Je rentre de New York, où je me trouvais avec une délégation de combattants kurdes venus présenter avec moi « Peshmerga », le film que j’ai tourné, en 2015, le long des 1 000 kilomètres de ligne de front qui les séparent de Daech.
Imaginons que le décret de Trump interdisant aux ressortissants de sept pays majoritairement musulmans ait été, alors, déjà signé. Imaginons qu’il ait déjà gravé dans le faux marbre de ses engagements irréfléchis et brouillons cette punition collective sans précédent infligée à sept peuples. Mes compagnons kurdes (détenteurs, car le Kurdistan n’est, hélas, pas encore indépendant, de passeports irakiens) auraient été refoulés à l’aéroport Kennedy. Le général Hajjar, qui conduisait le petit groupe et dont toute la formation s’est effectuée dans les académies militaires américaines, se serait découvert indésirable sur la terre même qui est, depuis toujours, sa deuxième patrie de coeur. Pis : ces hommes et femmes qui luttent à nos côtés, quand ce n’est pas à notre place, contre l’Etat islamique en Irak, ces peshmergas qui, jusqu’à une date récente, tenaient seuls la ligne de front qui contient l’extrême barbarie et l’empêche de déferler davantage en Occident, ces frères d’armes et de civilisation, ces amis des chrétiens, des juifs, de l’Amérique, de l’Europe, auraient été traités par les douanes américaines comme les terroristes qu’ils combattent. C’est un signe, et un signe seulement, de l’obscénité de cette « rafle » trumpiste. C’est une des raisons, et une seulement, qui m’ont fait dire, deux semaines durant, sur toutes les tribunes qui m’ont été offertes, que la politique de Trump, loin de renforcer l’Amérique, est en train de tourner le dos à ses valeurs constitutives, de la séparer de ses alliés et, par conséquent, de l’affaiblir.
Même chose pour la troublante absence du mot « juif » dans le communiqué de la Maison-Blanche diffusé, comme chaque année, à l’occasion de la journée mondiale à la mémoire des victimes de la Shoah. On a, d’abord, cru à un « oubli ». Ou à un « lapsus ». On a cru à un raté de transmission entre les différents speech writers, le plus souvent amateurs, qui s’attellent, désormais, à la rédaction des communiqués de Trump. Mais non. Nous avons eu droit, au bout de quelques heures, par la bouche de Hope Hicks, l’ancien mannequin devenu porte-parole du président, à l’explication officielle. « Malgré ce que disent les médias », a-t-elle commencé (ah ! toujours les « médias » ! toujours la recherche d’une factualité, d’une vérité, « alternatives » à celle des médias honnis !)…
Malgré, donc, ce que disent les médias « nous sommes » une administration « extrêmement inclusive » attachée à « prendre en compte tous ceux qui ont souffert ». Et, quand on lui a demandé d’en dire davantage sur ces « souffrances » qu’on a tenu à « inclure » dans l’événement de la Shoah, elle a renvoyé à un article évoquant, pêle-mêle, les prêtres, les communistes, les syndicalistes, les témoins de Jéhovah, les anarchistes, les Polonais et autres peuples slaves, les résistants, dont il est parfaitement exact, bien sûr, qu’ils ont été des cibles du nazisme, mais dont il est indispensable de rappeler qu’ils ne l’ont pas été avec la systématicité, la rage, la volonté de liquidation sans reste ni mémoire qui furent en vigueur pour les juifs. Distinguer ceci et cela, telle est pourtant la tâche. Honorer la mémoire des résistants morts les armes à la main, des gays et des handicapés exterminés, cultiver le souvenir de toutes les victimes sans exception, mais sans jamais perdre de vue ce qui fit la spécificité de cette destruction des juifs spécifiquement commémorée en ce jour du souvenir de la Shoah, tel est l’impératif si l’on veut être certain de rendre à chacun la part de deuil qui lui revient.
Ne pas distinguer, tout mélanger, faire de la Shoah un épisode parmi d’autres, un détail, inclus dans la nuit d’un massacre général où tous les massacrés se confondent, c’est, à l’inverse, le principe de la maladie de l’esprit qui s’appelle le négationnisme et qui est l’un des carburants du nouvel antisémitisme. Voilà pourquoi j’ai dit, là aussi, aux juifs d’Amérique qu’il ne fallait pas être dupe des gestes d’amitié de Trump. Voilà pourquoi je me suis permis de les mettre en garde contre le danger mortel que ce serait de se voir pris en otage par un homme qui participe donc, apparemment, de ce négationnisme en train de se répandre, aussi, aux Etats-Unis.
