À toute chose malheur est bon. Du moins pour Erdogan qui est en train d’instrumentaliser la question des réfugiés afin d’enfoncer le clou de l’intégration de l’État turc dans l’Union européenne. Dans cette perspective, il espère remporter très vite une importante victoire d’étape, préparée de longue main : la levée des visas pour les ressortissants turcs désireux de rejoindre l’espace Schengen. Un avantage octroyé en échange de son engagement de réintégrer en Turquie les clandestins qui ont transité par son territoire pour s’installer irrégulièrement en Europe. Ce qui devrait permettre aux pays de l’UE de réaliser ce drôle de jeu à somme nulle : le troc de leurs réfugiés illégaux syriens, entre autres, par des légaux Turcs.
Après la relance de ses négociations avec Ankara le 27 novembre dernier — journée qualifiée d’historique par Ahmet Davutoglu — la commission européenne a déclaré le 4 mars que la Turquie avait accompli des « progrès visibles » en vue d’obtenir ce régime sans visa pour ses ressortissants. Ce qui signifie en clair qu’entre cette ouverture de l’espace Schengen à ses nationaux et l’accord d’Union douanière signée en 95, la Turquie pourrait bientôt bénéficier des principales prérogatives des États membres de l’UE. Sans qu’elle s’en soit acquittée des obligations, notamment en matière de droits de l’homme.
Si le résultat est remarquable, la méthode pour y parvenir ne l’est pas moins. Erdogan vient en effet de réussir un formidable tour de passe-passe. D’une part, il a obtenu en quelques mois que les édiles de Bruxelles ferment les yeux sur sa dérive autoritaire et islamiste, qu’ils dénonçaient eux-mêmes dans un rapport accablant voté durant l’été, et ce alors même que la situation n’a cessé depuis de se détériorer. Mais surtout, à la manière des héros des romans de Mario Puzzo, il leur offre sa protection, non sans leur avoir préalablement fait mesurer le risque auquel ils sont exposés…
La gestion des flux migratoires constitue à cet égard une arme redoutable dont Erdogan, qui n’est pas dépourvu de vision stratégique, a depuis longtemps mesuré la portée. En levant bien avant la guerre en Syrie les obligations de visas pour les ressortissants d’un certain nombre de nations musulmanes de la région (Afghanistan, Algérie, Irak, Maroc, Pakistan, Somalie, Tunisie) désirant se rendre en Turquie, il avait fait de son pays la principale plaque tournante de l’émigration clandestine vers l’Europe. On y comptait en 2011 environ un million de candidats au départ. Déjà. À tel point que le gouvernement grec du moment avait lancé un véritable SOS à Bruxelles, pour l’aider à surveiller sa frontière avec la Turquie. Et qu’Arno Klarsfeld, à l’époque président de l’office français de l’immigration, avait proposé d’ériger un mur entre ces deux États. Un an plus tard, consécutivement à l’arrivée des socialistes au pouvoir en France (qui s’est immédiatement traduite par un nouvel élan donné aux négociations d’adhésion de la Turquie dans l’Europe), Cecilia Malmström, commissaire européenne aux Affaires intérieures, signait (le 6 décembre 2013) avec Ahmet Davotoglu, ministre des affaires étrangères turc, un accord prévoyant la levée des visas pour les nationaux turcs contre l’engagement d’Ankara de reprendre les clandestins des autres pays qui ont transité par son territoire pour entrer dans l’Union. Un processus qui devait aboutir dans au « maximum trois ans et demi », selon une déclaration d’Ahmet Davutoglu à l’époque. Nous y sommes.
