Manuel Valls avait raison quand il a dit que le djihadisme ne souffrait aucune excuse et que refuser cette culture de l’excuse revenait à se méfier, aussi, de la tentation de trop l’expliquer.

Et il a de nouveau raison quand il met en garde, aujourd’hui, contre une possible victoire politique d’un salafisme qui est l’idéologie de ce djihadisme et qui tient l’Europe et, en Europe, la France, pour des terres de mission. Tout a commencé avec la démission des gouvernements qui ont, depuis trente ans, acheté la paix sociale en acceptant que d’autres droits que celui de la République prévalent dans des pans entiers de nos cités.

Puis ce fut l’aveuglement des mêmes, refusant de voir dans l’islamisme radical cet islamofascisme, cette troisième variante du totalitarisme, que s’époumonent à dénoncer, depuis un quart de siècle et plus, les pourfendeurs de la «pureté dangereuse».

Puis ce fut la cécité symétrique et, au fond, complice des deux extrêmes du champ politique: quand Mme Le Pen met sur le même plan, afin de les interdire ensemble (Le Monde, 21 septembre 2012), ce signe religieux qu’est la kippa et cet emblème politique qu’est le port du voile ou quand la sénatrice écologiste Esther Benbassa nous dit (Libération, 6 avril 2016) que le port de la minijupe n’est pas moins «aliénant» que celui du tchador, que font-elles d’autre, toutes deux, que de banaliser une barbarie dont le visage éventuellement humain ne peut faire oublier que l’on tue, bastonne, viole en son nom?

S’ajoute à cela la loi bien connue qui, parce que ce sont eux qui crient toujours le plus fort, donne l’avantage aux exagérés sur les modérés, aux montagnards sur les girondins et donc, en la circonstance, aux enragés du djihad sur le très grand nombre de ceux qui ne demanderaient pas mieux que de vivre leur islam dans la paix, le respect de l’autre, le droit.

Et l’on rappellera enfin, pour mémoire, la terrible reculade de cette frange de nos élites qui, quand, hier, Salman Rushdie ou, aujourd’hui, Kamel Daoud sont stigmatisés par les fous de Dieu, a pour premier réflexe de suggérer qu’ils l’ont cherché et, donc, de les stigmatiser aussi.

Le résultat, en tout cas, est là.

Il y a un faisceau de présomptions qui donnent, encore une fois, raison au Premier ministre.

Et il y a là, par voie de conséquence, les éléments d’un état d’urgence intellectuel que l’on regrette de ne pas voir proclamé avec la même vigueur que l’autre.

Comment?

Eh bien en disant – et faisant – l’exact inverse de ce qui se dit et fait partout.

1. Appeler un chat un chat. C’est-à-dire un islamiste, un islamiste. Ou, mieux, un musulman perdu, un musulman dévoyé – mais un musulman tout de même dont on ne peut plus se contenter de répéter, tels des disques rayés, qu’il n’a «rien à voir avec l’islam».

2. Admettre, autrement dit, qu’il y a, plus que jamais, deux islams; qu’ils sont engagés, l’un contre l’autre, dans une guerre à mort; et que cette guerre, parce qu’elle tient la planète pour son champ de bataille et qu’elle s’en prend, par ailleurs, à des valeurs que l’Europe tient pour universelles, n’est pas l’affaire des seuls musulmans mais nous concerne tous.

3. Déployer alors, pour identifier, démêler et exposer les réseaux de cet islam de haine et de terreur, toute l’énergie dont nous sommes capables et qui vient d’être employée pour commencer de démanteler les trafics mondiaux des fraudeurs du fisc: à quand les Panama papers du salafisme? et pourquoi pas autant de grands journaux pour aller débusquer, dans le «dark Web», les Mossack Fonseca du djihad mondialisé et ses sociétés du crime offshorisées?

4. Aider, encourager, voire armer idéologiquement ceux des musulmans qui refusent ce djihadisme et plaident pour un autre islam, respectueux des femmes, de leur visage, de leurs droits et, plus généralement, des droits de l’homme: n’est-ce pas ce que nous fîmes, jadis, du temps du deuxième fascisme, avec ceux que nous appelions les dissidents? et n’avons-nous pas eu raison, à l’époque, de ne pas écouter ceux qui nous racontaient qu’ils étaient une minorité et qu’ils n’auraient jamais, au grand jamais, raison de l’idéologie de granit du communisme?

5. Protéger un Kamel Daoud, par exemple, cet écrivain de langue française dont je répète qu’il a, pour avoir osé suggérer que l’Europe a des valeurs qu’il vaut mieux apprendre à aimer quand on vient y chercher asile, écopé d’une double fatwa: celle, pour parler comme Mohamed Sifaoui, de ses frères assassins; mais celle, plus désespérante encore, d’un quarteron d’intellectuels français prétendument progressistes et antiracistes qui lui ont reproché, quand il exhorte des hommes arabes à respecter la dignité des femmes, de «recycler les clichés orientalistes les plus éculés» (sic).

6. Bref, dans les territoires perdus de nos républiques comme dans les pays – Kurdistan, Maroc, Bosnie, Bangladesh… – où l’islam des Lumières est en pointe, s’engager dans cette guerre sans merci qui oppose, à l’intérieur du monde de l’islam, l’islam de modération et de paix à celui, criminel, des salafistes.

Telle est la tâche et telle est l’urgence.

Tel est, pour un républicain, un démocrate, un antiraciste ou un anti-impérialiste, le premier des commandements.

