Lundi, un policier a été brûlé vif par des barbares décidés à en découdre.
Ni Macron ni Le Pen, disaient-ils. Mais bien la ferme volonté de mettre la France à feu et à sang.
On n’en a pas fini avec la pulsion de mort de la gauche. A l’heure où près de la moitié du pays embrasse ou accepte les thèses dévastatrices du Front National, force nous est de constater que d’autres versent à nouveau dans un nihilisme «de progrès» qui n’en est pas moins redoutable. L’acosmisme destructeur de ces «anti-flics» est le visage contemporain d’un bien vieux fantasme : celui de purger l’humanité par la violence. Notre monde, affirmaient les terroristes russes de la fin du XIXe siècle, est à ce point abominable qu’aucune réforme ne saurait lui convenir : seule la mort de millions d’individus était à les en croire à même de le rédimer. Le sang, donc, la guerre, la révolution et ses hordes génocidaires.
Vous me direz qu’on n’en est pas là. C’est vrai : pour horrible que soit le sort de cet homme, il ne s’agit pas d’un massacre mais d’une attaque individuelle, d’ailleurs dénoncée par tous. Vous me direz peut-être aussi que le seul mal d’actualité est le mal frontiste et qu’il me faudrait concentrer mes attaques de ce côté : je répondrais pour le coup à cela qu’il n’en est rien, d’abord parce que notre détermination à triompher de ce mal «bien de chez nous» ne doit en aucun cas nous faire oublier le totalitarisme islamiste – pour ne citer que l’un des nombreux maux qui nous assaillent ; ensuite parce que le vote massif en faveur de Mélenchon prouve combien l’on se soucie peu en France des crimes du communisme et de leur mémoire, chose qui a de quoi tout autant inquiéter que les accointances négationnistes ou soraliennes de Marine Le Pen ; enfin parce que les monstres qui s’en sont pris à ce malheureux policier sont évidemment de ceux qui, rêvant une guerre civile, ne veulent que l’élection de la candidate nationaliste.
Nihilisme de gauche et de droite, nihilisme d’Islam, d’Occident ou des deux à la fois : ces délires se tiennent par la main car non seulement nos casseurs «ninistes» voudraient le FN au pouvoir, mais ils se montrent encore ordinairement bien complaisants envers le fascisme musulman qui amplifie démesurément leurs propres méthodes et mérite même plus que tout autre, par sa radicalité débridée et son projet si explicitement totalitaire, le nom de fascisme. Il y a quelques jours, c’est d’ailleurs un islamiste qui assassinait lâchement Xavier Jugelé, encore un policier, sur l’avenue des Champs-Elysées.
Il existe une remarquable continuité entre ces trois totalitarismes : le nihilisme de gauche a engendré le fascisme, à moitié, comme l’ont montré Furet et d’autres, en l’influençant directement, par le culte de la violence vue comme outil de régénération collective, par le désir de faire table rase du passé, par l’unanimisme ou par le rejet de l’anthropologie des Lumières ; à moitié en suscitant la peur de masses prêtes ainsi à se livrer au premier venu. Quant au fascisme islamiste, je renvoie mes lecteurs au livre d’Hamed Abdel-Samad tout récemment traduit en français : il faut remonter aux Frères Musulmans pour observer l’intrication, au sein de l’idéologie islamiste, du totalitarisme religieux et du fascisme.
L’un des traits constants de la terreur totalitaire consiste dans l’effacement de l’individualité. Pour les disciples de Netchaïev, le fonctionnaire, qu’il soit policier ou facteur, devait être éliminé non en tant que personne mais en tant que membre d’un corps qui dépassait justement son existence propre. Façon aussi de rappeler, par des actes sanglants et faits pour frapper l’imagination, que nous ne sommes en aucun cas les termes de quelque relation que ce soit mais seulement les maillons d’une grande chaîne. Ceux qui vous diront que le viol de Théo en février dernier ou l’indigne mauvaise foi de l’IGPN qui rechigna alors à qualifier cette horrible agression comme elle le méritait, justifient que l’on s’en prenne indistinctement aux représentants des forces de l’ordre, ceux-là, oui, pensent à peu près comme Netchaïev. Rappelons à tout hasard que suivant le même raisonnement, vous et moi mériterions de même un bien prompt trépas, eu égard à notre qualité de membres d’une société profondément inégalitaire, corrompue et injuste. «Il n’y a pas d’erreur de justice», disait Joseph de Maistre pour qui l’innocent exécuté n’était précisément pas innocent puisque le péché originel en avait fait un damné voué à la mort. On retrouverait ici, sécularisé mais tout aussi inexorable, le même collectivisme métaphysique.