Ces échanges dont discutent en ce moment les Européens et la Turquie, à la faveur de la crise syrienne, n’ont donc rien de nouveau. Cette dernière n’a fait que leur procurer une amplitude supplémentaire. On le voit, Ankara joue depuis longtemps les pompiers pyromanes avec les flux migratoires, en créant un appel d’air pour la venue des émigrants dans son pays, afin de mieux pouvoir les ventiler en Europe et faire pression sur elle. Sauf qu’avec la marée de réfugiés provoquée par la crise syrienne, à laquelle s’ajoutent les barrières de plus en plus hermétiques que tente de dresser un certain nombre de gouvernements européens sur la route des Balkans, le piège tendu par la Turquie est en train de se refermer sur elle. D’où les opérations de communication de ses dirigeants, qui, tout en tendant la sébile, se présentent comme victimes de leurs bonnes intentions humanitaires, occultant au passage leurs stratégies cyniques ainsi que leur propre part de responsabilité dans la déstabilisation de leur cher voisin du sud. Un conflit qu’ils ont largement alimenté en jetant leur huile islamiste sur le feu djihadiste.
Voilà donc la transaction, en forme de chantage, à laquelle est confrontée une Europe plus disparate et fragilisée que jamais. Une Europe qui pourrait être tentée d’aller au plus facile : céder aux exigences de l’État turc, lui ouvrir toutes grandes ses portes, et faire semblant de croire qu’il pourra régler à sa place le problème de la protection de ses frontières. Ce qui, compte tenu de la dérive religieuse et anti-démocratique de cet État, s’apparenterait à un suicide politique et donnerait tout son sens à l’expression de Valéry Giscard d’Estaing qui avait déclaré en 2003 que l’adhésion de la Turquie signerait « la fin de l’Union ».
• Mardi 22 mars 2016. 14h10. Mais où est donc passé Abou Bakr al-Baghdadi?
• Si le méta-empire agit tel un cerveau global, quel en est le néocortex?
• Le soi-disant censé être mort Abdeslam lâché par Daech? traqué par Daech? ou bien plutôt forçant un Daech, affaibli par son arrestation, à bousculer son calendrier?
• La soi-disant coalition arabo-occidentale en Irak et en Syrie soutenue par Poutine? renforcée par Poutine? ou bien plutôt assistant à un blocage de l’Est laissant Daech légitimer la chape de plomb assadique?
• Les attentats du 22 mars ne sont pas le nouvel opus d’un exutoire hollywoodien.
• Nous n’avons pas besoin du terrorisme pour ressentir pleinement notre fraternité.
• La guerre sainte islamique n’est pas une Bonne Nouvelle.
• Nous n’implorons pas le Contre-Machin de nous aider à nous serrer les uns contre les autres sous l’empire d’un malheur croissant.
On aimerait que Salah Abdeslam corresponde à l’idée que l’on se fait de l’eurodjihadiste modèle. Ce pauvre petit gars qui ne veut pas mourir mais qui ne peut plus reculer maintenant qu’il a mis le bras ou le pied ou le nez dans la broyeuse islamiste. Abdeslam renonçant au martyre. Abdeslam repenti héroïque. Abdeslam preuve que le libre arbitre est un virus indestructible dès lors qu’il a infecté la conscience d’un homme.
Aprécédents : 1. Ghlam n’a jamais projeté de bataclaniser les églises Saint-Cyr-Sainte-Julitte et Sainte-Thérèse de Villejuif ou la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre. Il ne peut pas être l’assassin d’Aurélie Châtelain car, présent sur les lieux du crime, il a pu voir sa dédoublure procéder, sous ses yeux, à l’exécution de la jeune femme. Et tant pis si l’apparition d’une personnalité requiert la disparition de l’autre en ce qui concerne le trouble dissociatif de l’identité. 2. Salhi n’a jamais eu pour objectif de faire exploser l’usine de gaz industriel de Saint-Quentin-Fallavier. Bien qu’il ait décapité un chef d’entreprise, exposé son trophée de guerre bardé d’inscriptions rituelles ou accueilli les pompiers par des Allahou akbar, rien ne prouve que, dans le cas précis, ce détenteur d’une fiche S n’ait pas réagi comme n’importe lequel d’entre nous aux PIR brimades que lui faisait subir un patron islamophobe. 3. El Kahzzani n’a jamais programmé un massacre à la Coen brothers lorsqu’il fourra, dans son sac de sport, un mini-arsenal de guerre. Si les Yankees ne s’en étaient pas mêlés comme à leur habitude, notre pauvre image d’Épinal aurait pu tranquillement remonter l’allée triomphale du Thalys tout en faisant l’aumône, et, sautant d’un pied guilleret sur le dernier quai, s’offrir un dîner de Roi mendiant, au Terminus Nord, entouré de quelques donateurs en génuflexion.
