Retour de Mossoul.

Et rentrée, comme toujours un peu difficile, dans cette atmosphère nationale bizarre, marquée par tant d’événements imprévus.

Le dernier en date est la déclaration de candidature de Manuel Valls.

Lorsque j’apprends cela, à ma descente d’avion, mon premier réflexe est de me réjouir.

Et, compte tenu du coup de théâtre que vient d’être l’abdication d’un président qui a eu, à mes yeux, le triple mérite de tenir tête à la Russie en Ukraine, de tenir bon sur la Syrie en dépit de la forfaiture d’Obama et de n’avoir pas cédé un pouce de terrain militaire et idéologique aux islamistes en France et dans le monde, je me dis qu’il n’y avait pas mieux que son ancien Premier ministre pour, à l’heure où le bloc Poutine avance ses pions sur le reste de l’échiquier, défendre, illustrer et faire prospérer ce bilan.

D’où vient, alors, ma gêne pendant le discours d’annonce à Evry ?

Et pourquoi ce sentiment diffus dans l’opinion d’une entrée en campagne moins éclatante que prévu ?

Le «tout-sauf-Valls», naturellement, qui produit ses premiers ravages.

Ce lâcher de chiens contre un homme que seule sa position institutionnelle a protégé jusqu’à présent et dont on a le sentiment, soudain, que nulle bassesse ne lui sera plus épargnée. Et puis ce cirque auquel se réduit, de plus en plus, notre vie politique et où le jeu favori semble être de voir les champions rossés par des showcrates minables, en quête de leur quart d’heure de célébrité et en train de faire du droit à la primaire un appendice à la liberté d’expression.

Mais il y a, hélas, autre chose.

Et je ne parviens pas à m’ôter de l’idée que l’intéressé lui-même a commis, dans sa façon de se déclarer, une erreur.

Cette primaire est un scrutin à deux tours.

Ce qui veut dire qu’il sera toujours temps pour lui, au second tour, de tendre la main à ses rivaux et de nouer les compromis qui sont le souffle même de la vie démocratique.

Mais ce qui veut dire aussi que tout le difficile exercice du premier tour est de ne pas encore composer, de ne pas encore gommer les angles et les motifs de différends et, sans fermer la porte, bien sûr, aux inévitables rapprochements, d’aller à la bataille sous l’étendard qui est le sien et auquel on fera en sorte que se rallie, nonobstant les frontières entre les factions et même les partis, le plus grand nombre de votants.

Valls est l’homme qui a dit – et il a eu raison – qu’il y a risque, quand on «explique» le fascisme en général et le djihadisme en particulier, de commencer de l’«excuser».

Il est l’un des rares à n’avoir – c’est sa dignité – jamais démordu de l’idée qu’entre la gauche attachée aux droits de l’homme et à la lutte contre toutes les dictatures et celle qui, face à elle, trouve des vertus à Castro, justifie les violations du droit quand elles sont le fait d’un pouvoir commodément rangé dans le camp «anti-impérialiste» ou pense qu’il y a des lieux du monde où l’abaissement des femmes, par exemple, fait partie du paysage et de la culture, il y a une querelle irréconciliable que seule une franche défaite de la vieille gauche pourra commencer d’arbitrer.

Il est le premier haut responsable socialiste, enfin, à avoir eu le courage de rappeler, il y a dix ans déjà, qu’il y a une histoire, non seulement des idées, mais des mots de la politique, et que ce mot de socialisme, ce mot qui a servi à Staline en même temps qu’à Jaurès et à Blum, ce mot qui, comme le notait déjà Camus, est une brûlure à même la chair de la moitié de l’humanité, est un mot trop ambigu, et grevé de trop de douleurs, pour que l’on ne songe pas à en changer.

Que M. Valls pense cela, nul votant à la primaire ne pourra l’ignorer.

Qu’il soit l’un des seuls sociaux-démocrates capables de produire une parole réconciliant les trois signifiants de la devise républicaine, qu’il soit l’un des seuls à savoir dire qu’on peut être attaché à la liberté sans faire son deuil de l’égalité ou avoir à l’esprit l’égalité sans faire du libéralisme une insulte ou un gros mot, qu’il soit celui qui, depuis des années, tente de penser ensemble l’héritage des luttes sociales et celui du combat pour les droits de l’homme, ou la mémoire anticoloniale avec celle de l’antitotalitarisme, c’est le crime que lui impute la gauche radicale, mais c’est aussi l’honneur, le très grand honneur, qu’un nombre inconnu mais considérable de Français sont disposés à lui reconnaître.

