Il est bien évidemment indispensable de se mobiliser contre le terrorisme djihadiste et contre l’islamisme sous toutes ses formes. Ce qui nécessite notamment d’apporter un soutien sans faille à celles et ceux qui, éduqués dans la foi musulmane, devenus athées ou restés croyants, luttent courageusement, ici et ailleurs, contre l’emprise de la version de l’islam la plus obscurantiste, c’est-à-dire sa version patriarcale et misogyne, homophobe et antisémite, conspirationniste et victimaire, anti-laïque et totalitaire. La liste de ces combattants et combattantes de la démocratie est bien plus longue que ne voudraient le faire croire en France les faux amis des musulmans mais vrais alliés de l’islam intégriste. 

Cette mobilisation contre les adeptes d’un islam moyenâgeux, nourris du fantasme de la pureté, celui-là même qui, après avoir engendré le génocide des Arméniens, des Juifs ou des Tutsi, arme désormais aussi bien les auteurs d’attentats terroristes que les défenseurs de la «pudeur» dont les femmes devraient faire preuve à grand renfort de voiles, cette mobilisation doit inlassablement se poursuivre. Car il y va, au moins dans le monde occidental, non seulement de la sécurité des citoyens confrontés à des tueurs de masse, mais aussi de la sauvegarde de tous les acquis arrachés de haute lutte depuis le tournant des années soixante : sécularisation de nos sociétés, immenses pas en avant dans le long chemin vers l’émancipation des femmes (droit à l’avortement et à la contraception, parité), criminalisation du viol, pénalisation des discriminations racistes, antisémites, homophobes et sexistes, refus des assignations identitaires au nom des «racines» nationales, religieuses ou ethniques.      

Or c’est entre autres parce que ces immenses avancées de nos sociétés doivent être préservées que pour notre part nous nous refusons à négliger l’autre danger majeur qui guette les démocraties occidentales, principalement en Europe : la Russie poutinienne. Que ce soit clair : on ne combat pas le Charybde islamiste en cherchant refuge auprès du Scylla moscovite. Le poutinisme, c’est avant tout, en matière de politique internationale, le soutien aux dictatures (à l’exception unique des dictatures musulmanes sunnites du Golfe et du régime turc). La Russie, qui tente de se présenter comme le plus solide rempart contre le terrorisme jihadiste, couve néanmoins de son aile protectrice la Tchétchénie (celle d’aujourd’hui, dont elle a auparavant massacré autonomistes et population civile et quasiment rasé la capitale, Grozny), désormais remise aux mains d’un régime islamiste sunnite, tout aussi brutal que corrompu. Son chef, le mafieux Ramzan Kadyrov, s’est vanté d’avoir présidé aux plus grandes manifestations anti-Charlie. C’est encore cette même Russie qui apporte un indéfectible soutien à la junte militaro-islamiste soudanaise, sunnite elle aussi et arrivée au pouvoir à la suite d’un coup d’Etat fomenté par les Frères musulmans, dont le président Omar el-Béchir est poursuivi par la Cour pénale international pour crime de génocide au Darfour. Le Kremlin ne peut pourtant ignorer que c’est au Soudan qu’ont été formés nombre des jihadistes africains, tout comme il sait pertinemment que c’est par le territoire soudanais que transitent fréquemment des convois d’armes à destination du Hezbollah ou du Hamas. On l’aura compris, l’engagement de Moscou contre l’extrémisme islamique est à géométrie variable.

Si Poutine, en compagnie de son allié islamiste chiite iranien, bien connu pour sa conception très particulière des droits de l’homme – et surtout des femmes – et sa large ouverture d’esprit en matière de négationnisme faurissonnien, n’avait pas apporté une constante aide diplomatique, financière et militaire à la dictature sauvage de Bachar al-Assad, la Syrie n’aurait pas sombré dans l’atroce guerre qu’elle connaît depuis plusieurs années et qui a jeté sur les routes des centaines de milliers de réfugiés fuyant aussi bien les bombardements du régime que les horreurs de Daech. Daech dont chacun sait que les troupes ont été longuement épargnées par les bombardements russes, lesquels ont surtout ciblé les bastions, peuplés de civils de tous âges, des groupes rebelles opposés aux fous de Dieu de l’organisation Etat islamique. La propagande du Kremlin a constamment relayé celle du régime syrien cherchant à faire croire que, lorsque la vague des Printemps arabes a atteint la Syrie avec les premières manifestations pacifiques de mars 2011, les opposants n’étaient que des «terroristes» qu’il était donc justifié de réprimer avec une violence inouïe.

Aux marches de l’Europe, la Russie s’est permis d’agresser militairement l’Ukraine en s’emparant de la Crimée puis en déstabilisant la région du Donbass. L’Ukraine avait eu le tort de préférer se rapprocher de l’Union européenne plutôt que rester dans la sphère russe. Le tandem Poutine-Medvedev avait déjà opéré de façon similaire quelques années plus tôt à l’égard de la Géorgie, qu’il a réussi à amputer de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie en raison de l’option pro-occidentale des nouveaux dirigeants de Tbilissi. 