Il y a une guerre des civilisations, si l’on veut: mais elle est idéologique et religieuse; théologique et politique; elle traverse les mondes, les cultures et ce qu’il est convenu d’appeler, justement, les civilisations – et c’est celle qui sépare l’islam en deux.

6 Commentaires

  1. Je rigole à gorge déployée quand je vous vois écrire qu’il y a deux islams, ou encore deux visages de l’islam. Messieurs, il n’y en a qu’un seul, et il faut aller le chercher dans ses ecrits, le coran et les hadiths (les parloles de Mahomet). La violence , la terreur, y sont pronées le plus clairement, sauf pour celui qui ne veut pas lire ou entendre. Elles sont même élevées au rang de vertus dont tout musulman doit s’impréigner et même pratiquer s’il veut se rapprocher de Dieu et aller au paradis. Cette violence et cette terreur s’appellent le Djihad, ceux qui ne sont pas musulmans s’appellent les Koffars, c’est-à-dire les mécréants contre lesquels il faut absolument faire le Djihad. Que voulez vous de plus clair, vous les occidentaux qui ne voulez pas voir la réalité en face. Nous, les Berbères de l’Afrique du nord, en en sait un peu et même beaucoup, et on sait surtout que si vous tergiversez en continuant de jouer aux agneaux comme vous ne cessez de le faire, ils finiront par vous avoir dans leur escarcelle, pour ne pas dire autre chose, puisque je n’ose pas écrire le terme.

  2. Cher Monsieur Levy,

    Avoir raison est une bonne chose, mais elle ne suffit pas à résoudre les problèmes du monde, car il arrive que, des replis dialectiques de cette raison, émergent les grandes oreilles de la déraison, comme dirait †Jourge-Luis Borges l’Argentin.

    Cela nous arrive à tous, et donc à vous aussi : « Un autre islam, respectueux des femmes, de leur visage, de leurs droits et, plus généralement, des droits de l’homme », dites-vous. Le mot important, c’est l’adverbe : en effet, cette affirmation soulève une question épineuse : les droits de la femme sont-ils une généralisation des droits de l’homme, comme vous le suggérez sans doute, ou, au contraire, les droits de l’homme sont-ils une généralisation des droits de la femme, comme il peut se déduire aussi à la faveur de la valeur toujours ambiguë du génitif —état construit, memento, domine !—? Et comme l’affirme un de nos ministres belges, qui, au remplacement par deux ministres femme d’un[e] ministre démissionnaire, affirme, sans savoir ce qu’il dit ou qu’on lui faire dire, que « deux ministres au lieu d’une, Benoît Lutgen a fait un pari risqué ». Le lapsus, qui n’est pas une coquille, a le mérite de la fraîcheur ingénue.

    Bien sûr, me direz-vous, mais qu’est-ce que cela a à voir avec ce qui nous occupe ici ? En ceci, que la femme, opérateur plus qu’opérande —relisez Lacan et Freud et sondez votre âme— est toujours au cœur de tout discours social, en ce qu’elle en est toujours cause agissante, comme dans l’histoire biblique du serpent qui mangea de la pomme avant de cracher le venin.

    J’ai, en un autre endroit de ce blog, soutenu l’héritage juif, non sans critique historique ni avec concession. Je le réitère. Mais il y a un angle mort dont il convient de saisir l’amplitude, à savoir qu’il pourrait, à son tour —après le tour du pseudo-héritage chrétien— déchaîner à terme un nouveau crime contre l’espèce humaine, par l’extermination de la branche aînée abrahamique. Des signes précurseurs se font jour, comme la promotion, dans le journal de Rossel (BE) de ce samedi, de cette idée innovante —mais sotte, toute teinte de bêtise journalistico-politique et d’ignorance : les mosquées disposent déjà, depuis des siècles, d’espaces réservés aux femmes—, consistant à créer des mosquées par et pour exclusivement pour les femmes « pour défier les structures patriarcales ». L’œil du cyclone, c’est ce ’défi’, qui montre bien que, au centre de la guerre des religions, qu’elle soit dogmatique ou sanguinaire, comme la politique des attentats, n’est pas le bon Dieux-qui-n’existe-pas, mais le père, le nom du père. Ce défi est rien moins que criminel, car, passée cette limite, nous, vous et moi inclus, le monde entier, ne serons plus conçus —mot qui tombe à point nommé— que comme déchets de la gynécologie hospitalière.

    Monsieur Lévy, il n’y a qu’avec les Juifs que je puisse partager l’estime que j’ai pour l’héritage juif : les Arabes ont rendu les armes de la dialectiques, les [post-]Chrétiens sont toujours, par quelque côté, dans les jupes de maman. Je compte donc aussi sur les Juifs pour éclairer et accepter les zones demeureées obcsures de leur histoire.

    Permettez-moi de vous réitérer שָׁלוֹם עֲלֵיכֶם.

    S. Quesada Blanco

  3. Quoi qu’on en dise, Manuel Valls a du courage, et c’est ce dont les politiques manquent cruellement de nos jours !

  4. Il n’y a pas seulement deux islams, mais plus que ça. Ils se font la guerre depuis des lustres, mais nous sommes désormais concernés par ces affrontement et il faut donc prendre une position claire…

  5. Merci pour cette argumentation. Il est essentiel de rappeler qu’il ne s’agit pas d’une guerre entre l’islam et l’occident, mais en premier lieu d’une guerre entre musulmans.