Au reste, qu’est-ce que la justice sinon l’ordre ? Lorsque j’écrivais il y a quelques mois, avec la même foi qu’aujourd’hui : Je suis flic, Ivan Segré, l’obscure caution juive du très paulinien Badiou, répliquait par un article haineux que je m’étais mis par ces mots aux ordres de Pharaon contre Moïse. Sophisme évidemment ! Les Hébreux ne quittent pas l’Egypte pour habiter le désert mais pour prendre leur destin de peuple en main et, installés sur leur terre promise, vivre selon une loi qui n’a pas grand rapport avec la soif de chaos dont les amis de Segré se font écho. Ensuite, la police de la République n’est pas «pharaonique» mais nous protège, bien au contraire, de tous les pharaons, des Goliath et autres Amalécites, vauriens ou seigneurs qui en veulent à notre faiblesse. Jeter aujourd’hui un cocktail Molotov au visage d’un flic, c’est d’abord briser la vie d’un homme ; c’est ensuite se ranger du côté de toutes les injustices, contre la loi qui tend à nous en préserver.
Si d’ailleurs la justice et l’ordre de notre pays leur déplaisent, pourquoi ces courageux «antifas» ne s’exilent-ils pas dans l’un de ces pays où il fait à les écouter si bon vivre, au Venezuela par exemple, où un tyran se disant progressiste immole ses opposants en achevant de plonger son peuple dans la misère ? Mais non, je ne suis pas dupe : la faim de justice, même aveugle, n’est pas ce qui les pousse à agir. Au contraire, tels le Sénécal de L’Education sentimentale, révolutionnaire sous la République devenu garde-chiourme sous Napoléon III, l’injustice et la violence érigées en loi leur iraient parfaitement, et ce sont plutôt les limites d’un régime ayant la liberté pour principe qu’ils cherchent à éprouver, un peu comme ces enfants dont les parents trop permissifs passent tous les caprices et qui n’ont dès lors de cesse de se jouer d’eux : tout le monde n’aime pas être libre. De façon moins extrême, c’est la même logique qui pousse Mélenchon à désapprouver l’état d’urgence en France tout en voulant s’allier aux pires dictatures, ou le trotskiste Poutou à vouloir désarmer la police et à se dire «allergique aux réactionnaires» alors que son parti, qui se réclamait tout de même encore récemment du père du Goulag, approuve la réaction si elle a le bon goût de s’appuyer sur le Coran.
J’entends déjà fuser les accusations de conservatisme. Tant pis. Beaucoup de grands esprits ont d’ailleurs craint les révolutions, Montaigne par exemple, optant pour l’«ordre établi» et le respect de la coutume par crainte de maux pires ou inconnus ; si c’est là la part de vérité, incontestable, de la modération politique, c’est ailleurs que je me situe : je suis «de gauche», comme on dit. Il se trouve toutefois que la justice est avant tout un autre nom de l’ordre, comme devoir-être, soit qu’il faille maintenir une organisation menacée de s’effondrer, soit qu’il faille, cela arrive, la réformer. Notre police veille au premier point, protégeant ce qui doit l’être ; aux politiciens mais aussi au reste des citoyens de veiller au second, en changeant ce qu’il faut changer pour que la société qu’ils composent atteigne sa mission.
Mais il reste que quiconque hait l’idée d’ordre hait aussi fatalement celle de justice : une chose est de vouloir rétablir ce qui ne va plus en combattant le désordre établi qui, soit sous le masque de traditions pouvant avoir fait le temps, soit sous celui de mauvaises innovations, se substitue parfois à l’ordre, autre chose est de vouloir le triomphe des forces de chaos.