Après dix jours éprouvants de spectacle, de fêtes, et de grand cinéma, il est temps de tirer le bilan de ce moment si particulier, où sous la Croisette, la grande famille du septième art se donne rendez-vous chaque année. Et si d’après les habitués, ce fut une « très belle édition », « très politique », « donnant à voir le monde contemporain », et en même temps très intime sans être nostalgique, avec son lot de films jubilatoires et doux-amers, de petits scandales et de grandes polémiques (l’absence de Woody Allen au palmarès, la montée des marches mouvementée de Sophie Marceau), ainsi que, comme on le constate chaque année, la montée en puissance des sélections parallèles, il est bon de voir dans le détail ce qui a fait le sel du festival cette année. Car sous les paillettes du Festival de Cannes, c’est d’abord d’art et de cinéma que l’on parle.
Le palmarès
Palme d’or méritée pour le film de Xavier Dolan « Juste la fin du monde ». Comme à son habitude, le jeune homme pressé du cinéma n’a pas hésité à casser les codes du cinéma francophone. En effet, contrairement à un certain cinéma français, qu’on accuse depuis longtemps d’avoir pour seule idée de scénario la réunion d’acteurs très connus autour d’une intrigue paresseuse et généralement mélodramatique, Dolan a bousculé les habitudes en convoquant pour son film Léa Seydoux, Vincent Cassel, Gaspard Ulliel, Marion Cotillard et Nathalie Baye, tous réunis dans une histoire où un jeune homme atteint du SIDA revient une après-midi dans sa famille. Choix artistique courageux, et payant, filmé avec la sobriété qu’on connait par le réalisateur québécois. Le « Masque et la Plume » ne s’y est pas trompé en saluant le film de la maturité, pour un cinéaste qui serait « la synthèse réussie de Céline Dion et de Claude Sautet ».
Le prix de la mise en scène est revenu à Bruno Dumont, qui, comme il vient du Nord, voit souvent son oeuvre qualifiée de râpeuse, tellurique, habitée. Son travail est (enfin!) couronné avec « Ma Loute », comédie dramatique très osée qui voit la rencontre d’une famille d’aristocrates confrontée à des prolétaires du Pas-de-Calais. Encore une fois, contre un certain cinéma français revisitant inlassablement un manichéisme post-marxiste, Dumont s’en tire avec une oeuvre forte, puissante, habitée. Tellurique, même. Tout cela, en s’en tenant à un cinéma expérimental et exigeant, qui ne s’abaisse pas à choisir des acteurs simplement pour leur capacité à remplir les salles. Au casting de « Ma Loute », on trouvera donc Juliette Binoche et Fabrice Lucchini, qu’on avait pas vus depuis… depuis si longtemps !
A noter, justement, le joli prix d’interprétation masculine pour Fabrice Lucchini dans « Ma Loute », pour son rôle de composition, très inattendu et pourtant convaincant, en grand bourgeois du XIXe siècle extrêmement cultivé.
Le prix d’interprétation féminine revient à Adèle Haenel dans « La Fille Inconnue » des frères Dardenne, car les frères Dardenne ne doivent jamais repartir de Cannes bredouille, et parce que toute actrice dans leurs films est étonnante, magnifique, bouleversante.
Le prix du scénario revient, et c’est tout mérité, à Jim Jarmusch qui, là aussi, à rebours de toute son oeuvre, nous surprend en filmant l’errance d’un chauffeur de bus. Film poétique et lunaire, contemplatif et obsédant, déambulatoire et magique, un grand Jim Jarmusch.
Le reste du palmarès revient à des films dont il est inutile de retenir les récompenses, car personne n’en parlera, et puis parce qu’ils sont l’oeuvre de gens moins connus, étrangers, sud-américains, coréens.
La semaine de la critique : Les critiques réunis à Cannes se sont chaudement félicités d’une édition où tous les visages du cinéma mondial sont représentés. On a, dans les rangs de nos confrères de la presse écrite française, particulièrement apprécié une sélection pleine de réalisateurs dont on peut parler sans avoir vu les films : « C’est un Woody Allen très allenien, cérébral et désabusé » « Il ne faut pas oublier que Woody Allen fait un film par an », « C’est un très bon cru, sans atteindre les sommets de Manhattan ou, plus récemment, de Match Point », « Comme toujours chez Almodovar, la femme est en majesté », ou encore « Ken Loach nous livre un film Loachien par excellence », « Le réalisateur russe Kirill Serebrennikov, c’est une oeuvre qui louche du côté de Dostoïevski, de gens comme ça ».
