Sonné, bouché-bée, roulé en boule sous mon plaid en regardant CNN relater la victoire de Donald Trump. L’improbable est en train de se réaliser. Décalage horaire oblige, John Podesta, le directeur de la campagne d’Hillary, enjoint les démocrates rassemblés au QG de Clinton d’ « aller se coucher ». Pour la forme, on s’accroche encore à l’espoir d’une poignée d’Etats mineurs qui n’ont pas encore rendu leur verdict définitif. Good night and good luck. Les minutes passent. La nuit américaine vient à peine de se terminer. En fait, elle commence à peine. Elle durera quatre ans…

 

Deux heures avant l’officialisation du résultat, Marine Le Pen a félicité le candidat républicain. Les jeux sont faits et d’Orban le Hongois à Farage l’Anglais, on jubile : Donald Trump sera bel et bien le quarante-cinquième Président des Etats-Unis d’Amérique. Le réveil est difficile comme toujours lorsque le réel surgit et vous claque la gueule. Une réalité qui fait poindre diverses réflexions. En voici quelques-unes.

D’abord, les appels au vote, que l’on considérait à la fois comme le rempart et la solution pour une victoire assurée du camp démocrate ont échoué. Ou plutôt, ils ont fonctionné dans le sens inverse des prévisions. Ces voix supplémentaires ont profité aux républicains. Les minorités se sont, en partie au moins, dirigées vers leur pire cauchemar. Noirs et latinos n’ont pas vraiment fait front. L’électorat féminin, malgré la perspective de se faire « attraper par la chatte » – puisqu’il faut bien appeler un chat, un chat – a, en partie, offert ses suffrages à un candidat misogyne. Incompréhensible. De son coté, l’Amérique profonde, blanche et déclassée, les white trash, ceux qui pâtissent sans aucun doute de la mondialisation et fustigent Wall Street, la finance, les élites et ce « broken Washington » ont voté… pour un millionnaire capitaliste zinzin ! Un businessman sans foi ni loi qui se targue de ne pas payer d’impôts et fait le mariole dans The Apprentice, une sinistre émission de téléréalité. Son gimmick ? « You’re fired ! ». Autrement dit : tu es viré ! L’électorat de Trump a beau subir le chômage : il est fan… De fait, Trump incarne la dureté d’un système qui, poussé à son paroxysme, ne fait naître que plus d’inégalités. En premier lieu, ce sont ses électeurs à lui, les plus fragiles, qui paieront l’addition. Des électeurs qui ont voté en dépit du bon sens. Mais qui l’ont fait consciemment.. Les médias ont sonné l’alerte. Leur parole a été ignorée. Et plus que cela : méprisée…

Trump victorieux, certains disent aujourd’hui : « La caste des journalistes s’est trompée. Elle n’a rien voulu voir. En décidant de prendre parti, elle a outrepassé son rôle. » C’est faux. Ce cri du peuple trumpiste a bien été exposé dans les médias. Au contraire des médias français, la presse U.S. a ce mérite de (bien) payer ses journalistes. Elle a donc publié d’excellents reportages, racontant en profondeur et parfois sur des dizaines de pages, cette autre Amérique, cette Amérique réactionnaire, cette Amérique du rejet. Elle a ensuite pris parti. A raison. Lorsqu’ils voient un candidat exposer des solutions illusoires et abracadabrantesques pour régler des questions complexes, il est de la responsabilité des médias d’alerter l’opinion. De le faire en toute honnêteté. Le métier de journaliste c’est de dire mais aussi de décrypter.

 

Sur Twitter, voilà que les grands esprits reprennent en boucle cette citation bien connue de Gramsci : « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres ». Au même titre que Daesh ou que Marine Le Pen, Donald Trump serait l’une des convulsions de ce monde d’hier. C’est faux ! Lire Gramsci ainsi revient à se tromper : le vieux monde ne se meurt pas, il n’a jamais été plus vivant qu’aujourd’hui… Pardon de vous le dire mais le nouveau monde est déjà là. On le connaît depuis des années. On l’expérimente tous les jours. C’est Internet, Twitter et Instagram, le mariage gay, les cœurs artificiels, l’Afrique en pleine croissance, la COP21 et la transition énergétique, ces islandaises qui décident d’arrêter le travail pour faire valoir leurs droits, les voitures Tesla et j’en passe. Le nouveau monde existe, il est à portée de main et pourtant, nous ne le choisissons pas. On pense que c’est automatique, qu’il adviendra forcément. Prendre Gramsci au mot (comme nous le faisons tous) revient ainsi à croire que la fin de l’histoire est inéluctable. Quoi qu’il arrive : l’avenir nous tend les bras. Il y aurait juste un mauvais moment à passer. Faux, archi-faux ! Si l’on ne combat plus ou si l’on combat mal : on perd. C’est simple. On revient en arrière et on se fait dépouiller de tous les progrès nés de la société ouverte des sixties et des seventies. Le « clair-obscur » de Gramsci est un leurre. Il est devenu inopérant. Le monde dans lequel nous évoluons est devenu catégorique et manichéen. Il est noir ou blanc. Jamais plus gris, jamais plus complexe et nuancé. A nous, progressistes, d’en tirer les leçons. Trump à la Maison Blanche, lourde désillusion. Mais aussi première pierre d’un combat féroce à mener depuis les fondations. Allons enfants, l’an 0 de la reconquête des têtes et des cœurs à commencé!