L’histoire de l’Europe, et celle, tout particulièrement, de l’Union Européenne, portent l’empreinte d’un perpétuel élan de répétition et de refondation : ainsi du référendum français de 2005, qui continue d’animer les débats politiques. Ce référendum, précisément parce que la France est revenue dessus, parce qu’il fut manqué, parce qu’il fut, en un sens, avorté et annulé, est destiné à une sempiternelle répétition. Et au recommencement : pendant la campagne de 2017, hormis les candidats qui désiraient sortir, bonnement et simplement, de l’Union Européenne, nombreux furent ceux qui, chacun à sa manière, parlaient d’une refondation de l’Europe : renégociation des traités avec Mélenchon (changer l’Union ou la quitter), recréation d’une Europe des travailleurs (Poutou, Artaud)… Même Macron citait souvent le mot de Monnet selon lequel il aurait fallu commencer l’Europe par la culture. L’Europe semble avoir un destin : est-ce celui d’avoir toujours manqué au sien pour mieux le réhabiliter après l’avoir détourné, de s’être destituée pour mieux se reconstituer ? De court-circuiter l’hommage qu’elle devrait se rendre de génération en génération ? De découdre le mythe qui voudrait poindre en elle ? Le mythe en question n’est-il pas intrinsèquement voué à la démystification ? A s’établir sur une carence de solidité, sans laquelle il ne saurait être insigne ? Ne s’instaure-t-il pas sur le sol d’une incassable dialectique de la cassure ? Sur une dialectique sans sommet, impossible à surmonter – et, de fait, à narrer ? Sur une phénoménologie sans narrateur ?
Dater l’Europe, évaluer son âge, savoir à qui on a affaire quand se dresse, dans la conscience collective, le nom de ce continent : voilà l’indomptable problème – car n’implique-t-il pas de tourner en rond ? Dans Last exit before Brexit, la pièce que Bernard-Henri Lévy joua au Cadogan Hall sur l’invitation de l’Hexagon Society fondée par Sophie Wiesenfeld (pièce dont le titre, par son jeu de mot, accuse l’impossibilité, pour l’Europe, de ne sortir qu’une fois, et d’agir définitivement), ce dernier remarque que l’Europe est, comme les figures hégéliennes de la Phénoménologie de l’Esprit, vieille de sa jeunesse et candide de sa maturité : «Sometimes, I have the impression that Europe is very old. At other times, I have the feeling that it has regressed into infancy. But it comes to the same thing.» L’identification de ces deux visages, l’association des rides aux poumons roses, impliquerait que la temporalité de l’Europe soit perpétuellement circulaire ; plus encore, que l’Europe rejoue, sans le savoir vraiment, une même valse sur laquelle elle ne parvient pas à danser. Organicité de cette Europe dont la mort, qui toujours se prépare, se mime et se reproduit, qui ne peut faire autrement que de se répéter, n’est jamais qu’un acte fondateur. Loufoque continent que cet espace où l’être-jeté et l’être-pour-la-mort ne semblent faire qu’un. Europe dont le cours résiste à la simplicité d’un projet linéaire ou d’un destin dramaturgique, parce que son rapport à la mort est d’inclusion plutôt que de projection. Bernard-Henri Lévy l’a bien compris, qui ouvre sa pièce, consacrée aux circonstances anglaises et aux enjeux propres au phénomène du Brexit, par une invocation de Sarajevo : quid similis, se demande-t-on ? Marottes ? Application de thèses personnelles ? Calquage, collage et juxtaposition d’événements hermétiques l’un à l’autre ? N’est-ce pas plutôt que, face aux sursauts de l’Europe, la lucidité impose un refus de toute posture consistant à s’étonner du drame ? L’analyse n’a d’autre choix de d’opérer un décentrement, historique parce que géographique : «One of the reasons I accepted the great honor of opening this last-chance conference, this SOS Europe, this Last exit before Brexit –is that you decided to host it here, in this capital of European spirit and suffering.» D’où le tiraillement résultant de cette exigence solennelle d’optimisme –à l’heure où il s’agit, pour l’auteur, de rendre espoir aux Anglais-, immédiatement tempérée par le défilé des morts successives de l’Europe. Morts qui démontrent elles-mêmes deux choses contradictoires : aussi bien l’impondérable présence du funeste en notre continent que le caractère non-mort, donc bien vivant, de ce rapport à la mort. Car qu’est-ce qu’une mort qui n’en finit jamais d’agiter son cadavre ? Une agonie électrique. Plus qu’une douche froide, moins qu’une détonation : un coup de pistolet dans un concert. «How it is possible to die so often ?» Comment est-il possible de se remettre aussi aisément de la morgue, et d’y retourner avec tant d’empressement ?