Au sein même de l’Union européenne, on assiste à une poutinisation des esprits qui va bien au-delà des courants autoritaires et antidémocratiques tels que le gouvernement Orban en Hongrie ou l’extrême droite française. Cette dernière, dans ses diverses variantes, a depuis longtemps déclaré sa flamme à l’ex-officier du KGB, qui le lui rend bien – ne serait-ce que financièrement en ce qui concerne le front national. Il n’est d’ailleurs guère surprenant que la fachosphère adule et relaie la vision du monde exprimée à Moscou : ultra-nationalisme, détestation des mœurs libérales occidentales (autant détestées, d’ailleurs, par les islamistes), conservatisme sociétal inspiré par un christianisme rétrograde, conspirationnisme aux lourds sous-entendus antisémites…     

Le plus inquiétant, en France, est que la gangrène poutinienne s’étend désormais bien au-delà des divers courants d’extrême droite et gagne du terrain tant à la soi-disant «gauche de la gauche» que parmi une importante partie de la droite. La lutte contre le terrorisme a bon dos pour justifier l’éloge par Mélenchon de ce qui serait l’efficacité russe contre Daech, ou pour proclamer, comme l’a fait Sarkozy à Moscou, qu’«isoler la Russie n’a aucun sens» en faisant mine d’oublier que les sanctions contre elle avaient été prises à la suite de l’invasion de la Crimée. L’ex-président français n’est pas le seul chez Les Républicains à faire les yeux doux au maître du Kremlin : de Fillon à Rachida Dati en passant par Thierry Mariani, on estime qu’il est un partenaire incontournable pour mettre un terme à la crise syrienne, voyant en celui qui protège le bourreau de Damas un faiseur de paix. La poutinophilie française progresse également dans les cercles souverainistes de «gauche» ou de droite, notamment chez les chevènementistes et, très logiquement, dans la trouble famille «anti-impérialistes» parsemée de rouges-bruns.

On ne peut enfin que s’étonner de l’absence de mise en garde contre la politique de Moscou de la part du Printemps républicain, dont le manifeste fait largement référence à la République et à la Nation mais ne comporte toutefois pas une seule fois le mot «démocratie». Quant à la toute récente journée de débats baptisée Le Sursaut, consacrée à juste titre à définir des orientations tant contre l’islamisme que contre les «populismes», la menace poutinienne n’y a quasiment pas été abordée. 

Sous-estimer la menace que représente pour l’Europe démocratique l’ambition du sinistre patron de la Russie relève au mieux de la politique de l’autruche, au pire d’une complaisance coupable. Veut-on un exemple très précis des effets ravageurs du poutinisme ? Voici. La désinformation systématique mise en œuvre par les services du Kremlin joue un rôle majeur dans le fléau conspirationniste qui sévit dans de larges secteurs de la jeunesse. Financés par le Kremlin, les sites Russia Today (RT) ou Sputnik sont parmi les principales sources à l’origine des intoxications complotistes qui infestent le Net, faisant jeu égal en matière de prétendus «complots sionistes» avec celles diffusées par les sites islamistes. C’est l’un des moyens concrets à l’aide desquels le féroce ennemi des démocraties occidentales qui règne sur la Mère Russie tente de saper la nôtre.

On ne s’étonnera donc pas, pour finir, que la singulière galaxie des amis français de Poutine ait tenté de semer le doute sur le contenu des «Panama papers», dont la propagande du Kremlin a affirmé qu’il s’agit d’une opération de la CIA. Logique, puisque des proches du pouvoir sont impliqués par le scandale.

7 Commentaires

  1. Tiens, les adorateurs de Poutine se sont réveillés dans les derniers commentaires.
    Il n’est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir… N’est-ce pas Sixto Quesada Blanco ?

  2. Si vous pensez que la France ne soutient pas des états ou mouvement criminels vous êtes bien naïf! N’oubliez pas que selon Fabius Alnostra faisait « du bon boulot » à l’époque. La mise sur pied d’égalité de la Russie avec l’EI est tout à fait exubérante.

  3. « Si Poutine, en compagnie de son allié islamiste chiite iranien, bien connu pour sa conception très particulière des droits de l’homme – et surtout des femmes – […] ». Donc ils diffèrent. Il faut, en effet, toujours s’arrêter au détail.

    Ce que l’on reproche à Poutine, ce n’est pas sa politique, plutôt ses convictions assumées, comme par exemple, qu’il considère la promotion des Femen ou de Conchita LaSaucisse —Wurst, en allemand— comme une immense sottise qui n’est pas sans conséquences néfastes. De la sorte, se pose avec acuité la question suivante : qui, de Poutie ou desdit[e]s, constitue la plus efficace promotion du crime passionnel aux mains de mercenaires illettrés ? –Nous ne parlons pas des Iraniens, gens du plus exquis raffinement, mais des huluberlus tant chéris des media.

  4. Très intéressant, notamment le passage sur la corrélation entre les sites servant la propagande russe et les sites islamistes qui alimentent les tendances complotistes parmi la jeunesse européenne.

  5. Bravo pour la prise de position et pour cet éclairage original sur la situation.

  6. Entre Daesh et Poutine, l’Europe restera prise au piège tant qu’elle ne fera pas entendre une voix unie et forte !