Maintenant, l’épisode «costumes de François Fillon». Jusqu’où ira ce déballage? Cette folie de la transparence? Cette fouille dans le tas de secrets? Ce suicide électoral? Cette chute lente? Nous sommes tous des valets de chambre (Hegel). L’emploi politique et ses mystères réduits à une affaire de conciergerie (Léon Bloy).
C’est la lecture à voix basse qui a fini de tuer la poésie, dit en substance Laurent Nunez dans un beau livre («L’énigme des premières phrases», Grasset) où il est question, entre autres, d’un vers d’Aragon qui ne sonne juste que si l’on consent à le lire comme il fut écrit – à haute et coruscante voix. On songe à la réprobation d’Augustin découvrant qu’Ambroise lit en silence. Ou à Jean de Fécamp, moine du XIe siècle, théologien du «don des larmes», plaidant, sous peine de mort de la lettre, pour la lecture sonore «cum palatum cordis». Ou Hugo, bien sûr, expliquant, dans «L’homme qui rit», que Socrate ne pouvait lire qu’en «pérorant» avec cette «habitude hermaphrodite d’être son propre auditoire».
Grand cadavre à la renverse, suite. Mais signé Christophe Barbier («Les derniers jours de la gauche», Flammarion). Et avec une dimension théâtrale qui était la touche manquante à mon tableau de la semaine dernière. Footballisation de la politique, ok. La meilleure téléréalité du moment, d’accord. Mais avec ces impromptus désopilants que l’auteur imagine et qui font dialoguer par exemple Hollande et Sarkozy, complices devant leur télé, un soir de match après l’élection. Et puis cette idée si juste d’une nouvelle révolution française, placide et implacable, où l’on couperait la tête des rois avant même qu’elle ne soit couronnée (Juppé, Bayrou, Valls, Hollande, Sarkozy, Fillon…). Révolution à blanc? Ou à mèche lente?
Retour à Erbil. Projection de «La bataille de Mossoul» pour ses personnages mêmes. Et, dans les regards de mes amis, cet air d’effroi de qui a vu l’inhumanité portée à son extrême… Peut-être le grand problème du postnihilisme est-il, finalement, là. Cette difficulté à concevoir non pas un monde sans Dieu, mais un mal sans diable. Avec ce corrélat que ce sont les hommes qui, du coup, sont responsables du déferlement de mal sur le monde.
Bien sûr, les juges. Sans aucun doute, l’indépendance de la justice. Mais n’est-on pas en train de remédier au démon du populisme par le poison de l’oligarchie?
Le livre à lire, de nouveau: celui de Pascal Bruckner («Un racisme imaginaire»). Une page notamment, vers la fin, où il dit à la fois: 1/ notre inconscience suicidaire (le Frère musulman Tariq Ramadan, jadis conseiller de Tony Blair); 2/ la nécessité de distinguer entre le devoir de protéger les croyants (au nom de la République) et le droit de critiquer leur croyance (au nom du libre examen); et 3/ l’urgence de créer, comme nous le fîmes, jadis, pour les dissidents du soviétisme, un vaste système d’assistance aux rebelles de l’islam (non pas les croyants, mais les incroyants; non pas les «musulmans» victimes d’une prétendue «islamophobie», mais les libres-penseurs, les amis des Lumières, les apostats, qui sont, en islam, les plus clairement menacés). Changement de paradigme. Vrai geste de générosité.
Faillite des instituts de sondages, vraiment? Et est-on si sûr qu’ils disent, désormais, «n’importe quoi»? Il y a une autre hypothèse dont je m’étonne qu’elle ne soit pas davantage envisagée. Les sondages sont bons, mais les électeurs sont meilleurs. Les sondages disent la vérité du moment; mais les électeurs, tenant compte de cette vérité, la confirment ou, au contraire, la retournent. Les sondages, en d’autres termes, seraient une des données dont s’emparent les citoyens pour former, instruire ou affiner leur suffrage; mais, un peu comme le joueur d’échecs affrontant un ordinateur, ou l’investisseur gardant, tant que faire se peut, un coup d’avance sur le marché, ils rusent avec ce qui leur est dit de la tendance du jour. Je ne dis pas que cela est bien. Ce devenir spéculatif du politique est même tout à fait inquiétant. Mais voilà: c’est le comble de la démocratie d’opinion.
Le Jyllands-Posten est le quotidien danois d’où partit, il y a onze ans, la première affaire des caricatures de Mahomet. «La bataille de Mossoul», toujours. Interview. Je me fais, en parlant, l’observation suivante. Comme la foi des islamistes doit être faible, et fragile, et incertaine de soi, et désarmée, pour se sentir si menacée par quelques inoffensifs dessins! Et quelle erreur, une fois de plus, chez ces pauvres déclinistes qui nous bassinent avec la «décadence» d’un Occident dont les valeurs ne feraient «plus le poids» face à celles des nouveaux conquérants de l’islam! C’est le contraire, bien sûr. C’est l’Europe qui est forte – et le djihadisme qui est faible.
Ce responsable socialiste, Vincent Peillon, qui a plus fait, en un lapsus, que les négationnistes les plus bavards: l’existence des camps d’extermination ravalée au rang de légende urbaine.
Mobilité. Déplacement. Goût des masques et des leurres. Art de vivre, non pas exactement plusieurs vies, mais plusieurs œuvres dans une même vie. C’est la ligne Picasso: «couvrir à soi seul autant d’époques qu’une époque vous le permet».