Ce qu’il s’est passé dans les fêtes : Au traditionnel dîner offert par Chanel et Vanity Fair, Marion Cotillard a repris deux fois de la bouillabaisse. Vincent Bolloré a manqué de peu de racheter 75% de Michel Denisot, pour le remplacer par quelqu’un de moins bien. Lors de la fête du jeudi soir, Leonardo DiCaprio portait, sur un smoking (Maison Balmain), une étole couleur vert canard (Saint-Laurent Paris), clin d’oeil malicieux à ses engagements écologistes. Thierry Frémaux a répété trois cent quatre fois qu’il voyait douze mille films par an, et s’est ainsi éclipsé rapidement de la fête des Inrocks pour gagner sa salle de projection personnelle. Vanessa Paradis est venue avec sa fille Lily-Rose, ce que personne n’a manqué de trouver incroyable. Isabelle Huppert a fait un sourire. Vers minuit, une dispute a éclaté au Gotha (24, avenue d’Antibes) à propos de la prononciation du nom du réalisateur John Cassavetes. Julie Gayet a dit quelque chose à quelqu’un. Sur deux cents films présentés dans les allées du Festival, Gérard Depardieu ne joue dans aucun, ce qui n’était pas arrivé depuis 1954. Dans la salle de bal du Carlton, très forte impression lors d’un toast en l’honneur des réfugiés de Méditerranée. Jean-Pierre Mocky a démenti fermement posséder un compte au Panama. Le journal Le Monde a publié une critique de cinéma, jeudi, qu’au moins trois lecteurs ont comprise. On ne voit plus beaucoup Ettore Scola à Cannes, ces temps ci. Aucun réalisateur italien, sauf mort, n’était en compétition, beaucoup de réalisateurs français vivants étaient là, certains s’en sont plaints. Malgré tous les sondages, Alain Juppé est reparti bredouille. Kirsten Stewart portrait du Jean-Paul Gautier. Lambert Wilson a répondu à une question avec naturel et simplicité. Le chanteur Renaud était levé tous les jours à sept heures et n’a pas manqué une projection, en sirotant un lait-grenadine. Guillaume Gallienne a été modeste mardi, vers 13h32. Le champagne n’était pas très bon, au Hollywood Reporter. « Sean à la Penn », et « Dolan, Dolan, ne vois-tu rien venir ? » ont reçu dimanche la palme des meilleurs titres, triomphe habituel pour le journal Libération.
Temps fort. Que serait Cannes sans ses surprises, ses happenings fortuits et glamour ? A l’invitation des organisateurs du Festival, Emmanuel Macron était présent lors de la cérémonie de clôture, et quoi de plus normal, d’ailleurs ? Celui dont on ne sait dire s’il sera ou non candidat aux prochaines élections présidentielles a gravi les marches du palais, en s’abstenant de tout jeu de mot facile avec le nom de son propre mouvement, En Marche. A la place, le jeune et brillant ministre de l’économie – qui jure ne pas avoir de projet personnel, individuel, égoïste, pour 2017 – a prononcé un petit discours avant la remise des prix. Ne voulant parler que de cinéma, et du festival, il s’est abstenu de tout propos équivoque ou à double sens, comme lors des cérémonies en l’honneur de Jeanne d’Arc, le week-end dernier, où sous couvert de commémorer l’héroïne de la Guerre de Cent Ans, beaucoup d’observateurs avaient cru deviner que M. Macron brossait son autoportrait (avec des phrases ambigües du genre : « la trajectoire de Jeanne est nette. Elle fend le système »). Aussi, faisant taire les mauvaises langues, le ministre de l’économie a déclaré, à propos du Festival : « Il crée l’évènement en France… toujours étonnant, surprenant, passionnant… il attire toutes les énergies, il est le symbole de la France qui rayonne et qui déploie son talent… il marque une vraie disruption, et c’est pourquoi chacun l’admire », avant de poursuivre par un tonitruant : « Cannes a été fantastique en 2016. Je serai, pardon, il sera, extraordinaire et encore plus génial en 2017 ». Sur le tapis rouge, en compagnie de son épouse, Brigitte, M. Macron, dans un smoking satiné, s’en est pris aux photographes qui les mitraillaient tous les deux. « Je ne suis pas là pour ça voyons, cessez donc ce petit jeu, c’est quand même incroyable qu’on ne puisse pas venir à Cannes en toute discrétion », avant, de mauvaise grâce, de se prêter aux poses et aux selfies. Pour finir, le ministre de l’économie a réitéré ses dénégations quant à d’éventuelles ambitions présidentielles, avant de filer pour la nuit au Château de Brégançon où il a décidé de résider par commodité pendant toute la durée du festival.
Insolite. Ken Loach, dont le cinéma engagé et caractéristique est bien connu, aux convictions politiques établies, plutôt très à gauche, en a profité pour tenir une conférence de presse commune avec Stéphane Le Foll, Martine Pinville et Sylvia Pinel, trois membres importants du gouvernement. Le cinéaste anglais a en effet déclaré avoir rejoint « Eh Oh la Gauche ! », commentant ainsi sa décision : « Je suis vraiment très à gauche, et en discutant et en lisant la presse, je me suis aperçu que voilà, la revalorisation du RSA et le compte personnel d’activité, ainsi que les nouvelles modalités dans les accords de branche au niveau régional, eh bien, voilà, c’est un peu le combat d’une vie qui trouve un aboutissement. J’aimerais qu’il arrive la même chose chez nous, en Angleterre». Ken Loach, dont le film a été unanimement salué par la critique comme « typiquement loachien » est cependant reparti sans récompense du Festival, une habitude.
Est-ce tout ? Le reste à découvrir dans les prochains épisodes.
C’est ce que l’on pourrait lire dans Voici et Closer…
Cannes, ses critiques de films convenues et son copinage… Vous avez bien résumé ce festival-carnaval !
Une façon de voir le festival un peu étonnante ! Comme si tout le travail des cinéastes, des acteurs et de toutes les équipes ne valait rien ?