Vous ne pouvez pas laisser pourrir la situation. Vous ne pouvez pas laisser le pays se décomposer comme c’est en train de se passer. Vous ne pouvez pas laisser le pays se désintégrer. On est chez nous. Nous aussi, Monsieur le Président, on est chez nous. Vous ne pouvez pas quitter le navire comme ça. Pas en ce moment. Il faut que quelqu’un fasse quelque chose, et il faut que ce soit vous. Il n’y a plus que vous. Ayez le courage. Relevez le gant.

Je vais vous avouer quelque chose. Le 1er décembre, quand j’ai appris que vous aviez renoncé, je me suis dit « très bien, de toute façon t’avais aucune chance de gagner, c’est très bien, libère le terrain ». Pardon de vous tutoyer, mais vous savez c’est comme ça qu’on parle devant sa télévision, on s’énerve, on tutoie, et on insulte même parfois. Je ne vous ai jamais insulté, même devant ma télé, mais parfois vous m’avez contrariée, oui, c’est vrai. Et si on m’avait dit il y a trois mois que je serais en train de vous écrire cette lettre, je ne l’aurais pas cru. Mais je le fais, j’espère que vous la lirez, et que vous vous présenterez. En trois mois, tout a changé. Vous ne pouvez pas laisser le bateau échouer. Vous êtes notre Président, vous êtes notre capitaine, le bateau est en train de s’échouer. Ça tangue beaucoup trop, Monsieur le Président. Qu’on se retrouve d’un côté, ou de l’autre, on est perdants.

Regardez le nombre de gens qui ne savent pas quoi voter. On est 51%, Monsieur le Président. A ne pas savoir quoi faire. Il y a ceux qui disent qu’au deuxième tour ils feront bloc et qu’ils voteront contre Marine Le Pen, mais qui ne savent pas quoi voter au premier tour. Ils ne peuvent voter pour aucun de ceux qui se présentent. Et ils ne veulent pas voter contre. Ils ne veulent pas faire de l’épuration. Sarkozy a été éliminé, Juppé a été éliminé, Valls a été éliminé. Ce n’est pas la presse qui a fait ça, contrairement à ce qu’on raconte, ce n’est pas la presse qui détruit, c’est bien cet instinct français de flinguer celui qui a des chances de l’emporter pour lui apprendre à vivre. Vous, c’est encore autre chose. Le 1er décembre, quand vous vous êtes retiré, vous n’aviez aucune chance de l’emporter. Maintenant vous en avez une. Vous en avez une, parce que le pays affronte un double danger. Dans les situations exceptionnelles, vous avez toujours été à la hauteur. Même ceux qui ne vous aiment pas le reconnaissent. A moins d’être vraiment de mauvaise foi. La façon dont vous nous avez parlé le 7 janvier 2015, puis le 13 novembre, nous a permis d’accuser le coup, sans partir en vrille. Vous avez réussi à nous faire tenir ensemble. Plus ou moins. Et Dieu sait que c’était difficile. On n’a pas explosé dans ces moments-là, ça a commencé à se fendiller, Charlie-Pas Charlie, mais on n’a pas explosé. Il ne faut pas qu’on explose maintenant. Aidez-nous. Vous savez prendre sur vous. La pluie, les coups.

Le danger est double : on a d’un côté Marine Le Pen, qui nous menace, elle menace notre pays, Monsieur le Président. Je ne sais pas si vous avez déjà été confronté à des gens qui vous disent qu’ils vous aiment pour mieux vous faire du mal. C’est la base de la perversion. Tous ces partis d’extrême droite, c’est ça. Ils disent qu’ils aiment la France pour mieux la mettre à terre. C’est dégueulasse, Monsieur le Président. Ne laissez pas faire ça. Et d’un autre côté, on a la menace islamiste. Des gens qui nous détestent et qui veulent nous détruire. Bref, dans les deux cas, on est menacé de perdre notre cohésion. C’est une situation pourrie, on risque la décomposition. On est en train de se décomposer, Monsieur le Président.