La manière dont Bernard-Henri Lévy rappelle les échos tragiques de la mémoire Européenne pour lire, à leur lumière, l’événement du Brexit, résonne comme une tentative de scansion de cette historicité mimétique d’elle-même : Sarajevo, de cette danse macabre, est le violon plus que le théâtre, plongeant en 1914 la planète dans un désastre d’une ampleur jusqu’alors inconnue, puis plongée dans siège annonçant, selon Izetbegovic, la mort de l’Europe ; la guerre d’Espagne et ses résonances ukrainiennes ; sans compter le «same Munich reflex» qui constitue une «bad habit» des démocraties. Comment ne pas penser, en observant cette volonté de comprendre un événement dans l’entente des suicides passés de l’Europe, à la phrase de Marx, inaugurant Le 18 Brumaire de Louis-Napoléon Bonaparte, selon laquelle l’histoire se répète certes toujours deux fois – mais d’abord comme tragédie, et ensuite comme farce ? Ce qui est intéressant, dans cette formule, tient à ce que Marx fasse sienne l’idée hégélienne d’une répétition de l’histoire, mais en introduisant la nuance fondamentale que cette répétition est consubstantielle à une altération. D’où l’aspect satiriquement létal, d’où le côté Danse macabre des soubresauts contemporains de l’Union Européenne, comme s’il existait un temps d’incubation entre l’annonciation du déclin, proférée parmi les ruines et la mitraille, et son entéléchie, tragique par excès de burlesque. C’est, me semble-t-il, dans cette optique seulement qu’il faut comprendre la place réservée au comique dans Last exit before Brexit : les messages loufoques («Bank error in your favor», «Melania files for divorce») redoublent le sentiment d’une actualité dissonante, frisant avec le ridicule.
Mais ne faudrait-il pas arguer, au contraire, que la méthode adoptée dans Last exit before Brexit présente le tort de remuer des ombres à ce point pétrifiantes ? Je ne doute pas que, pour les partisans du Brexit, ce fût la perspective de Bernard-Henri Lévy, plus que sa thèse, qui gêna : le débat, autour de la sortie de l’Union Européenne, porte généralement autour de problèmes techniques, d’économie et de paradigme politique (qu’en est-il de la souveraineté ? des directives de Bruxelles ? de la capacité de faire la loi quand on doit répondre aux normes européennes ? des rapports de force économique entre pays membres de l’Union ? des injonctions diplomatiques ou militaires ?). Voilà que Last exit before Brexit se réfère à Sarajevo, à la guerre d’Espagne, à Srebrenica et à Auschwitz ! Les Brexiters seraient, semble-t-il, en droit de répondre que leur décision n’a rien à voir avec ces ombres du passé, et ce pour plusieurs raisons : d’abord parce qu’ils ne refusent nullement l’Europe, mais l’Europe néolibérale, technocratique, parfois cynique ; ensuite parce que, dans le continent qui inventa la démocratie, un résultat référendaire (surtout lorsqu’il n’implique pas, comme à Sarajevo, des massacres et des guerres) se doit d’être, sinon incontestable, du moins incontesté. Les universitaires, quant à eux, pourraient également exprimer quelque distance à l’égard de la méthode défendue par Bernard-Henri Lévy : il leur serait possible de soutenir que les éclairages historiques sont incomparables, qu’il importe de les nuancer, de les contextualiser, et d’éviter tout récit mythique d’une Europe lyrique.
