Le lundi 25 avril 2016, le porte-parole du gouvernement, Stéphane Le Foll, a lancé le mouvement « Hé oh la gauche ! », pour mobiliser l’électorat de soutien au président de la République en vue de 2017. Comment apprécier la force syntaxique de l’acte allocutif « Hé oh ! », employé pour interpeller les électeurs de gauche déçus et les convoquer à défendre le bilan de François Hollande ?
L’expression « Hé oh ! » est à la fois une adresse, une apostrophe et une sommation. Pour Emile Benveniste, dans les Problèmes de linguistique générale II (1974), l’interpellation est une forme d’intimation qui associe l’impératif et le vocatif, l’ordre et l’assignation : le pouvoir interpellateur ou intimateur impose à l’autre son mode propre de communication.
Comprendre la subordination orale qui se joue dans « Hé oh la gauche ! » passe donc par une réflexion sur les liens entre le sujet interpellé et le pouvoir interpellateur. Est-il possible d’y résister ? Comment ne pas céder à l’injonction autoritaire, venue du pouvoir, venue d’en-haut ?
Une des figures de la gauche intellectuelle des années 1960, Louis Althusser, avait esquissé une théorie des procédures d’assignation à des identités fixes à travers l’exemple d’une scène concrète, dans son livre Positions, en 1976 : un passant ordinaire se promène dans la rue, livré à ses seules préoccupations personnelles, quand, soudain, une voix derrière lui le fait réagir brusquement : « Hé vous, là-bas ! » Aussitôt, spontanément, sans réfléchir, le passant se retourne, comme si quelque chose le poussait à se sentir concerné : réflexe instinctif ou culpabilité latente ? Que se passe-t-il réellement, au cours de cet appel minimal qui conduit le passant à se tenir prêt à répondre de lui-même et de ses actes ?
Dans son analyse, Althusser explique que le passant réagit comme s’il s’agissait d’une injonction légale, officielle, supérieure. « Appel verbal ou coup de sifflet, l’interpellé reconnaît toujours que c’était bien lui qu’on interpellait. » Ainsi prend-il place dans un ordre symbolique, marqué par la puissance de la loi et par la force de la voix, constitué comme sujet par effet d’interpellation – « Hé vous, là-bas ! » – dans une expérience de subjectivation.
Cette critique de l’identité imposée parce qu’interpellée se retrouve dans l’idée du sujet « vulnérable » de la théorie du Care (Joan Tronto), du sujet « précaire » des Gender Studies (Judith Butler) ou du sujet « subalterne » des études postcoloniales (Gayatri Chakravorty Spivak).
Qui pourrait alors aujourd’hui résister au tour joyeux du « Hé oh la gauche ! », qui, l’air de rien, en forme de ritournelle, interpelle le passant ? Comment ne pas se tenir concerné par cette relation de pouvoir à sujet, portée par la voix caverneuse de Stéphane Le Foll, qui lance cette injonction ? Intéressant processus psychique de reconnaissance d’identité. Dans le langage lacanien, on dirait que le passant, euh pardon : l’électeur, qui se retourne effectue son entrée dans le symbolique. Welcome et bienvenue.
«Bon, les gars, on arrête les conneries?» Voilà qui serait sans doute plus explicite, un peu moins 2e année de maternelle que ce «Hé oh la gauche!» en peluche, mais voilà. Les Français, s’ils revendiquent le droit de profaner leur roi des Gueux, ne sont pas tout à fait prêts à abandonner la sacralité de la parole qui leur tombe sur le coin de trogne. Le slogan de Le Foll aura eu, à tout le moins, avec son petit parfum soixante-dix-huitard, le don de nous tasser dans le téléphérique des Trente Glorieuses à quelques mètres du pic de l’Insouciance, ce temps béni des irrévérencieux Gotlib et Reiser, quand la gauche caricaturée par la troupe du Splendid avait au moins la délicatesse de nous filer la banane épluchée. On les trouvait un peu ringards, ces citadins paumés dans le Larzac, mais il y a une chose dont nous étions sûrs… aussi étourdissant que fût le virage realpolitik de Tonton, ils n’avaient pas perdu le nord au point de virer de bord. Peut-être était-il moins complexe de s’unir contre quelque chose plutôt qu’autour, dans une forme d’injustice caractérielle qui ne lésinait pas sur la fascisation d’un parti gaulliste qui, que cela nous plaise ou non, ne portait pas la croix du vote des pleins pouvoirs constituants à Pétain… Nous y voilà! Nous touchons au challenge qui nous est imposé. Nous rassembler autour d’un certain nombre de valeurs bien identifiées sans pour autant sombrer dans le péché de médisance à l’égard d’autrui. Au nom du pluralisme, par exemple. Ce principe d’intégrité vaut pour tous les citoyens, qu’ils aient d’ailleurs démérité ou mérité leurs privilèges.