Si bien que sa seule chance de créer l’événement et de faire que les électeurs s’intéressent assez à cette primaire pour la transformer, comme à droite, en un plébiscite républicain, sa seule possibilité, surtout, de faire tourner l’événement à son avantage en sautant hors du rang des fossoyeurs de sa famille idéologique et en renouant donc, pour de bon, avec la modernité n’est pas de se banaliser, d’édulcorer son message et d’être l’énième cacique à lancer l’appel incantatoire à une unité factice et vide, mais de marquer fièrement sa singularité et, ce faisant, de compter les siens.

Il perd ? Il prend date.

Il gagne ? Il crée, en enjambant la dépouille de ces grands cadavres à la renverse que sont les partis traditionnels, un élan autour de ses idées qui seront peut-être, en mai, celles de la France.

C’est la seule voie.

Elle est étroite, mais elle existe.

Car nous ne sommes toujours pas sortis du théorème énoncé, au lendemain d’une très ancienne et très belle révolte antiautoritaire, par un certain Maurice Clavel : «Il n’y a qu’une manière de vaincre la droite – c’est, d’abord, de briser la gauche.»

Il est temps.

7 Commentaires

  1. Un fidèle de Hollande suggère que l’incapacité de Valls à rassembler son camp démontre que le Président n’était pas, comme on le supputait, le problème de la gauche. Suggère-t-il que François II se serait trompé lorsqu’il fit de son soigneur d’image son propre Laurent Fabius? Peut-être eût-il dû d’emblée bombarder les Macronites sur le moyeu plutôt que sur l’essieu de son action, ou bien, mieux que ça, faire de celui selon lequel Ségolène n’avait qu’un seul problème le chaperon du jeunot, chose qui, à l’évidence, aurait coupé l’herbe sous le pied de la Fronde (?) mais attendez… Non! Lui? Oh non, pas lui… Ce serait lui le chef d’orchestre invisible des frondeurs? Il aurait nommé Valls en vue de précipiter la rupture qui menaçait un parti pacifiste dont il ne connaissait que trop la guerre civile interne qui le vingt-et-un-avrilait? Ces drilles inconséquents, cette bande de butés irréconciliables, ils allaient maintenant le croquer jusqu’au dernier morceau de charbon ce feu profane qui ne les avait que trop consumés. Apprendre à comprendre. À reprendre à son compte ce qu’il y a de meilleur chez l’autre. À se hollandiser en somme. Et puis, après avoir fait l’expérience de l’ineptie du dogme, le retour sarkozien. La victoire. Assurée. En vingt-deux. Sarkozien? Sarkozien… OK, on rerecommence tout.

    • François Hollande est le président de la République française. Pour paraphraser son prédécesseur, Manuel Valls aurait été bien incapable de lui imposer quoi que ce soit à une époque qui est encore loin de s’être achevée. Le laisser croire c’est, comble de fausse geste, abaisser pour de bon la fonction suprême et enterrer de par son écroulement un potentiel d’élévation porté à rechercher la lumière à sa source. Le chef de l’État reste le maître du jeu. Celui qui donne les cartes. La victoire de la gauche dépend de son prochain mouvement.

    • Le PS ne s’enorgueillira pas d’avoir profité d’une décade de colère pour forcer le président lambda d’une République impopulaire à prendre la fessée publique. Celui-là montera subitement sur les grands hippocampes de l’Ébranleur précoce, interdira l’organisation d’une primaire socialistique, exclura tout membre du PS qui se sera présenté à la présidentielle contre le candidat naturel du PS; le moment pour les uns de faire cavaliers seuls de manière à crédibiliser leur rupture avec le virage mondialiste amorcé du temps de Grand-Papa; le moment pour les autres de renforcer la stature historique de leur chef en lui élargissant la Grande Éponge sous l’effet de ce qui peut être considéré à juste titre comme étant leur rayon. Le crétin d’Onfray — chacun comprendra la formule comme il peut — aura-t-il été nihilistiquement bombardé à Matignon dans l’aperspective qu’on le crame? nous n’osons pas l’imaginer, préférant découper dans nos grandes heures tragiques cette silhouette d’unité affichée par l’exécutif. Et quand nous n’aurons pas l’audace sadique de demander au Fils de la nation de prendre parti pour son parti alors même qu’il l’aura sacrifié sur l’autel d’un régime en fin de croissance, nous aimerions tout de même continuer un instant à rêvasser à nos grandes heures tragiques sans nous sentir telle une épingle dans une botte de foin qui servirait à rembourrer un animal en peluche, sans os ni moelle ni mémoire fiable.

