Nous étions rien. Nous n’avions rien. Nous étions ceux que l’on regarde sans les voir. Nous étions ceux venus d’ailleurs. Nous étions ceux que l’on accueille à moitié ; ceux que l’on accueille la porte entrouverte, la porte à moitié fermée. Nous étions ceux que l’on accueille en les refoulant. Nous étions ceux à qui rien n’est donné ni pardonné.
Je ne m’appelle pas Larssson. Je ne m’appelle pas Olsson. Mon nom est Ibrahimovic. Je n’étais pas destiné de naissance à devenir ni le roi de la Suède, ni le King de l’Europe. Je suis venu, j’ai vu, j’ai conquis. Conquis Malmö, conquis Amsterdam, conquis Turin, conquis Milan, conquis Barcelone, conquis Paris, conquis Manchester.
D’entrée de jeu, des faubourgs écorchés de Malmö, morveux perdu tapant dans le ballon sans terrain, j’ai annoncé solennellement, l’imaginaire sans limites, les lueurs des rayons glorieux: «Retenez bien mon nom ; retenez bien mon visage. Je m’appelle Ibrahimovic. Tous les regards seront un jour portés vers moi !»
A peine quinze printemps et je me souvenais déjà des années à venir et j’exultais. L’art du ballon rond magique, avec mes pieds et ma tête, j’inventerai, de cime en cime, des gestes mystiques jamais imaginés ; divinité des stades, je serai le héros du jour et du lendemain. La clameur se souviendra de moi de siècle en siècle sans poussières. Du misérable ciment de Malmö, faisant œuvre de légende, je commettrai de l’or.
Ajax. Dans le brouillard de là où je suis né, j’étais déjà, par effraction, ailleurs. Du côté de l’Ajax d’Amsterdam. Amsterdam a vibré pour moi. Amsterdam a chanté pour moi. Amsterdam a dansé pour moi. Imprévisible, invraisemblable, la pondération hautaine, la tenue hors lignes tracées, la confiance maîtrisant les hauteurs, j’ai mystifié, disloqué toutes les forteresses de l’Europe et déchiré tous les filets adverses.
D’Amsterdam, l’heure sonnée, je suis parti à la conquête de Turin et de Milan. Il est de ces années de félicité dans la circulation des jours qu’aucune parole ne saurait recueillir en transversale ou en diagonale, encore moins traduire, retranscrire en horizontale. Inégalable dans l’art majestueux d’être moi-même, prince vertical couronné d’Italie, j’ai ravi le feu du ciel en coups de ciseaux, en coups de génie infinie, illuminé le calcio d’ouvertures aux couleurs hautes et vives, cassé l’étau des codes établis, la liberté énoncée derrière chaque geste dessiné sur la pelouse et déposé dans la lucarne pour la légende. Hors liberté, nul destin signifiant, remarquable.
Je ne m’appelle pas Pettersson. Je ne m’appelle pas Carlsson. Mon nom est Ibrahimovic.
Des gradins remuant parfois de sombres passions, combien de fois la sottise en meute montrant ses dents, agitant ses bras, exhalant des effluves nauséabondes ? Ni cris de singe, ni bananes balancées, je n’étais ni Muntari ni Dani Alves, j’étais un yougo, un Zingaro, un tzigane en crampons.
Imperméable au venin des moqueries, chacun de mes gestes instant suprême d’élégance, transgressant les habitudes et les dogmatismes qui emprisonnent l’imagination, échappant aux tacles faucheurs, j’ai défié toutes les règles du jeu géométrique, prose sans esthétique, soulevé de sombreros, submergé d’émotion et de passion les cœurs et mis à genoux tous les racontars, irrités de mon triomphe.
La légende levée, la grandiloquence, masque protecteur, vanité dérobant du regard mes failles rentrées, j’ai mis le voile sur Barcelone. Et mon visage rayé d’or et de pourpre, étoile remontant en contre-attaque soudaine les scores, inversant d’un éclair les défaites en victoires, se relevant de chaque chute, la fierté imperturbable, sans ivresse : si le génie est de l’ordre de la mystique individuelle, le charme de la victoire se récolte en équipe. Donner, recevoir. Recevoir, donner.
Passant les années, ma mission remplie, l’avenir était Paris. Le talent insondable, j’ai couronné la ville lumière de tous les lauriers. Les années passeront, mon nom survivra à toutes les saisons et demeurera trace sacrée de prestige dribblant les années, tel la tour Eiffel !
Et me voici à Manchester. Que du chemin parcouru faisant toujours à mon idée et ne misant jamais sur une seconde chance : «Je suis le nord, je suis le sud, je suis l’est et je suis l’ouest. Je suis Zlatan Ibrahimovic.»