Ces réserves sont intellectuellement recevables – n’est-ce pas ce qui les rend nocives ? N’a-t-on pas observé que, ces dernières années, le phénomène que les médias nomment «populisme» repose précisément sur la disqualification politique de tout discours intellectuel ? Si la question du Brexit est délicate, n’est-ce pas au nom du fait qu’elle dépasse la possibilité même du dialogue démocratique ? Qu’elle se soulève au sein d’une polyphonie entre deux régions du peuple aux dialectes étrangers ? Ne voit-on pas les paroles être partout accusées de performativité ? N’est-il pas nécessaire, de fait, de s’adresser aux Brexiters sur le terrain même qu’ils habitent ? C’est ainsi que l’histoire, toute en grandes dates et en réminiscences tragiques, esquissée dans Last exit before Brexit, présente le mérite d’être intellectuellement incomplète – et donc opérante politiquement. On se souvient de la Seconde Considération Inactuelle, où Nietzsche expliquait comment l’histoire devait faire l’objet d’une mesure, d’un dosage, d’un subtil équilibre, si l’on veut éviter de la convertir en boulet, en fardeau qui rend impossible tout sursaut par l’action. On songe à la distinction qu’il proposait entre l’histoire critique, permettant de secourir l’homme du poids oppressant du passé, l’histoire traditionnaliste et l’histoire monumentale, certes mythologique et faite de raccourcis, certes taillée dans une tapisserie grandiose, mais élargissant l’homme dans son rapport à l’agir. S’il serait simpliste d’assigner à Last exit before Brexit une seule de ces trois catégories, l’importance que l’histoire monumentale y revêt est significative : non seulement parce qu’elle insuffle un certain dynamisme à propos de la reconstruction de l’Europe, ni même parce qu’elle présente des lignes de partage claires, mais encore parce qu’elle permet de nourrir l’argumentation nécessaire à une critique des élites européennes, quand celles-ci se montrent déracinées, amnésiques, dégénérescentes. Ainsi du banquier Gerhardt, qui proclame : «Fuck Socrates, […] Fuck Plato, Fuck Aristotle, we don’t need these lunatics Greeks in the center of our new Europe !»
Reste que l’histoire monumentale a ses limites. Impossibilité de s’en tenir aux cartes postales pour défendre l’Union Européenne. Ineptie des images d’Epinal. Incomplétude d’une rhétorique à coup de fumigènes. La question est de savoir si le concept de l’Europe ne détient pas, en son sein le plus profond, une ombre qui lui donne sens en même temps qu’elle le menace – si l’Europe n’est pas abreuvée par un nectar qui la décompose tout en l’alimentant, si elle n’est pas soumise à une auto-immunité qui, développée de la sorte, présente une tentation suicidaire. N’existerait-il pas une contradiction entre le concept d’Europe et sa réalisation concrète ? Autrement dit : porter l’Europe au jour, n’est-ce pas pérenniser et trahir tout à la fois le destin de ce continent ?
Pourquoi convoquer les grands mythes fondateurs de l’Europe ? Est-ce pour réédifier le monumental ? Pour rendre du souffle à cette civilisation harassée ? Ce serait se jeter dans les bras d’un rival. Nous sommes tous des grands cocus de la mythologie européenne : soit qu’elle nous tourne le dos, soit qu’elle le montre à trop de monde pour demeurer sérieusement nôtre. La solution, me semble-t-il, n’est pas de l’écarter ou de la rejeter massivement (est-ce ainsi, d’ailleurs, qu’il faut se comporter avec les personnes infidèles ?) mais, comme dirait Foucault, de ne pas être trop aliéné : de s’engager dans une généalogie des grands mythes. Il y a, dans Last exit before Brexit, deux passages très intéressants, deux moments authentiquement déroutants – plus encore que les démonstrations d’autodérision, ou que le saut dans la baignoire – : ce sont les instants où Bernard-Henri Lévy, se référant à deux grands mythes qui illustrent sa conception de l’Europe, explique comment ces mythes sont appelés à s’auto-contredire ou, eût dit Barthes, à se décomposer.
