Certains écrivains s’enferment dans l’écriture pour ne plus voir le monde. Ils s’extirpent. En se retirant, ils réécrivent le monde non plus comme il est mais comme ils voudraient qu’il soit, c’est-à-dire plus beau, plus grand, plus idéal que la réalité. Ils ne se cachent pas pour mourir mais se retranchent pour survivre. Ils écrivent pour nous donner des raisons d’espérer. Parmi celles-ci : le style, la beauté. En dépit du génie de ses tournures – on pourrait dire de son « art de la punchline » – Yann Moix ne fait rien de tout ça. Il vit à la fois « à son époque », c’est à dire dans le même espace temps que son lecteur mais également « dans son époque », c’est-à-dire à l’intérieur. On peut le croiser dans la rue, l’interpeller. Des millions de personnes le regardent à la télé, commentent ses saillies. Chaque semaine, Moix apostrophe ceux qui construisent notre réalité : hommes politiques, intellectuels, artistes. Il est donc bien de 2017. Il se peut même qu’il l’ait toujours été. Déjà enfant à Orléans. Déjà jeune homme au service militaire. Déjà écrivain en herbe à ses débuts à La Règle du jeu. Déjà pendant le tournage de Podium et l’écriture de son Renaudot.
Treize ans après Partouz, Yann Moix continue à mettre les mains dans le cambouis du réel (pour ne pas dire la merde ambiante). Il revient à la plume par un sujet qu’il maîtrise sur le bout des doigts : le terrorisme. Dans Partouz, on lisait les rapports de chair, la connexion étroitement ficelée entre échangisme et terrorisme. Moix passait alors par un médium pratique : un personnage. Dans Terreur, le procédé est différent, plus personnel. On découvre cette fois et sans intermédiaire les pensées de l’auteur, son journal, ses réflexions au jour le jour sur les attentats, ce qu’ils provoquent en lui, en nous mais aussi chez leurs auteurs. Le livre agit comme un almanach de la peur. Il commence ainsi :
« On note, dans les journaux, une débauche d’analyses sur les attentats terroristes. C’est légitime : chacun veut livrer, non pas sa version, mais son point de vue sur les causes, les effets, les raisons, les conséquences de ce qui se passe en France. Personne n’a raison ; personne n’a tort. Il s’agit, avant tout, de donner forme à « quelque chose » qui n’en a pas vraiment. Ce pays de culture, cette nation d’intellectuels (c’est touchant, c’est honorable, c’est ce qui fait la beauté de la France) tente, désespérément, à chaque fois qu’un attentat a lieu sur son territoire, de venir greffer sa part de clairvoyance, de connaissance, d’intelligence sur le chaos. On ne sait plus qui croire, qui lire, tant l’offre abonde : sociologues, historiens, théologiens, philosophes, écrivains se succèdent, s’empilent parfois, pour tenter de défricher l’indéfrichable et essayer de déchiffrer l’indéchiffrable. »
Pourquoi, alors, lire Terreur ? Car il est l’œuvre d’un écrivain, autrement dit, une production de raison mais également de sensibilité sur un sujet qui, de bout en bout, est censé en être dénué. Ce que disait l’écrivain lui-même au moment de la sortie de Partouz est plus que jamais d’actualité : « Un romancier doit écrire des choses que les journalistes n’écrivent pas, parce qu’elles correspondent à une parcelle de réalité qui est un peu oubliée, écartée ». Un exemple parlant avec cette pensée moixienne faisant office de quatrième de couverture : « Le terroriste veut réussir sa mort pour n’avoir plus jamais à ne pas réussir sa vie. » Comme l’indique son titre, Terreur est bel et bien puissant, maintes fois magistral et formidablement contemporain dans la façon qu’il a de manier les références anciennes et contemporaines pour nourrir notre réflexion (Tocqueville, Sénèque, la revue Esprit, les Sex Pistols, Nietzche, Wikipedia). Attardons-nous d’ailleurs sur Wikipedia. Moix écrit : « Les terroristes ne préfèrent pas seulement la mort à la vie, mais la gloire à la vie ». Plus loin, il poursuit, reprenant à son compte et prolongeant le fameux théorème warholien :
« Les djihadistes veulent mourir célèbres. En réalité, il faudrait mettre un tiret entre ces deux termes, « mourir » et « célèbre ». Ils ont mis au point le « mourir-célèbre » (« dying-famous »). Autrement dit, la célébrité immédiatement obtenue avec la mort, par la mort – la mort en tant qu’ils la sèment et la récoltent. La célébrité ne vient pas entériner une biographie, mais une nécrographie ».
Puis enfin : « Les terroristes passent de la fiche S à la fiche Wikipédia ». En vertu de quoi ? Pourquoi certains terroristes obtiennent leur fiche et d’autres non ? Est-ce parce qu’à un moment donné, certains font preuve d’un regain d’inventivité dans l’acte de tuer ? Puisqu’il est parfois très imaginatif, repoussant en-cela les limites de notre réalité, se peut-il qu’il y ait du talent dans l’administration de la terreur ? Les questions fusent. On se retrouve vite à écorner, à souligner beaucoup de pages de ce livre qui devient soudain un support de pensée. Autant de maximes et de raisonnements à lire à haute voix, à répéter pour mieux les vérifier. Un indispensable de cette rentrée littéraire.
Il ne faut pas oublier que les Français qui sont partis en Syrie faire le « djihad » avec Daesh sont partis avant tout pour combattre la dictature de Bachar Al Assad (qui a tiré sur la foule à balle réelle lors des premières manifestations pacifistes du printemps arabes).
D’où l’incompréhension d’être pris comme des terroristes et d’être combattus au lieu de combattre Bachar Al Assad l’occident s’est acharné sur eux.
De là à se considérer comme martyrs il n’y a qu’un pas et les terroristes des héros qui combattent le mal occidental qui défend la dictature de Bachar Al Assad dans l’esprit des jeunes kamikazes l’amalgame est vite fait…