Hé oh Martine! Arnaud! Jean-Luc! ce Président chevauchant le scooter de Vacances romaines, honnêtement… un vrai franchisseur de ligne jaune! un vrai Dany défiant l’ordre moral pour accéder au dortoir des filles! une vraie Christiane à bicyclette sur le fil du rasoir de l’état d’urgence! le charme du ridicule, le ridicule du charme, la France de Jour de fête éberluant les GI’s, irrécupérable au sens noble du terme, impossible à empreindre d’une idéologie tenace, capable, un jour, de suivre aveuglément un Cadavre sorti du placard et, le lendemain, de rebrousser chemin sous l’impulsion d’une Voix sans visage. La France est forte de ses faiblesses. Heureusement pour nous, sa Ve République est marquée au fer rouge de la Résistance. Elle nous rappelle qui nous sommes. Elle nous préserve de l’ennemi permanent que nous menaçons d’être pour nous-même et les autres. Elle représente l’antidote institutionnel contre l’alien fasciste. Aussi, je nous propose de la tourner en ridicule aussi récurremment que nos anciens moquèrent Charles le Grand. Il fut raillé comme aucun de ses prédécesseurs ou successeurs ne l’auront été. Il fut outragé, brisé, martyrisé par symbiose avec ceux qui avaient fait l’histoire de son pays. Il était à l’intérieur de la petite église d’Oradour-sur-Glane au moment où ces chiens de nazis châtiaient les ministres du Grand Satan de même que chacun d’entre nous était au Bataclan lorsque des criminels contre l’humanité y mitraillèrent notre moi supérieur. Le chef d’un État droit est fait du même bois que ses concitoyens. Aussi ridicule et somptueux que nous pourrions l’être si nous assumions notre liberté.
On avait eu le même genre de syndrome avec Sarkozy. Il s’avère que les signes de mutation sont plus empêtrants pour son successeur. Je veux parler de l’obligation d’enfiler les habits du chef pour un Œdipe des années soixante-dix. Avec un avantage pour Sarko qui s’inscrivait dans une culture de droite pratiquant le culte du chef. Hollande a bien du mal à lutter contre son anticulte. Pour quelle raison alors lui reprochons-nous de ne pas être ce pour quoi nous ne lui pardonnerions pas de se prendre? Oui, François Hollande est un nain perché sur les épaules d’un nain lui-même perché sur les épaules d’un nain. C’est à cela que ressemble un homme à côté d’un titan. Voulez-vous que nous régressions à l’âge préhistorique du fils d’Ouranos, est-ce vraiment là le rêve que vous caressez? connaître de l’intérieur le goût de l’infantophagie et l’espoir qu’un benjamin de la portée revienne à temps faire dégueuler au préhumain son indigeste humanité? Dieu nous préserve d’une telle dégringolade! L’homme François Hollande est invité à ne pas quitter sa tunique de peau. À continuer de penser avant d’agir. À ne jamais céder aux raccourcis populistes, à la désignation à la vindicte populaire d’un bouc émissaire d’en bas ou à son équivalent des hautes sphères. Si nous subodorons la présence parmi nous de philanthropes discrets, il y a aussi des chefs de guerre dont les victoires les plus décisives doivent continuer de planer sur les champs de batailles souterrains où ils furent accomplis, et je ne pense pas seulement aux champs économiques.