On n’arrive plus à vivre ensemble. On n’arrive plus à parler ensemble. Regardez tous ces candidats dont chacun représente une petite section de la population, et qui n’arrivent pas à nous réunir. Mélenchon, les « protestataires », Macron, les « on va gagner à tout prix » quitte à aller séduire de Villiers au Puy du Fou, et le lendemain expliquer à un petit mec de banlieue qu’il faut qu’il ait envie de devenir milliardaire, mais oui mon pote, c’est possible, lui dire ça avec des étoiles dans les yeux, comme quand on explique à un enfant qu’on va enlever les petites roues de son vélo, alors que le gosse fait déjà de la moto, sur des circuits que Macron ne connaît pas. Et comme s’il n’y avait pas d’autres formes de rêve que d’être milliardaire. Tout ça, ce ne sont que des seconds couteaux qui n’arrêtent pas de faire des erreurs, des erreurs qui nous divisent.

Enfin, j’espère que c’est des erreurs. La colonisation, crime contre l’humanité, comment il a pu dire ça? Est-ce qu’il pensait que ça allait faire plaisir aux Arabes d’avoir eux aussi leur crime contre l’humanité? Parce qu’il n’y avait pas de raison que soit réservé aux Juifs, comme ça il n’y avait pas de jaloux? Les cafés de Sevran que Hamon compare à ceux des années 1950, et qu’il trouve acceptables. Alors après, évidemment, Marine Le Pen n’a plus rien à faire, elle joue sur du velours. Et Christiane Taubira, qui le soutient, ancienne ministre de la Justice, et même pas au courant des tweets antisémites de Mehdi Meklat avec qui elle fait la couverture des Inrockuptibles. Elle n’avait qu’à se renseigner. Elle aurait vu en même temps qu’il avait publié dans le Bondy Blog un portrait d’Abaaoud plein de « poésie ». Ouvrez-leur les yeux, Monsieur le Président. Soyez la garantie de notre cohésion. Car là, on est en train de partir dans tous les sens.

Il y a ceux qui disent qu’ils partiront, au Canada, en Italie, ils verront, ils trouveront, ils s’exileront. Ceux qui disent que, si elle passe, ils feront avec, ils ne disent pas que c’est bon mais qu’ils feront avec, l’air pas spécialement triste, pas spécialement atteint, résigné. Comme si c’était un mal nécessaire. Qu’est-ce que c’est que ce pays, Monsieur le Président. C’est un pays de collabos? C’est un pays de masochistes? C’est quoi? Il y a ceux qui disent qu’ils voteront Macron, qu’ils aiment bien sa femme, qu’il est cultivé, intelligent, qu’il fait des maladresses, mais qu’il a du talent. Ceux qui disent qu’ils voteront Hamon, parce que son programme est « vachement beau », comme s’il s’agissait du dossier artistique d’un spectacle qu’ils espèrent pouvoir produire.

Et puis il y a ceux qui disent qu’ils ne voteront pas. Qu’ils sont perdus. Ou qu’ils voteront Fillon. Comme si l’histoire Penelope était enterrée. Et que par la bouche de D’Ormesson, l’arbitre de leurs élégances, les maîtres de toujours avaient réussi à la faire passer pour « une victime innocente ». « Imagine-t-on ses souffrances, pas l’ombre d’exhibition ni de vulgarité, des fleurs et du respect pour Mme Penelope. » Comme si l’honnêteté était devenue un détail. Là-dessus, Monsieur le Président, on ne peut rien dire contre vous. Pas une affaire à vous reprocher. A vous personnellement. Il y a eu Cahuzac, que vous auriez pu virer avant. Qu’est-ce qu’ils vous reprochent les Français? D’être allé rejoindre une femme en scooter? D’avoir rompu avec une autre? D’avoir pris du poids par rapport à l’année où vous étiez candidat? D’avoir dit dans le livre de Davet et Lhomme que les magistrats, c’était une profession de lâcheté ? Ce que certains d’entre nous ont pu vérifier par eux-mêmes, parfois. Un président ne devrait pas dire ce qui est. De ne pas être antimédia, comme Trump, Le Pen, Fillon, Mélenchon, pour qui la presse est un coupable idéal?

Le 1er décembre, vous avez renoncé. Mais en trois mois, la droite s’est effondrée. Le centre s’est mis à séduire tout le monde à tout prix, des futurs milliardaires de banlieue à Philippe de Villiers, en comptant sur un charme personnel, et sur les circonstances. Quant à la gauche, alors là… ils veulent rêver, leur programme est « vachement beau », mais au-delà de leur cercle, ça ne les intéresse pas de convaincre. Comme si le PS ne voulait plus être rassembleur.

Je vous écris parce que je n’en peux plus de rester spectatrice de mon pays qui va dans le mur, tout droit. Alors ça, oui, pour être en marche, on est en marche. Est-ce que vous ne pourriez pas venir pour ralentir la chute, pendant au moins cinq ans? Vous avez stabilisé la courbe du chômage, venez inverser celle de la chute. Vous saurez nous réunir. Venez. Essayez.

