Kanye West est un rappeur, auteur-compositeur-interprète, producteur, designer africain-américain mondialement connu. Le rap est un mariage entre verbe et sonorité, qui aura permis à plusieurs générations de se saisir de la parole, de sortir du néant et de s’installer dans l’espace public global. Et c’est à la force de leurs rimes, que certains rappeurs sont devenus des figures majeures à l’opinion et au moindre geste suivis par l’opinion populaire. Mais, hélas, célébrité ne rime pas toujours avec perspicacité, clairvoyance, sagesse, encore moins avec intelligence. Le discours rythmé de certains glorieux rappeurs n’est-il pas, parfois, déplacé, grisé de fadaises et de propos terriblement pauvres d’esprit ? Illustration ? La dernière sortie sur le réseau planétaire twitter de Kanye West et sur TMZ.

Notre renommé rappeur, galonné et platiné, vient d’affirmer en révélation mondiale que l’esclavage aurait été pour ses victimes… un choix ! Dévoilement flamboyant d’une grande pensée par un  grand penseur, n’est-ce-pas ?  Ladies and Gentlemen, les Africains contraints physiquement pendant quatre siècles, enlevés, coupés brutalement de leurs lignages et de leurs filiations, dépossédés de leurs noms, stockés, jetés dans les fers, enchaînés les uns aux autres, n’étaient en réalité, yes Sir, en somme, que de vénérables partant, joyeux volontaires, heureux, satisfaits d’être dépossédés de leur humanité !

Et Gorée, Elmina, Ouidah, Porto-Novo, Malembo, Luanda et tous les autres ports négriers non pas, bien sûr, mesdames et messieurs, d’abominables lieux du crime de l’homme faisant commerce de l’homme, mais de rayonnantes plateformes d’accueil et de transit de millions d’Africains en quête d’aventures américaines excitantes et pressés de se rendre sur les marchés de bois d’ébène à Salvador, Rio, Carthagène, New York, Cuba, Kingston, Saint-Domingue, Veracruz… Des Africains ravis d’être marqués au fer rouge, comblés de porter de lourdes chaînes au cou et aux jambes, extasiés de voyager entravés, entassés, au fond de cales de bateaux, naviguant sur les chemins de la mort du Middle passage, euphoriques d’être montrés, pesés, soupesés, achetés, vendus en lots, en espèces ou en nature, comptant ou à crédit, la terre américaine foulée. Tout cela était de l’ordre de leur choix, nous dit Kanye West, incarnation suprême sans précédent de l’intelligence, toutes époques de l’histoire de l’humanité confondues !

Mais, oui, l’horizon limité, nous autres, n’avions rien, mais alors rien compris, rien saisi : l’esclavage est l’autre nom de la liberté ! Liberté désintéressée, le corps puissamment sans droit de mouvement, de trimer comme des bêtes de somme sous un soleil brûlant jusqu’à l’épuisement du jour dans les champs de coton et de canne à sucre, choix bienheureux de porter des colliers de fer, d’être cogné, fouetté, insulté, mutilé, décision par goût de se débarrasser de sa peau d’homme pour embrasser avec allégresse, jubilation, félicité le désirable, souhaitable, séduisant, convoitable statut de bien meuble, de choses corvéables et taillables à merci. Choix, le bonheur en transe, d’être empêché d’être, s’il plaît au maître sélectionné, réquisitionné, évidement, volontairement.

L’esclavage, selon notre illustre rappeur, n’était donc pas un crime contre l’humanité mais l’expression d’une condition librement consentie ! Un désir raisonné. Tout portait, aspirait au statut de l’esclavage chez l’esclave ; tout, corps et âme, réclamait délibérément le supplice, l’affliction, l’outrage, le gémissement, le tourment, le chagrin, le blues, le calvaire, la non-existence, l’exclusion de l’humanité. Les esclaves ne demandaient qu’à être maltraités, malmenés, châtiés, humiliés, déshumanisés. L’esclavage est advenu parce que tel était le vouloir-vivre des esclaves ! Les esclaves, libres de faire ce qu’ils voulaient, auraient opté pour le renoncement à leur statut d’homme. L’esclavage n’était rien d’autre qu’une réponse au libre besoin des esclaves d’être sans aucun droit ni sur eux-mêmes, ni sur rien, d’être possédés par leurs maîtres. La preuve : l’explosion de joie permanente observée chez l’ensemble des captifs !

Les esclaves responsables de leur malheur, en somme ! Par essence peut-être ? Parce qu’ils étaient prisonniers d’eux-mêmes, précise Kanye West, la lumière du siècle. Et la pensée grandiose, le rappeur sommé de s’expliquer sur la nature de ses propos, d’illuminer, l’altruisme sans bornes, la planète de ses conseils : il est temps que les Noirs se libèrent pour les quatre cents prochaines années. Qu’ils se libèrent de quoi au juste ? De leur choix ?  Et si on commençait par libérer Kanye West de sa pauvreté d’esprit ?

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