Enfin, s’il y a des prouesses qu’on ne peut réaliser qu’à l’abri des regards, certaines missions ne sauraient être exécutées qu’à la vue de tous. C’est le cas, par exemple, du traitement équitable que nous devons aux terrorisés qui, par miracle, ont réchappé du jeu de massacre auquel jouent, depuis quelques années maintenant, les États islamiques d’Iran et d’Arabie. En la circonstance, traiter comme des survivants et non des mortifères tous ceux dont je rappelle qu’ils furent les premières victimes de Daech serait la meilleure façon de nous faire comprendre aux isolationnistes de l’Union. En matière de pédagogie, l’exemplarité est parfois la meilleure des méthodes. Question de conscience. Or la conscience naît chez l’humain comme dans l’utérus d’un être vivant qui est enceint ou ne l’est pas, mais en tout cas, ne le sera jamais partiellement. Accoucher d’une civilisation multiculturelle, c’est être pleinement conscient du fait que ce que l’on fait et ce que l’on est sont deux choses qui se recoupent. C’est se donner les moyens d’intégrer des boucliers humains qui ignorent tout de l’État de droit pour avoir appris des années durant à observer les règles d’un État de non-droit sous peine d’aller se faire pendre en place publique. Dans cette optique, inculquer des valeurs censées être universelles sur les seuls bancs de l’École de la République ne suffira pas. Il faut transformer les chefs d’entreprise en adjoints au directeur d’école. Enseigner les droits fondamentaux aux travailleurs immigrés. Leur apprendre à parler avec l’étranger. Habituer leurs oreilles au chant tout en nuances de la corneille noire. L’immigré arménien s’épanchait dans sa langue adoptive avec l’aide de l’impressionniste expressionniste minimaliste que sut être Aznavour, un maître de la discipline qui ne se contentait pas de transmettre le virus de la littérature française aux seuls compatriotes de ses ancêtres. C’était valable hier. Parce que c’était valable.
Loin de moi de suggérer que les fils d’un pseudo-immigré type conchieraient à l’unanimité la dernière langue de Samuel Beckett. Je dis juste que, sur beaucoup de chantiers, on ne la chante pas. Et je peux le comprendre. Lorsqu’on est entre soi, on trouve du réconfort dans tout ce qui est susceptible de déclencher une rémanence de terre natale, à commencer par la langue maternelle. D’où l’importance d’étendre la mixité ethnique à l’ensemble des secteurs d’activité comme à tous les échelons. Mais avant d’en finir avec nos propres incohérences, faisons un petit crochet par la bande d’arrêt d’urgence. Quoi qu’en pense le PIR de nos camarades, nous n’appellerons pas au respect mutuel des diverses composantes spiritiques qui nous hantent mais au respect synchrone des règles universalistes. Nous ne laisserons pas imaginer à un adepte du sacrifice humain qu’il lui suffirait d’accepter que nous ne pratiquions pas son culte pour nous devenir mécaniquement tolérable. En France, tous les hommes sont égaux en droit, peu importe leur sexe. Aussi, lorsqu’un homme prive sa mère, sa sœur, son épouse ou sa fille de ses droits fondamentaux, il tombe sous le coup de la loi. On ne négocie pas avec lui. L’homme en question est traduit en justice, et, pour peu qu’on ait affaire à une institution républicaine, la justice le condamne. Nommer l’ennemi islamiste ne jette en aucun cas la suspicion sur les victimes maghrébines de Merah quand, à l’opposé de cela, cette procédure leur rend justice. Elle ne produit pas l’amalgame qu’on lui impute puisque c’est, à l’inverse, la crainte qu’on puisse confondre les martyrs républicains et leurs bourreaux antirépublicains qui salit les premiers en accordant aux seconds une protection infâme.
Ne serait-ce pas un message en réponse à Emmanuel Macron, qui vient de lancer lui aussi son propre mouvement « en marche », et qui a rencontré un assez vif succès? « Hé oh Macron », attention, Hollande reste dans la course !
Ce nom a été choisi par défaut, » Non mais allo quoi » étant déjà pris
Merci pour cette analyse très pertinente et enrichissante. Le nom est certes ridicule pour un mouvement politique, mais votre texte permet de prendre de la hauteur et décrypter ce que ce « Hého! » signifie vraiment.
Ce nouveau mouvement, basé totalement sur la communication, sent la stratégie de pré-campagne électorale. Si Hollande compte remonter la pente avec un slogan pareil, c’est mal barré…
Peut-être serait-il plus utile de parler du mouvement lui-même et de son véritable message, plutôt que de son nom? Nous n’avons plus le temps pour les blagues et les analyses sémantiques. Il faut entrer dans le vif du sujet. Le rôle des politiques est d’apporter des solutions concrètes et durables pour améliorer les choses. Hollande a attiré les moqueries depuis le début, surnommé Flamby avant même d’être élu. Quand va-t-on passer à l’action?
Ce nom est d’un comique ! On croirait une nouvelle du Gorafi ! Le Foll n’est décidément pas doué en com…
« Hé Ho la gauche » est un nom vraiment étrange… Le gouvernement se prend pour les sept nains de Blanche Neige qui rentrent du boulot ?