Texte paru dans le Journal du Dimanche, le 26 février 2017.

3 Commentaires

  1. Si la difficile émergence des États dont la conqûete d’indépendance restitua ou attribua une souveraineté nationale aux ex-indigènes d’ex-provinces d’ex-empires coloniaux, aussi irrespectueux des droits de l’homme que fût et persistât à être le système colonial, s’explique par le fait que ces populations aient été victimes d’un même crime contre l’humanité que serait le crime de colonisation, faut-il en conclure que la prospérité d’Israël sur un territoire que les survivants de la Shoah avaient retrouvé, après quelque dix-neuf siècles d’exil, dans un état relativement aride, prouve à l’inverse que les Juifs n’ont jamais été, comme ils le disent, victimes d’un génocide?

  2. Ha bon, et selon vous la colonisation ne serait pas un crime contre l’humanité ? Bien sur c’est un crime contre l’humanité, qui commence par une guerre d’agression, le crime de guerre qui contient tous les autres selon le tribunal de Nürnberg.
    Bien sur que c’est une crime contre l’humanité, un des plus terribles en ce qu’il nie l’humanité et l’identité des coloniséEs et détruit les personnes moralement et physiquement. Ni l’Afrique ni les peuples d’Amérique du Sud, certains peuples, d’ailleurs encore victimes de nos jours du néocolonisalisme (Franceafrique, occupations militaires, CFA, accords de libre échange Canada-US-Mexique etc.) n’ont jamais pu se reconstruire suite à ces crimes.

  3. Hollande, Le Drian, Valls, Désir, ces hommes détiennent la clé de mon vote pour la prochaine présidentielle. Parce qu’ils incarnent trente ans d’histoire du socialisme, et quand je pense au parrain que s’était choisi le premier président socialiste de la Ve République, un certain Mendès-France ému aux larmes de voir son ancien ministre reprendre les rênes du pays, je me dis que le cette conception de la gauche social-démocrate, cassinienne, attachée à exporter les droits de l’homme, européiste évidemment, pas amnésique au point de croire que les peuples ont cessé de grogner au moindre rapprochement et doivent, en raison de la Bête qui gronde à l’intérieur de leur niche thoracique, se voir attribuer de solides institutions politiques à même de les souder au lieu qu’ils ne se dissoudraient sous l’effet d’une pauvre coopération économique, bien que la gauche dont je parle ne soit pas ennemie de la finance pour un sou car bien déterminée à imposer ses lois au marché, je me dis, dis-je, que cette gauche-là, décidément, conserve toute sa place au national et, mathématiquement, à l’international. Voilà pourquoi la clé de mon vote n’a jamais toléré que les Kurdes fussent traités comme des moins-que-rien alors qu’ils sont ces plus-que-tout qui, durant chacun des Jour J déceptifs où ils firent face au drapeau noir de l’État islamique, surent gagner la confiance de tous les pays dignes. Et si la clé de mon vote n’a pas permis à Poutine de s’emparer de l’un des deux piliers de la civilisation européenne en vue de pulvériser l’autre, elle ne se bercera pas non plus d’illusions devant un état d’urgence mondial qui requiert de la part du monde libre une stratégie globale. À ce socialisme antitotalitaire et réformiste, qui est celui auquel j’adhère en toute liberté depuis mes jeunes années mitterrandiennes consommées fond sur fond — liberté sur libertarité — s’offre aujourd’hui deux choix. Il peut choisir d’imposer son poids historique à un vainqueur de la BAP qui ne doit son statut candide qu’aux bulletins de vote d’une extrême gauche ayant saisi l’opportunité d’une primaire à gauche pour décapiter l’Adversaire n° 1 avant que de toiser l’Union promise par le même candidat, victime de sa manipulation. Il peut aussi, ce PS héritier des Lumières, couper le cordon avec Joseph Proudhon et aller innerver le corps en 2D du phénomène Macron. Dans ce cas, l’équilibriste devra quitter son fil tendu à l’extrême, poser le pied sur la tour gauche, monter dans l’ascenseur et appuyer sur le bouton RC. La politique n’est pas un domaine du divertissement et, croyez-le ou non, il existe d’autres moyens pour parvenir à la paix extérieure que le lâcher de colombe synchrone avec le lâcher de bombe.