Ainsi donc Bruno Roger-Petit (la sphère médiatico-politique dit : BRP, c’est plus chic) arrive à l’Elysée. Aussitôt, charivari. Les commentateurs se saisissent de cet événement, tellement vieux monde, tellement «comme avant». Aussitôt Twitter s’emballe. On cite Claude Sérillon. La ronde à disserter sans fin se met en branle. Roselyne Bachelot s’indigne. Le Figaro est goguenard. Et ses anciens articles, sur Bruno Le Maire ? Et son duo, avec Sibeth Ndiaye ? Pourquoi a-t-il supprimé son compte Twitter ? Etait-il dans les messages Telegram ? Le pia-pia tourne en boucle. S’interroge, mine grave, sur les conséquences quant à la confiance des Français dans leurs médias et leurs hommes politiques. Canteloup se gausse. Au fond, la nouvelle les rassure. Les commentateurs sont en terrain connu. Macron + BRP, c’est Hollande + Gantzer. Enfin Jupiter descend de son trône ! Il va parler, déjà, dit-on avec extase «il a repris les off, autrefois proscrits». Et ce discours, à Bucarest ! Et cette interview, au Point, qui faisait ça, dans le monde d’avant, si ce n’est Hollande ? Enfin, le «métèque» (le mot est de Macron lui-même), le sale gosse qui démissionne les généraux, enfin il rentre dans le rang. Première bonne nouvelle pour le vieux monde. Et puis, BRP, le vieux monde connait : pas un député sorti d’on ne sait où, ou bien un ministre technocrate et fade, non un éditorialiste du métier. Un professionnel de la profession. Deuxième bonne nouvelle. Donc, on le classe, ce nouveau visiteur du soir. On l’exhume du placard. On s’échange des sourires entendus. Oui, enfin, croit le vieux monde, le nouveau monde s’assagit. Comme d’habitude avec Macron, le vieux monde n’a rien compris.
En réalité, pour qui veut lire l’évènement avec des yeux neufs, rien n’a changé. Machiavel est Lampedusa. Jupiter reste Jupiter. On ne le dira jamais assez : Jupiter n’est pas ce personnage, tel qu’il est entendu par la ronde des commentateurs lambda. Il est une invention sémiotique de Jacques Pilhan et Gérard Colé pour préparer la réélection de François Mitterrand en 1988. Qui est Jupiter ? En la matière, il faut savoir compter jusqu’à deux. Visage numéro un : en effet, un personnage inaccessible, Président régalien, galerie des glaces avec Poutine, le 14 juillet avec Trump, je laisse Edouard Philippe s’essorer dans la baisse des APL. Refus de la connivence, rareté, élévation. Mais il existe un visage numéro deux : c’est la proximité. Car quelle est la seconde caractéristique de Jupiter, pour qui lit (comme moi) Ovide dans le texte ? Eh bien Jupiter se déguise et il descend parmi les mortels. Une fois en cygne. Une fois en Amphitryon. Une fois en taureau. En politique, cela donne François «chébran» Mitterrand chez Yves Mourousi : Jupiter déguisé en branché. Au fond, Jupiter c’est une dialectique subtile entre distance et proximité. Mitterrand le protecteur, sphinx et Roi. Et Mitterrand «Tonton» dans la rue, dans les cortèges, qui parle et pense comme les Français. Chez Jupiter façon Pilhan et Colé il y a deux axes : l’axe horizontal, qui est l’axe républicain de la quotidienneté et de la proximité. Et l’axe vertical, l’axe monarchique de la distance et de l’autorité. Aussi simple que ça. Un plus un égale deux.