Antécédents : 1. D’après ses exfiltreurs, le logisticien des attentats du 13 novembre aurait proféré des menaces en apprenant la mort de son frère. Des menace à l’encontre de qui? Des assassins de son frère, à l’évidence. Mais qui sont-ils? Si je ne m’abuse, c’est tout seul comme un grand que Brahim Abdeslam actionnera sa ceinture explosive au moment de passer sa commande au Comptoir Voltaire. Enfin, tout seul… quelques minutes après qu’Abdelhamid Abaaoud et Chakib Akrouh l’y auront déposé en apothéose à son Bloody Paris by Night. Un changement de dernière minute qui, s’il n’infirme pas la version de Salah Abdeslam, lequel affirme avoir été casté pour un quadruple attentat-suicide au stade de France, invalide pourtant la théorie selon laquelle les membres de la secte Daech avaient planifié pour le vendredi 13 un suicide collectif. N’oublions pas qu’Abaaoud et Akrouh étaient encore vivants cinq jours après le massacre. 2. Le mode kamikaze était, certes, adapté au dispositif de fouilles de bagages du stade de football, mais pour la suite, le but était de faire un maximum de victimes civiles. L’arrosage à la kalach, ça marche moins bien sans les bras. Les boucliers d’explosifs des djihadistes du Bataclan sont, à ce titre, à mettre en parallèle avec les otages poussés devant les fenêtres de la salle de spectacle. 3. Reste à savoir quelle opération d’envergure le survivant du commando « Stop aux bombardements de Daech par l’armée française » était en train de préparer avant d’être arrêté dans sa course folle. Avait-il le souci de faire oublier un échec à ses commanditaires — l’attentat avorté dans le 18e arrondissement où il avait abandonné la Clio noire — en réalisant un attentat autrement plus meurtrier en Belgique… par exemple, un 9/11 nucléaire? Son manque de jusqu’au-boutisme trahit-il un désir de se forger un destin à la Cheikh Carlos, poursuivant la guerre sainte depuis sa cellule (terroriste)? Possiblement rien de tout cela… Mais rien, probablement pas.
L’ancien caïd de Molenbeek aurait pu, comme préalable à sa participation, négocier avec Abaaoud la préservation de la vie de son frère quand le cerveau présumé des attentats lui concocterait une petite initiation-surprise, un accélérateur de conversion radical. Dans tous les cas, l’éventualité d’une participation de l’autogénéralissime Abdeslam impliquant sa survie au massacre n’est pas à écarter. L’homme allait se soumettre, le soir du 13 novembre 2015, à un rite de passage. Il deviendrait, sait-on jamais, indispensable à toute une série d’actions ultérieures, voire supérieures, requérant non seulement ses compétences avérées, mais sa fringante stature de logisticien émérite de Daech. En attendant, le triple attentat-suicide du stade de France ne s’est pas déroulé sur des gradins noirs de monde et la mission à laquelle participa physiquement Salah Abdeslam doit, comme il fut démontré plus haut, être dénigrée par son auteur, le protocole voulant que les attentats foirés ne soient pas assumés, leur foirage risquant de décrédibiliser le Califat uchronique et néanmoins planétaire. Abdeslam sera donc un lâche. Ça, c’est lui qui le dira. Et son avocat nous suppliera de ne pas braquer ce fabuleux trésor d’informations. À vos pincettes!