La cabane est une construction mi-ouverte mi-fermée. Habitat précaire, édifice de l’enfance, et même lieu de séjour à la mode, elle est un refuge à la fois tangible et mental. La remarquable Revue 303 consacre sa dernière livraison à cette architecture invisible ou revendiquée, et décline le thème sous les angles sociologiques et intimes, artistiques et historiques.
Thomas Renard ouvre son article sur une citation de Vitruve et explique que « l’histoire de l’architecture débute au moment où les hommes préhistoriques eurent pour la première fois l’idée de construire des cabanes. » La cabane primitive est ensuite détournée de son utilité – s’abriter – pour se transformer en lieu de fêtes et d’initiations, sous l’Antiquité. L’abbé Laugier, théoricien de l’architecture au XVIIIe siècle, revient sur la cabane préhistorique et pense qu’elle est un modèle que les architectes devraient toujours avoir à l’esprit. Nous sommes au siècle des Lumières, Rousseau et son bon sauvage ne sont pas loin. La cabane « devient un contre-modèle aux exubérances de l’art rocaille et offre l’horizon d’une pureté à atteindre. » Elle semble être une obsession d’architecte : que l’on songe à Le Corbusier dans son cabanon de Roquebrune… Gilles A. Tiberghien va dans le même sens que Thomas Renard : les cabanes sont à l’origine de l’architecture. Il ajoute qu’elles « ne sont pas des maisons, dans la mesure où l’on n’y demeure pas », qu’elles sont « des réserves de rêves et de réflexions pour quiconque y séjourne. »
Réserves de rêves et de réflexions, sans doute, mais aussi niche de développement économique. L’article qu’Olivier Sirost consacre au « glamping » en Pays de Loire met en avant les nouvelles formes d’hôtellerie de plein air. Glamping ? Contraction de « glamour » et de « camping ». Passer une nuit, ou plusieurs, sur une cabane flottant sur un lac, ou perchée dans un arbre, ou dormir presque à la belle étoile sous une bulle transparente. Ces lieux d’hébergement sont implantés sur des territoires à forte valeur légendaire, permettant au touriste un retour à la fois à la nature et au paganisme. Julien Zerbone, quant à lui, s’intéresse aux cabanes en tant que symboles de résistance et emblèmes de luttes environnementales, autour des zadistes de Notre-Dame des Landes. L’article de Ghislain His, intitulé « La cabane, l’architecte et l’hétérotopie », est illustré de photographies montrant les constructions précaires de la jungle de Calais – cabane école, cabane hammam, cabane théâtre, cabane église… Joël Anneix et Daniel Sauvaget reviennent sur les « baraques », les logements précaires de Saint-Nazaire dans l’immédiat après-guerre.
La cabane est aussi une extension de la caravane, une tentative bricolée, et insalubre, de sédentarisation. C’est ce que montre Camille Rouaud dans l’article qu’il consacre aux campements de Roms. L’écrivain Eric Pessan raconte que son oncle, de retour d’Australie où il était parti gagner sa vie pendant vingt ans, s’était installé dans une caravane, au grand dam de sa famille qui voyait en lui un « gitan » alors que lui considère que cet oncle lui a ouvert les clés de l’imaginaire. Pessan nous offre le portrait de deux femmes lumineuses pour qui l’habitat est ou a été mobile, libre et serein. Il rencontre Myriam, dont le père était issu de la communauté du cirque et, devenu soudeur, proposait ses services là où le travail se trouvait. Enfance itinérante, scolarité sporadique, mais souvenirs éclatants. Myriam raconte la caravane, l’espace étroit où tout devait être rangé, où rien ne devait traîner. Elle est aujourd’hui accompagnatrice socio éducative à la mission jeunesse de Saint-Nazaire. Une semaine plus tard, Eric Pessan rencontre Sandrine, qui vit dans une yourte. Elle s’est installée dans la périphérie nantaise, est éducatrice de jeunes enfants dans une crèche municipale. Le choix de cet habitat décalé s’explique par l’envie – le besoin – d’être en contact avec la nature, de préférer la simplicité, et de savoir se délester du matériel. « Vivre en accord avec ses convictions personnelles. »
La critique d’art Eva Prouteau offre un choix d’œuvres contemporaines qui tournent autour de l’idée de cabane, et « mettent le corps au centre de la recherche. » La journaliste Frédérique Letourneux s’intéresse aux cabanes à outils et aux abris de jardin : quand le potager devient lieu d’évasion. Mais c’est bien Claude Ponti – à qui l’on doit la couverture de ce numéro – qui donne à la notion de cabane toute sa magie. Adèle de Boucherville, critique de littérature jeunesse, analyse les différentes cabanes des livres de Ponti, notamment celles qui sont nichées dans les arbres. « Les arbres, dans les albums de Ponti, sont des personnages de premier ordre. Son trait, délié et maîtrisé, proche de la ligne claire, lui permet de concevoir des cabanes accueillantes et drôles, qui se plient docilement aux souhaits de l’enfant, en être vivants et magiques. » La cabane d’enfance, magnifiée par le trait de Claude Ponti, voilà sans doute la forme première, si ce n’est primitive, de cet habitat éphémère, fragile, revendicatif et signifiant.
Le « mythe » de la cabane n’a que peu à voir avec celui de la caverne. Dans la cabane, on est déjà dessillé, on n’a pas peur des ombres, on les connaît, on les a décryptées, on s’ingénie à les dompter. Abri de fortune ou d’évasion, la cabane, telle qu’elle apparaît ici, a une histoire et un sens. La diversité des contributions de cette livraison permet la réflexion politique, économique, sociale et intime. L’iconographie, magnifiée par la mise en page, répond aux textes ou les devance.
La Revue 303 tire son titre de l’addition des numéros des cinq départements qui composent la Région Pays de Loire – Loire Atlantique, Maine et Loire, Mayenne, Sarthe, Vendée : 44 + 49 + 53 + 72 + 85 = 303. Il s’agit d’une revue culturelle éditée avec le concours de la Région des Pays de la Loire, ancrée dans son terroir mais en aucun cas régionaliste. Une remarquable revue trimestrielle d’art, de recherche et de création. Outre cette très belle livraison sur les Cabanes, on conseillera la lecture, entre autres, du merveilleux numéro « Utopies » et du magnifique hors-série « Images de Jules Verne ».