Les petites filles fouillent dans la chambre de leur mère pour enfiler leurs chaussures à hauts talons, mettre leur rouge à lèvre et se deviner en femmes. Arielle Dombasle, la grande fille, s’est fait conduire par Nicolas Ker dans l’antre sombre du rock de la fin des seventies pour en ressortir en diva cold wave après avoir écouté Nick Cave, Joy Division, Depeche Mode, Bauhaus, The Smiths, Bowie période berlinoise et quelques autres encore – Orchestral Manœuvre in the Dark sans doute – de ce renouveau binaire d’une ère rock glaciaire revenue d’actualité. La musique de cet improbable duo sonne parfois comme – attention, compliment majeur – la merveille trop peu connue qu’est le disque sorti il y a quelques années par Scarlett Johansson, Anywhere I Lay My Head.
Un album se doit de comporter des hits qui accrochent l’oreille dès les premières secondes. La Rivière Atlantique n’en propose pas moins de trois ou quatre, dont l’impeccable «Endless Summer», sorte de tube girl group sixties revu et corrigé par le Velvet Underground sans rien perdre de son efficacité mélodique. Quand Arielle D. et Nicolas K. font ce morceau sur scène, que faire sinon prendre son voisin/voisine et l’embarquer pour un slow-rock chaloupé ? Ou se laisser happer par la fée blonde qui s’est mis à elle-même un coup de sa baguette magique pour se transformer en délicieuse sorcière inaccessible ? Autre irrésistible réussite : «Happiness Still in Blue». C’est lent, poisseux, sombre, leurs voix se combinent parfaitement pour laisser le chant résonner entre les oreilles et le bas-ventre. «Point Blank», encore un slow à l’ancienne projeté en 2017 par une machine à faire des allers-retours dans le temps. C’est triste à pleurer, déchirant, d’autant que le superbe enrobage du violon manié par le lutin triste Henri Graetz ne laisse aucun espoir. Quant à «I’m Not Here Anymore», ça saute aux tympans : il a sa place dans les favoris qu’on écoute inlassablement sur son smartphone. Sous les doigts de Jeff, la guitare électrique traverse chaque morceau comme une fidélité aux origines du rock and roll.
Cette musique n’est, finalement, qu’une course après l’innocence. L’innocence des premiers émois, l’innocence à laquelle on retourne chaque fois qu’un morceau de quelques minutes vient sidérer par son évidente puissance érotique – car le rock n’existe que s’il est caresse troublante faisant onduler les hanches, fermer les yeux. On n’écoute pas du rock, on s’y abandonne lascivement. Il donne envie de séduire et d’être objet de désir. Il offre cette possibilité rare de revenir au commencement de tous les possibles amoureux, de délivrer une jouissance sans usure. Le rock, dans sa générosité simple, occasionne chaque fois, à condition d’être candidement honnête, l’émerveillement stupéfait de vouloir danser encore quand on a déjà si souvent fait son malin sur la piste.
Parlons franchement. Arielle Dombasle arrive comme une extraterrestre là où on ne l’attend pas, mais se pose comme si elle avait d’emblée toujours été là, en l’occurrence à cet endroit de la carte rock. Si elle est belle ? Affirmatif. Ou plutôt non : elle est splendide. Et lui, le Nicolas ? Il est une nouvelle réincarnation du rock, dans la lignée de Johnny Thunders. Un type qui sait chanter (mieux que l’ex-New York Dolls), écrire de belles chansons, mais dont on ne sait jamais ce qu’il va lui arriver sur la scène. Tomber et s’ouvrir le nez ? Déjà fait. Murmurer des insanités ? Déjà fait aussi. Se montrer tendre et protecteur à l’égard de sa partenaire ? Il sait faire, et c’est bien. Mais, finalement, qui protège l’autre ? La confiance que lui accorde la Belle est émouvante. Le chant grave et maîtrisé de la Bête aussi.
Sans doute faut-il enfin souligner qu’Arielle Dombasle, avec son glamour et sa gaieté – oui, sa gaieté intelligente et aérienne – apporte une bouffée d’air pur en cette dangereuse période électorale. La fille est comme ça. Le rock est comme ça. La Rivière Atlantique charrie une envie de liberté. La liberté de rêver à nos amours tristes, de se secouer et de recommencer à être amoureux, sans maudire qui que ce soit.
Arielle Dombasle & Nicolas Ker – Showcase aux Bains
I’m Not Here Anymore (extrait de l’album «La rivière atlantique», sorti fin 2016).
Arielle Dombasle & Nicolas Ker en concert jeudi 4 mai, péniche Le Flow. Paris. 4, port des Invalides (sous le pont Alexandre III). 20h. 01 44 05 39 50.