  2. Il faut encore nous démontrer en quoi le fait d’empêcher qu’une partie de la jeunesse française qui, comme toutes les autres, mérite qu’on s’inquiète de son sort, ne disparaisse sous l’emprise d’un SS-Schtroumpfürer qui se limite à fist-fucker une horde de clanistes autototémisés n’ayant jamais su distinguer entre humour fédérateur et moquerie sédicieuse, en quoi le fait de poursuivre une lutte cohérente contre l’antisionisme qui est la dénégation des Juifs en tant que peuple et, par voie de conséquence, l’effacement projectif et projeté des individus constitutifs de ce peuple, en quoi le fait de repousser dans leurs tranchées les démolisseurs de la mixité sociale et de la laïcité transculturelle que représente le cosmopolitisme des insoumis, en quoi le refus net et catégoriste de céder une once de terrain au Daech made in France et à sa haine viscérale pour l’État de droit, en quoi ceci, cela, et ce qui en découle, présupposeraient que la question sociale ennuie notre ADN?

  3. Nous nous efforcerons de dissocier les deux notions de la misère et du racisme. De son côté, l’extrême droite n’hésitera pas à se persécuter elle-même si elle juge cela plus efficace pour dresser les uns contre les autres les néoserfs natifs et les esclaves métèques. S’apitoyer sur les derniers venus a pour effet de renvoyer les premiers à un rang inférieur sur l’échelle de la souffrance, un rang tellement minable que ceux qui l’ont atteint nous indiffèrent : idée fausse : idée moche : idée perverse à partir du moment où elle suggère que la plaie qu’on suture au 3e étage dépend de la tuberculose qu’on traite au quatrième. Idée minée lorsque la réaction prévisible des damnés indigènes va nous pousser à les rejeter davantage dans la fosse à purin nationale alors que nous sommes censés les traiter comme tout rebut insane devrait l’être, et, dans un espace parfaitement hermétique et concomitant, sans chercher à établir un lien causal entre l’enfer social et la médiocrité de l’âme, s’attaquer au racisme qui est un mal qui, aussi bien que le bien, est fait pour transcender lesdites classes et dites races.

  4. Des primaires déprimantes. Des victoires d’évictions. Le démontage des ressorts de la défaite de 2017 trahit un sabotage. Pour un socialiste, il serait plus aisé de profiter de la loi de l’alternance que de succéder à deux mandats socialistes. Pas très joli… Et surtout pas très opérant. L’imprévu, vous connaissez? Un 21 avril qui ferait son come back, mais d’une manière bien plus farceuse qu’on nous y avait habitué depuis que l’homme qui se méfiait des appareils s’était rééclipsé. Un 21 avril avec, dans le rôle de Jean-Marie Le Pen : Emmanuel Macron. Oui, je sais, ça fait un choc. D’autant qu’au bout de cinq ans, battre le transpartisan encore quadra et candidat à sa propre succession, c’est un brin plus complexe que de se pointer devant Sarko II. Les socialistes — je n’ai pas dit la gauche car le Parti socialiste, autant que son électorat, mérite d’avoir son propre candidat — peuvent encore éviter le fiasco d’un duel de type Fillon vs Copé. Contrairement aux orphelins de Nicolas Sarkozy, ils ont la chance de posséder un candidat naturel. Eux seuls l’ignorent, abrutis? mais par qui? Qu’ils le veuillent ou non, François Hollande est leur chef. Tout ce dont ils ne manqueront pas de le déposséder ne fera que prouver davantage l’existence d’un bilan et du meilleur candidat pour porter ce bilan. Là-dessus, c’est Peillon qui voit juste, même si le sceptre qu’il cherche à empoigner sera, dans des proportions suffisamment conséquentes pour qu’il l’incarne sans pâlir, celui de Manuel Valls, lequel ne fut jamais un simple collaborateur.