Le premier est la fameuse conférence de 1935, où Husserl explique que l’Europe, héroïque par raison, suppose que l’on soit fils, non de la terre, mais du concept. D’où il suit que, comme le disait également Derrida dans Le concept du 11 septembre, l’Europe a, sur toutes les autres civilisations, un privilège qui n’est pas d’autre essentialiste mais empirique : pour Derrida, d’ordre théologico-politique ; pour Husserl, de nature métaphysique et idéaliste. L’Europe comme le continent qui inventa le refus de se définir par ses propres frontières. L’Europe qui est la première à s’ouvrir à ce qui la transcende, au concept, à la raison. L’Europe qui refuse de se définir par ses accidents. L’Europe qui, en lieu et place de la terre, trouve appui dans un sol épistémologique et abstrait. «Beau comme l’antique», diraient, ironiquement, Zemmour et les Brexiters ! Bernard-Henri Lévy remarque lui-même que, dans ce mécanisme si bien huilé, quelque chose s’enraye : le concept husserlien d’Europe n’incarne-t-il pas le definiens d’une définition qui néantise son objet ? «Even supposing that it is true, that Husserl is right and that it is Europe who invented the notion that we are the offspring of the idea more than of the accidents of our birth, our nation, or our land, even supposing that it is the European spirit that enables the Hindu, Bantu, Buddhist, Arab, Egyptian, Mongol, Aztec, Persian, Phoenician, Berber, and the Kurdish fighters at the Mosul dam to rise above their native limits and reach fraternity, then, Europeans are all over the planet, but Europe is nowhere; Europe is so “heroic” that it no longer possesses borders or territory; Europe is, at best, a beautiful idea that makes a good crutch, and at worst…» L’Europe n’est grande que lorsqu’elle l’est pour et par l’universel ; mais il y a des universalités qui enferment, qui aliènent, qui pèchent par abstraction, qui excluent ce qui leur résiste, qui rejettent le corps sans lequel elles ne pourraient être pensées – corps qui, parce que sa chair n’est pas aussi géométrique, mathématiquement ciselée, catégoriquement massive, minéralement lisse, véhicule l’universel en même temps qu’il l’incarne, et donc le menace dans son royaume. L’Europe n’est magnanime que lorsqu’elle abolit le règne de la frontière ; mais cela, elle ne le peut que par le médium de la frontière : songeons à Tzvetan Todorov, qui démontrait comment le morcellement étatique de l’Europe a permis aux pays de ce continent d’échanger leurs penseurs, de transmettre leurs doctrines, de bouillonner théoriquement. Qu’est-ce qu’une Europe husserlienne ? La réserve qu’exprime Bernard-Henri Lévy entend montrer deux choses. Premièrement, qu’on ne se tromperait pas totalement en lui appliquant la formule de Péguy sur Kant : elle a les mains pures, mais elle n’a pas de mains – l’Europe en question est belle de son concept, mais en quoi les Européens seraient-ils les seuls à pouvoir l’incarner ? Qu’en est-il, pour parler comme Platon, de la «participation» de cette idée ? Deuxièmement, que l’ambivalence de la thèse husserlienne explique comment une scission est appelée à incurver durablement l’historicité européenne : entre ceux qui, songeant à l’Europe, la conçoivent à travers son Idée, et ceux qui, pensant à elle, regardent son visage – et donc ses plaines, ses chaînes de montagne, son patrimoine et ses églises, ses champs et ses charrues. Où sommes-nous, avec le Brexit ? A Londres ? A Sarajevo ? Non : dans l’Ecole d’Athènes. Le doigt de Platon, et la main d’Aristote. Un doigt et une main qu’il faudrait, bien sûr, sociologiser un peu (mondialisation d’un côté, repli vers la souveraineté de l’autre) pour que le pinceau de Raphaël puisse rendre compte de l’impossibilité d’actualiser le concept d’Europe. La participation s’oxyde, et avec elle les débats sur l’appartenance à l’Union Européenne.