Quelle tristesse d’apprendre, de retour en France, que quelques-uns de mes amis se sont associés au procès intenté par le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) à Georges Bensoussan, rédacteur en chef de la Revue d’histoire de la Shoah. Que celui-ci ait eu, dans une conversation radiophonique avec Alain Finkielkraut, un mot plus que malheureux (« l’antisémitisme, on le tète avec le lait de la mère ») pour évoquer ces autres « langages totalitaires » qui assurent la transmission de la haine dans une large part du monde musulman, c’est certain. Mais je comprends, à la lecture des comptes rendus d’audience (Martine Gozlan, Raphaëlle Bacqué, Laurent Vo Anh…) : 1. qu’il a lui-même, avec dignité, regretté ce mot jeté dans le feu d’un débat trop vif ; 2. que le procès du mot a vite tourné à la mise au pilori d’une œuvre tout entière vouée à l’intelligence des haines contemporaines et de leur terrifiant pouvoir de défaire ce qui fait lien entre les hommes ; 3. que les avocats du CCIF et certains de leurs témoins ont profité de cette tribune inespérée pour faire avancer leur obsession, inspirée par les idéologues et activistes les plus radicaux du djihadisme, d’une islamophobie qui serait un masque du racisme et qu’il faudrait, à ce titre, criminaliser. Mauvaise séquence. Faux pas. J’y reviendrai, s’il le faut.
Donald Trump n’est pas un fou. C’est une petite tête que l’on visse dans le corps d’un géant fil-de-fériste décapité par son outil de travail. Gare donc, mon Amérique, à ne point te viander dans les gravats soviétisants qui ont mémorisé l’histoire des peuples sans Histoire, annihilant ainsi toute possibilité de controverse, de chantier de fouilles incorporelles, de proscription des idées viles, de prescription des idées nobles tandis que des esprits dépourvus d’esprit, esclavagistes du réel et autres pions négationnistes n’étaient définitivement pas armés pour affronter sur le ring de Cadmos le rejeton de Rosemary.
Le Pr. John D. Gartner n’ignore pas que l’hybris n’éprouve aucun scrupule à s’emparer d’un vainqueur du Minotaure dont nous aurons tous constaté que le chef indo-européen Orangeskin n’en partage pas l’ADN. Ce qui ne signifie pas que les spotlights soient des cybergénies microcephalovores. Nous en concluons que, si l’on peut voir bourdonner un essaim de parasites fluo à quelques millimètres de l’Incident, il ne faut pas s’arrêter là mais se demander quelle peut bien être la fonction des multitudes cybergéniques.
Un démon paresseux s’est emparé d’un quartier d’Amérique. Déclenchant un faux mouvement de foule. Débouchant sur l’inculture de masse. Un goût prononcé pour les âmes dépourvues d’esprit. Un dégoût imprononçable pour la profondeur des images. Une seule question nous est posée. Le 45e président des États-Unis commet-il un crime contre l’homme et ses droits? Si tel est le cas, sa place n’est plus à la tête d’un État de droit. Or c’est bien là le type de menace auquel nous faisons face au moment même où, par centaines de milliers, des réfugiés de guerre sont refoulés au portail de la fabrique de djihadistes que représentent ces implants salafistes à l’intérieur desquels nous assistâmes, impuissants, à l’attribution, sous le nez embaumé de Voltaire, d’un permis de déconstruire le pacte républicain à tout architecte de la République islamique mondiale. Notre coresponsabilité dans le martyre des populations infestées par la multinationale Daech n’est plus à établir. Et donc. Laissons les fous inoffensifs tenir compagnie aux psychopathes dans leurs départements. Et puis. Attachons-nous à renforcer les positions sur lesquelles nous avons installé notre campement à mi-chemin des Lumières et de la barbarie, le tout étant de poursuivre notre exode universaliste dans le bon sens. Avançons la raison, repoussons ses faussaires. Lorsqu’un nocher égoïste et inapte flatte l’instinct de mort des passagers encerclés par sa faute par une horde d’ombres, ne pas lui opposer l’impasse d’une bienveillance dogmatique.
Les nouveaux stylistes de l’État islamique d’Iran ne parviendront pas à nous refourguer leur stock d’ayatollahs en costard gris. Rohani applique la réciprocité contre le décret anti-immigration du Zemmour de la Maison-Blanche. Il pourra se tourner les pouces quand la légalisation de la torture sera rentrée en vigueur. Et si le Führer néozarathoustrique trouvera sans doute quelques docteurs ès géostratégie pour relayer sa propagande pacifiste, nous n’en sommes pas encore à renvoyer dos à dos le planificateur de la Shoah (suite et fin) et l’idole du D Day. La lutte contre le bloc de l’Est a sérieusement dérapé dans les années cinquante mais on ne peut en aucun cas comparer les crimes contre l’humanité perpétués par l’Union soviétique et ceux contre la démocratie perpétrés par la commission McCarthy, aussi abjects qu’ils fussent. L’État islamique d’Iran demeure jusqu’à nouvel ordre un des régimes les plus amalécites au monde et c’est en raison de son extrême dangerosité que le traité de Vienne ne doit pas être défait. Ne rendons pas Obama rétrospectivement complice de la République des mollahs. Obama fut un stratège, non un idiot utile.