  5. D’abord, il faut rappeler que le 49.3 n’est pas une flèche empoisonnée. C’est un bouclier. Si Valls Hollande n’avait pas eu le réflexe de lever le bras au moment même où le fichier jauni se raccrochait à l’arc du parti, il se serait vu percé tel Sébastien — non, non… celui d’Andrea Mantegna — et les victimes de son instinct de conservation croupiraient désormais dans les limbes de notre interconscient décollectif, avec nos assassins préférés.
    En cas de victoire aux primaires, Hollande Valls se propose de poursuivre, à mains nues, la révolution permanente contre la Lutte finale. Il ne parle pas pour lui seul. Il dit à ses petits adversaires irresponsables que oui, s’ils souhaitent vraiment que, malgré le niveau d’intensité des menaces de l’intérieur*, un combat entre mâles soit programmé en ouverture de chaque nouvelle session parlementaire, il s’y pliera, mais alors, qu’à l’instar du 49.3, la flèche et le poison ne figurent plus parmi les armes légales. * Quand j’évoque des menaces provenant de l’intérieur, je fais allusion à une hypoterritorialité de la contre-haine adaptée à un mal sans frontières et à une guerre sans fronts.
    L’antimondialisme fut l’un des grands perdants des primaires citoyennes de 2011. Il représenterait indéniablement une sensibilité avec laquelle il faudrait composer, sauf qu’à moins d’être Dieu en Personne, on ne peut pas s’attendre à renverser les étals des marchands du Temple avec 17 %. Parfait? Comment ça, parfait? Ah… parce que vous, je dis bien vous, n’avez jamais songé à rompre avec l’économie de marché? Ne me dites pas qu’après avoir su conquérir un quart de susucre de crédit chez les cocus de Chávez, vous n’auriez pas même la dignité élémentaire d’être antilibéral? En somme, c’est un BAS LES MASQUES auquel nous a conviés le TOUT CE QUI NOUS RASSEMBLE du slogan d’Évry. Faire progresser la justice sociale au sein des empires postindustriels dont on aurait jamais sérieusement planifié l’anéantissement, et pour cause. Un arbre qui a poussé trop vite a besoin d’un tuteur et non d’un tronçonneur. Un redresseur de tort capable de faire gagner tout ce qui nous rassemble, à condition que chacun retourne s’asseoir sur ses ambitions personnelles et commence de mesurer l’importance des questions auxquelles la droite ou les extrêmes apportent des réponses qui nous gonflent ou nous font exploser. À l’évidence, une ouverture du marché aux exclus du marché, outre qu’elle prendrait de court ceux qui envers le peuple ont les marques d’affection d’un éleveur pour ses têtes de bétail, pourrait générer des résultats impressionnants non seulement en terme de croissance nationale, mais aussi comme instrument destiné à surmonter les déterminismes socio-culturels avant que ces derniers n’aient eu l’occasion de saboter la navette des principes de toute puissance. Un bon point pour Monsieur 48 %. Pour autant, efforçons-nous d’écarquiller les yeux avant de les rouvrir et nous devrions, sans trop de difficulté, nous mettre d’accord sur au moins un point… s’inspirer de la startup nation ne nous préservera pas de la poursuite de la ((((guerre (((sainte ((islamique (totale)))).
    Et déjà un leader populiste dans mon casque nocturne. Il établit un lien entre la dernière démonstration de lâcheté des carpettes de Daech et les demandeurs d’asile en provenance d’Irak et du Levant. Il nous faudra, cent fois n’est pas coutume, nous concentrer sur cet ennemi quand les martyrs de l’autre passeront la nuit sur une table d’autopsie plutôt que dans leur lit douillet.
    L’autre, c’est un certain islam, qui se dit traditionaliste, que je qualifierais de fondamentaliste, ou de radical si vous préférez, un islam politique qui a pignon sur rue, et cela ne date pas de la dernière opération d’enfumage du cartel de la drague, donc, rien à voir avec les populations otages du Grand Coranisateur qui étaient loin de s’imaginer que les éraflerait ici, sur le toit d’Europe, la voix, reconnaissable entre toutes, du méchant loup qu’elles avaient, avouons-le, un peu trop facilement embrouillé.