Répétons-le : les journalistes n’ont rien compris. Ils pointent le paradoxe, dont ils se délectent, du théoricien de Jupiter appelé au Château pour enterrer Jupiter. Quelle cruauté ! C’est Macron-Underwood. En réalité, cette nomination est le triomphe de BRP. Que va faire le nouveau conseiller du Prince ? Eh bien il va parachever le dispositif. L’axe vertical est solidement installé – chronologiquement, il fallait commencer par là, pour éteindre la petite musique sur le manque d’expérience de Macron, pensez donc, lui si jeune, et face à Poutine alors ? Désormais, Macron défenseur du monde libre – les missiles sont à l’est mais les pacifistes sont à l’ouest – est imprimé dans les rétines. Et le jeune monarque n’aura pas trop à forcer son empathie naturelle pour installer l’axe horizontal. On imagine sans peine ce que cela va donner : Macron annonçant une réforme juste des APL. Macron devisant avec les oubliés de la République. Macron à Rungis. Macron avec les infirmières. Macron avec les enseignants dans les classes dédoublées. Macron à «Quotidien» avec les jeunes. Le piège se referme sur les éditorialistes pia-pia. Jupier va descendre de l’Olympe. La parole présidentielle, dont on les a habilement sevrés, va les engluer par sa bienveillance et sa bénévolence. Il faut regarder l’époque telle qu’elle est. Le code a changé. Les journalistes (sauf moi) sont les zombies de «Walking Dead». Ils ne voient rien et nous ressortent leurs vieilles références, tellement vieux monde. Ils parlent dans le vide : la rentrée sociale, les «couacs», les APL. Ils ne voient pas l’essentiel. L’engouement, samedi soir, sur Twitter, pour ce ministre robuste et compétent, Jean-Michel Blanquer. Le fait peut paraître insignifiant, mais les bons commentateurs l’auront noté. Les journalistes ont voulu rejouer Sarkozy, l’été 2007, la loi TEPA, le «Président des riches» ? En réalité, malgré quelques difficultés au démarrage, la séquence est celle du passage du De Gaulle monarque au De Gaulle réformateur. Des réformes consensuelles et audacieuses. Pénicaud et Blanquer comme nouveaux Pinay et Rueff. Les hommes et femmes de bonne volonté face aux difficultés. A ce titre, ce qui se joue avec les ordonnances – mode de réforme gaulliste par excellence – est important. FO ne dit rien. La CFDT boude. Mélenchon mélenchonne, mais provoque le schisme avec la CGT, ce qui anéantit la seule contestation sociale possible.
Répétons-le : en réalité, Macron n’a jamais si bien joué qu’avec ma nomination. Etudiez les signaux faibles. L’engouement depuis samedi pour Blanquer, comme s’il était un footballeur de l’équipe de France, preuve du moment Pinay du macronisme. La réunion, à Bordeaux, des juppéistes, inexorablement entraînés dans l’orbite d’En Marche, prolégomènes à peine masqués à une future scission de la droite. Wauquiez récupérant LR, amputé des «constructifs» et des juppéistes, mais avalant l’aile Marion du FN. Lequel FN, comme un canard sans tête, meurt à petits feux. Et oui, les Lannister paient leurs dettes. A gauche, Carvounas et Vallaud comme les nouveaux Jospin et Fabius, rejouant le congrès de Rennes. Aux Insoumis, le schisme Ruffin-Mélenchon, et l’émancipation Quatennens en préparation. A l’international, les élections au Kenya, l’appréciation du yuan, et un mois de septembre plutôt doux pour la saison. Le retour du jean sur les podiums pour le printemps-été, et la hausse du prix des matières premières. Johnny qui refait une tournée. Les agrumes qui arrivent tôt cette année. Regardez ! Tout fait sens. Pourvu qu’on sache voir. Bref, tout est pour le mieux en Macronie. On peut inventer, dans les dîners en ville et sur les plateaux d’«On refait le monde», des élections sénatoriales cauchemardesques pour les marcheurs, et une grogne sociale qui n’en finit pas de ne pas naître, en réalité, the winter of opposition is coming. BRP à l’Elysée, c’est l’assurance de five more years en 2017. Foi de Bruno Roger-Petit.
Baptiste a compris Bruno. Bruno a compris Pilhé-Collant. On sait d’où vient Macron-Jupiter !
Pour comprendre, faudrait-il que les éditorialistes pia-pia lisent Ovide, dans le texte, de préférence ?
Ou bien Joseph Campbell (8,90 €/J’ai lu).
Et au moins qu’ils actualisent leurs données, après le séisme des dernières élections, et changent leurs logiciels.
Connaissent les stratégies de conquête, conçues en secret mais aujourd’hui révélées, qui firent FM et EM Présidents.
Dans le quiz du décryptage, un indice crevait pourtant les yeux : le pupitre de Macron était calqué sur celui de Mitterrand.
Cette étrave tranchée de bleu-blanc-rouge, nous l’avions appelée… Jupiter !