pas comme un seul homme. Les opposants sont là !
Il y a également la question des hooligans…
Ce n’est pas une question nouvelle.. En 2005, déjà, on sait que des hooligans assuraient la sécurité dans les mouvements et actions pro-Poutine. Ce n’est pas un secret ! Le Kremlin est de mèche. L’ardeur avec laquelle il a défendu les hooligans déclarés coupables d’actes extrêmement violents sur le territoire européen prouve ce soutien. C’était une manœuvre. En contrepartie de ce soutien public, le pouvoir espère une tranquillité des bandes de hooligans au niveau domestique.
Qu’espérer de l’opposition russe ? Des actions ciblées ou une impossibilité de s’exprimer ?
A la suite des grandes manifestations de 2011 et 2012, le pouvoir a compris qu’il y avait une vraie forme de contestation populaire en Russie. Elle l’a vu de ses yeux : 120 000 personnes sur l’avenue Sakharov, ça a fait trembler les murs dans certains cabinets au Kremlin ! Consécutivement, il y a l’adoption d’un lourd un arsenal législatif liberticide, la fameuse loi sur les «agents de l’étranger», les interventions dans le Caucase, l’assassinat de Nemtsov… Beaucoup de militants ont été obligés de quitter le territoire russe, cela concerne les ONG, les milieux écologistes, artistiques et LGBT. Et si cela n’a pas été a proprement parlé entrepris en vue de la Coupe du Monde, cela profite aujourd’hui au régime. Le fait est que Poutine ne veut plus avoir face à lui ce genre de contestation.
Reste une question : Y-aura-t-il des actions ? Certainement des entreprises Isolées, quelques happenings. Cela, oui, on peut l’imaginer. On verra dès lors comment réagiront les autorités. A Sotchi, on avait assisté à la réapparition des Cosaques venus donner un coup de main aux pouvoir dans une grande mise en scène des affrontements de rue. Appeler les Cosaques, cela revient à utiliser des tiers pour ne pas faire intervenir directement la police. Cette dernière ne viendrait qu’en ultime ressort, pour calmer le jeu et disperser les bagarres. Les actions de l’opposition seraient ainsi réprimées et le pouvoir sortirait grandi…
Quand on regarde la carte des stades, on s’aperçoit que ce Mondial se disputera surtout en Russie européenne. Pourquoi ce choix ? Que cache t-il ?
L’argument logistique donné par le Kremlin tient : organiser la Coupe du Monde à l’Ouest pour limiter les déplacements intempestifs, c’est utile. Quand on regarde la Première Liigue russe, on constate également qu’il y a très peu de grands clubs à l’Est. Cette décision est donc logique. En Russie, la question des infrastructures se pose. C’est un enjeu pas tout à fait résolu… Le football dans l’Oural s’est ainsi développé. Mais la question du choix de la ville hôte de Saransk, en Mordovie, m’interpelle ! Le club local a des résultats médiocres. Pourquoi l’avoir sélectionné ? On raconte que Gérard Depardieu serait intervenu… De même, pour Kaliningrad. Cet autre choix interroge. En faisant jouer des matchs de la Coupe du Monde à Kaliningrad, on montre que le territoire est russe. C’est voulu. Et l’on a donc mis plusieurs dizaines de millions (300 millions de dollars, ndlr) pour rendre cela possible ! Mais on le sait d’avance, ce sont des stades qui seront sous-utilisés. C’est ici un cas typique de mauvaise utilisation des deniers publiques. Pareil pour Sotchi. Depuis la fin des JO, la ville subit des inondations, des pannes de courant. Une fois l’évènement terminé, on peut craindre les conséquences négatives.
Finissons par le sportif. Sur le terrain, que vaut concrètement cette équipe russe ? Peut-elle créer la surprise ?
Il faut bien l’avouer, la sélection russe est faible. Il y a des craintes. Les derniers matchs de préparation ont été catastrophiques. On a vu deux défaite en mars contre le Brésil (0-3) puis la France (1-3). Le dernier match, face à l’Autriche, s’est soldé par une contre-performance (0-1). Le jeu est fade, cette génération plutôt faible et la pression qui pèse sur les épaules des joueurs est énorme… Mais le football est fait de tel manière qu’une surprise est toujours possible. Avant la Coupe du Monde 98, toute la presse critiquait Aimé Jacquet. La France avait tout de même gagné ! On peut donc espérer que les russes se révèlent ! Mais, à dire vrai, Stanislav Tchertchessov, le sélectionneur actuel, ne paraît pas à la hauteur de l’enjeu. Ajoutez à cela la blessure de Kokorin qui fait mal…
Aucune raison d’espérer, donc ?
Si, il y a de bonnes individualités. Dzagoev, Smolov, Glouchakov. Et puis un bon joueur, à suivre de près, le jeune Zobnin qui évolue au Spartak Moscou. Le groupe de la Russie est simple d’apparence. Mais gare au piège ! L’Uruguay semble nettement au-dessus, l’Arabie Saoudite assez faible. La grande inconnue, ce sera le niveau de l’Égypte et la présence, ou non, de leur joueur clé : Mohamed Salah…
Alexis Prokopiev est un connaisseur du football russe?
C’est vraiment drole.
Il n’a pas de Glouchakov dans l’equipe russe !