Et, une dernière fois, cette histoire de peshmergas dont le nom signifie: «ceux qui vont au-devant de la mort». Au-devant, pas au-dedans. Défier, pas adorer. C’est l’inverse du martyr selon Jacques Lacan dans son « Séminaire » sur Antigone: «il n’y a que les martyrs pour être sans pitié ni crainte; le jour du triomphe des martyrs, c’est l’incendie universel». Raison de plus de mon attachement aux Kurdes.
Le nihilisme de Mossoul
Oui, si l’homme est le responsable du mal de ce monde, ce n’est pas pour autant qu’il puisse être rassuré d’en finir un jour, d’en venir enfin au bout.
Le nihilisme a ce de particulier et terrible, il détruit ce qui est et sa mémoire, et ce n’est pas encore le tout, il lui faut aussi s’autodétruire pour accomplir entièrement son dessin. Ce qui augmente beaucoup plus le danger pour l’humanité entière ne laissant aucun espoir d’un postnihilisme durable et définitif.
L’horreur et l’effroi des Peshmergas, voyant les djihadistes se faire sauter en l’air, montre sûrement leur incompréhension, mais également la tâche qui les attend pour continuer à vivre.
Séparation des pouvoirs et pouvoirs des juges.
Pour Montesquieu les juges doivent appliquer la loi en tant que telle, ils ne sont que « la bouche qui prononce les paroles de la loi » et de ce fait leur puissance « est en quelque sorte nulle ».
La Révolution n’a fait que confirmer ce principe l’inscrivant dans la loi et interdisant aux juges, et c’est bien l’actualité de nos jours, la possibilité de troubler « de quelque manière que ce soit les opérations des corps administratifs » et même de « citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions », loi de 1790.
L’immunité du président de la République naît de ce socle.
Dans la Constitution française c’est bien l’autorité judiciaire qui est citée et pas le pouvoir spécifique des juges.
En d’autres termes le droit s’impose à eux tout autant que la Constitution aux pouvoirs de l’Etat de droit. Ce sont les véritables gardes-fous de la République française.
Cette doctrine est différente comparativement à d’autres pays européens. En Grande-Bretagne l’Habeas Corpus rend le juge garant des libertés mais aussi libre d’appliquer les droits ayant justification dans une jurisprudence pragmatique.
En Allemagne Hegel bien sûr, mais pas seulement.
L’Etat de droit n’est plus suffisant, vu son passé récent, et dès lors il est accompagné par des droits fondamentaux de l’homme intangibles, qu’aucun pouvoir ni loi ne pourront modifier. La Cour constitutionnelle allemande en est le garante et de ce fait indépendante.
Depuis lors aussi en France les choses ont changées et l’autorité des juges a progressivement étendu le contrôle sur des actes administratifs, sur les politiques notamment au nom d’une jurisprudence accrue, ce qui nous donne les critiques de ces jours.
Mais à bien y voir et à bien nommer les choses ce n’est pas tellement le pouvoir de la justice qui est en cause, le soi-disant gouvernement des juges, mais leur indépendance, le véritable fond du problème.
C’est toujours au pouvoir exécutif qui revient le dernier mot si en jeu, par exemple, il y a une quelconque menace à l’intégrité nationale ou à l’intérêt supérieur de l’Etat. Ceci peut tout aussi être décidé à l’encontre d’une décision du Conseil constitutionnel.
Certes l’indépendance des juges est inscrite dans la Constitution mais le fait que les magistrats du parquet soient soumis à l’autorité du Garde des Sceaux ne fait pas crier à l’oligarchie de ceux-mêmes.
C’est bien ce qui nous reproche la Court européenne des droits de l’homme (CEDH).
L’affaire Bettencourt, par exemple, mais aussi celle qui concerne François Fillon ne préfigurent pas tant ce gouvernement des juges mais le problème, plusieurs fois évoqué, des garanties d’indépendance et d’impartialité des juges instructeurs.
Il n’est jamais inutile de répéter que c’est par la séparation des pouvoirs que nous distinguons la démocratie des régimes autoritaires et qu’il ne peut y avoir démocratie sans les droits de l’homme, sans l’impartialité et l’indépendance de la justice de tous pouvoirs, tant politiques que économiques.
L’exemple le plus récent et le plus frappant de la menace qui pèse sur la séparation des pouvoirs, sur l’indépendance de la justice et donc sur notre démocratie c’est Marine Le Pen qui nous le donne.
Visée par des enquêtes judiciaires MLP a refusé de se rendre à la convocation sur prétexte « d’instrumentalisation » et ceci à dépit du respect des règles de l’Etat de droit.
Elle va plus loin et promet de mettre en place un Etat « neutre et impartial » avec des juges « soumis à un strict devoir de réserve dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions », autrement dit en sommant les magistrats de s’adonner à celles qu’elle considère des persécutions politiques.
Pour ce faire la présidente du FN entend « revoir la formation » des juges, ce qui fait penser à une instrumentalisation, à un asservissement, qui ne présume rien de bon pour leur indépendance.
Pour qui comme Marine Le Pen pense que l’État de droit doit s’imposer sur le pouvoir des juges, sur leur présumé gouvernement, et puis vient à mépriser ce même Rule of Law du fait de ne pas respecter ni ses normes juridiques ni l’égalité de tous, personnes physiques ou morales, devant les lois c’est plus qu’un comble, c’est une dérive vers un Etat autoritaire qui ne se soumet plus en tant que personne morale au respect du droit.