Le second mythe fondateur survient comme l’exacte inversion du premier. C’est celui d’Europa, cité pour montrer que l’Europe a tiré son nom de cette princesse orientale, enlevée par un Zeus libidineux, et conduite sur les rivages d’Europe. Sauf qu’à bien y regarder, elle ne parvient pas tout à fait en Europe. «Let’s see. Herodotus : “It is certain that Europa came from Asia; but she never arrived in the land that the Greeks presently call Europe – she came only from Phoenicia to Crete.” My god! I did not realize that! I had completely forgotten that princess Europa, who, mounted on the back of her sly bull and following a path similar to that of the Syrians of Lampedusa, stopped in Crete without getting all the way to Greece… The myth seems to imply that Zeus was in such a hurry to fuck her that he stopped at the first Cretan motel he came to. […] What’s sure is that Europa does not arrive in Europe… […] That’s bizarre…Very very bizarre… And frankly, pretty annoying.» Nous revenons à cette historicité européenne qui prend un malin plaisir à ne pas achever la mission qu’elle s’est donnée, soumise à son désir, sujette à ces passions dont Salluste disait combien elles étaient néfastes pour les projets politiques. Peut-on y voir une préfiguration de la dite «crise migratoire» contemporaine, crise que l’Europe cultiva au rythme des fluctuations de son hospitalité ? Je laisse la question en suspens.
L’Europe a-t-elle un destin ? Oui, mais il faudra s’entendre sur ce qui le constitue : moins l’accomplissement d’un logiciel que la donation d’un principe qui se retire dans sa propre effectivité, que le dynamisme d’un moteur qui se dérègle quand il en vient à tourner, que l’avènement d’un printemps qui aurait pour fonction de mieux préparer la proximité de l’automne. Scénario tragique ? Voilà qui surprendrait : Roland Barthes remarquait malicieusement qu’il n’y a de tragédie que dans l’espace de l’antichambre, servant de médiation, de suspension, entre le lieu du pouvoir et celui du monde : sortir de l’antichambre, c’est mourir ou gagner, mais dans tous les cas abolir le drame. Qu’en est-il de Last exit before Brexit ? La pièce se déroule certes dans une chambre d’hôtel, mais cette chambre est elle-même l’antichambre d’un site qui est à la fois lieu de pouvoir et clairière du monde – celui de la salle de conférence, où l’intellectuel doit se rendre pour prononcer un discours. Qu’est-ce qu’une tragédie de l’anti-destin ? C’est une œuvre, pourtant nommée Exit, c’est une Europe, pourtant marquée par le Brexit, dont les hommes ne sortent jamais, faute de pouvoir y entrer pleinement.
Proscrire ce qui est attentatoire aux libertés. Prescrire ce qui est nécessaire à leur exercice. Libérer ce qui est utile à leur émergence.
Vivre pour un vivant est non seulement un droit, mais probablement est-ce la première des libertés. L’État de droit est garant du droit des hommes, et quand je dis hommes, je ne me borne pas à recenser les femmes, à disposer de leur corps.
La guerre comme procédure de réalisation d’un projet totalitaire n’est non seulement pas une figure imposée, mais les visages qu’elle recouvre ne sauraient être autorisés là où la violation des droits prescrits est proscrite par nature et par définition.
Légitimer la guerre sainte c’est, quelque part, lancer l’assaut, ce sera donc, de toute part, assassiner du mécréant. Ceci est interdit comme cela.
L’Europe joue à saute-mouton-noir au seuil du portillon de son château de sable. La honte que nous font ressentir ces rouleaux barbelés entre lesquels s’agglutinent les instruments-otages de la démoconquête — les prélèvements effectués dans le crachoir des saints guerriers d’Allah se sont toujours avérés instructifs — ne nous autorise pas à contourner le trou de conscience du fond duquel un Goebbels de banlieue prémédite, illustration à l’appui, sa déclaration de jihâd par l’épée sur la scène d’un Staatstheater déjà ivre de gloire. Un devoir de conserve s’impose au défenseur des droits de l’homme à la mer, celui de sauver jusqu’au bout les principales victimes de l’envahisseur.
Le temple d’une République atteinte de mithriacisme résistera de moins en moins au désir de renouer avec le dualisme anthropophage de Jupater Noster. Aussi révélateur que soit le degré d’adhésion de l’électorat anti-Valls à un irrespirable «Je suis Charlie Coulibaly», le culte popu ne se risquera jamais à faire le tri entre les testaments épars de la sous-division Das rEiCH et d’un martyre de la Résistance dont les sangs, de surcroît, seront mêlés à ceux de son bourreau par la récalcitrante queue de Joachim-Raphaël Boronali.
Voilà maintenant mille et une plombes qu’on nous bassine avec l’amalgame islamophobisant que nous ferions et referions entre bon et mauvais jihâd. Rien n’indique pourtant que l’un des quatre modes d’accomplissement djihadique fût voué à se substituer aux autres. LFIsté par l’alternance, Médine the Ripper ne prend même plus la peine de nous désorienter. C’est le sabre à la main qu’il nous soumet son point d’aveuglement, avant que son Idiot utile ne nous coupe le chic :
«Mes pauvres Invalides! vous paraissiez tellement désemparés dans votre Cour d’honneur, à chercher la raison matérialiste d’une telle dérouillée. Tous ces morts, pourquoi? Eh bien, on y est. L’explication tant attendue, vous l’avez sous les yeux. Vos cons de citoyens ont été sacrifiés pour que je puisse démonter le créneau laïcard sans qu’aucun État sur terre, du plus leste au plus lourd, du plus fourbe ou plus franc, ne soit plus en situation de me conduire à l’échiquier multilatéraliste pour m’y faire signer l’acte de reddition du Califat universel.»
L’État de droit est minable et médiocre envers lui-même, égoïste de par sa lâcheté, ne se donnant pas les moyens du cœur qui continue de battre dans sa cage dès l’instant qu’il s’obstine à traiter la question islamiste avec des pincettes bien trop morbides pour qu’elles n’aillent immanquablement dégouliner telle une plâtrée de lombrics, au bout de quelques secondes de rodéo contradictoire, sur la selle du taureau migratoire.
Le cause-toujours-tu-m’intéresses du Président américain nous jette dans une perplexité d’autofascination; sans paroles audibles; ne voyant plus que lui; nous mettant à sa place à un moment de notre histoire où nous devrions plus que jamais demeurer à la nôtre. Il est bien difficile de ne pas régresser alors même qu’on nous pousse dans la fosse aux lionceaux. Nous, les Cosmopolitains ou l’Internationale démocratique en marche, n’avons plus tant de temps avant que le Grand Engluement ne nous fixe sa règle de Troie. Car en effet, entre Young-Gun et la vieille Trompe, ça m’a tout l’air de (nous) rouler dans la farine apolitique.
« Un peuple qui oublie son passé est condamné à le revivre » prévenait avec lucidité Churchill, mettant la classe dirigeante, les forces politiques face à l’Histoire et à leur responsabilité.
Ils ont oublié que l’Histoire est tragique, aurait dit Raymond Aron, ils ont oublié que cette méconnaissance conjuguée à l’indifférence, à l’esprit munichois de compromission, se soldent toujours en tragédie et dans son inéluctable cortège de souffrances.
Qu’est-ce qui empêche de la répliquer comme une pièce de théâtre autant de fois qu’on en demande ?
A croire que si les « acteurs » sont bons une tragédie restera toujours telle quelle. Le dramatique est du coté de ceux qui maquillant les faits qui leur paraissent dérangeants pour tout type d’intérêt et de pouvoir font croire que l’Histoire puisse se réduit à la Commedia dell’Arte. Pourtant on est bien à ce stade.
Par un jeu de mots, l’empruntant au titre de la pièce de Bernard-Henry Lévy, devenue un marqueur de notre temps, on pourrait évoquer par une formule, voir deux, le risque, désormais réel, d’une rupture majeure en acte et le sort qu’elle réserverait à notre démocratie:
« exit before Exit » et puis sa suite « Exit before final Demxit », dont les sujets en ligne de mire sont l’Europe et sa Démocratie.
L’évocation au départ de la pensée de Winston Churchill n’était pas casuelle autant que son appelle à l’United Europe
d’une criante actualité :
« What we seek to do is to build up moral, cultural, sentimental and social unities and affinities throughout all Europe, or all those parts of Europe where freedom still reigns. We are anxious to spread the idea of the men and women of many countries being good Europeans, as well as patriotic citizens of their native lands, ready and eager to meet and work with one another on terms of honour and amity, to forget past tragedies as far as possible, to recognise that what has happened in the past is unpayable by mortal man and that to exact its payment will wreck the world, and to build for a future which may one day make amends for all.
Il aurait surement apprécié et aimé l’appel et le récit de Bernard-Henri Lévy.