A l’heure où ces lignes sont écrites, on ne sait toujours pas si « Salafistes », le film de François Margolin et Lemine Ould M. Salem pourra sortir en salles, avec ou sans interdiction aux moins de dix-huit ans. Il suffit pourtant de le regarder pour trouver « Salafistes » d’une limpidité de cristal dans son message, formidablement puissant dans sa dénonciation, méritant, plus que jamais, une large diffusion.
1 – La première partie de « Salafistes » raconte les jours et les heures de Tombouctou, au Mali, sous la coupe des islamistes en kalachnikovs. On les voit, puérils, massacrer une antilope. Fanfarons, parader du haut de leurs épaulettes, dans les rues du souk. On les entend, regard ahuri et débit hésitant, réciter leur prêchi-prêcha absurde, contre, au choix, la musique, les cigarettes, les femmes aux chevelures désentravées. Illuminés, les pupilles hagardes, enhardis eux-mêmes par leur propres mots, se raccrochant, contre la logique, dans des imprécations raffinées et des sophismes dont il évacuent la bêtise par un surcroît de force un peu lasse, les salafistes maliens font l’effet de fonctionnaires du crime totalement idiots et sidérants de violence. Le monde est violent et impropre ? Il faut des lapidations. Les humains sont imparfaits ? Faisons-en des manchots. Les salafistes ont cette étrangeté fondamentale dans leur rapport à la réalité qui est à la fois comique (mais oui) et monstrueuse. Engoncés dans leur casuistique crétine, dans leur jésuitisme de la main coupée, dans leur catéchèse de la charia, à les voir ainsi on songe immédiatement aux pages de Candide, chapitre VI, « Comment on fit un bel autodafé pour empêcher les tremblements de terre » où Voltaire écrit « il était décidé par l’université de Coïmbre que le spectacle de quelques personnes brûlées à petit feu, en grande cérémonie, est un secret infaillible pour empêcher la terre de trembler », et où Candide « fut fessé en cadence ». Alors oui, il n’y a dans le film pas de commentaire, et dans Candide non plus. Il suffit, par la mise en scène, que cette ironie profonde surgisse à chaque instant, dans les visages des soldats fou de Dieu, dans leur folie paranoïaque, qui pour sauver la vie, donnent la mort à coups de pierre. L’ironie est là, et bien là, quand un voleur, le moignon encore sanguinolent, remercie ses bourreaux : Pangloss est de retour, car tout est bien, et AQMI garde nos destins. Pour ne pas voir l’ironie de la mise en scène, il faut vraiment faire comme Oedipe à Colonne : se crever les yeux. De Gaulle en parlant de Sartre, au moment de la guerre d’Algérie, disait qu’on n’emprisonnait pas Voltaire. Aujourd’hui, manifestement, on le censure.
2 – Il faut dire un mot de ce premier film dans le film. Penser au courage de Lemine Ould Salem qui, au péril de sa vie, enregistre ces images, sidérantes, des scènes de la vie quotidienne sous dictature islamiste. C’est un grand travail de reporter. Et c’est aussi, on ne le dit pas assez, un grand travail d’artiste. Il y a un plan de mise à mort : les gens de Tombouctou sont rassemblés sur des dunes, et leurs silhouettes, bleu pastel, rouge sang, se dissolvent dans le crépuscule. En contre-bas, l’étendue de sable blanc, un trou de silence où chantent les prêcheurs. Au loin, dans la nuit africaine tombante, un pick-up emmène un supplicié. Ce sont des images magnifiques et sidérantes, et pour le coup, dignes des recueils de Depardon. La beauté et l’horreur se passent de mots.
3 – Ce film, dit-on, serait tragiquement neutre, atrocement dénué de point de vue. Là encore, c’est s’efforcer de se faire idiot. On n’a pas besoin d’avoir lu tout Modiano – comme c’est le cas, c’est bien connu, des érudits du Ministère de la Culture – pour être sensible à la subtilité assez manifeste de l’ironie. Car, il y a dans « Salafistes » des scènes où la logique du salafisme, pour le coup bel et bien « du mécanique plaqué sur du réel », est chamboulée, désamorcée, où s’écroulent sous leur propre absurdité toutes les paroles si graves des théologiens. On pense, bien sûr, à cette image d’ouverture, où une pancarte à l’entrée de Tombouctou, souhaite la bienvenue, et annonce le règne de la charia sur le même ton guilleret que les panneaux touristiques des autoroutes. Tombouctou, ses lapidations et ses trésors gastronomiques. Ou cette scène du petit malin, en Tunisie, à mi-chemin entre la gourmandise du profit et l’endoctrinement totalement crétin, qui vend des produits dérivés à l’effigie de Daech, et où l’on rencontre un blogueur mode conseillant, en ligne, les dix baskets les plus tendances pour partir faire le djihad. On n’est pas très loin, dans cette peinture de la bêtise, de la concupiscence, de la logique déraillant sur elle même, d’un film des frères Coen, avec cette galerie de commerçants veules, de petits entrepreneurs en méchanceté, de cyniques souriants et affables. Où est l’apologie ? A-t-on déjà dit que The Big Lebowski avait incité des milliers de jeunes gens à devenir des joueurs de bowling racistes et crétins ?
4 – Il y a ensuite, c’est vrai, un long moment d’entretien avec des théologiens s’enivrant eux-mêmes de leurs discours de haine. Et ces « Fragments d’un discours assassin » mettent, au minimum, mal à l’aise. Alors, Margolin, qui voudrait faire l’ange, fait-il la bête ? Les deux réalisateurs sont-ils si naïfs, si platement idiots qu’ils insèrent allègrement, en contrebande, ce que des esprits chastes ne sauraient voir ? D’une part, n’importe quel cerveau malade trouvera cela en deux secondes sur Youtube. D’autre part, ce n’est pas ce qui se passe dans le film. On entend, certes, ces imams, ces penseurs, munis de bibliothèques et de kalachnikovs, disserter sur les vertus d’une terreur islamique. Mais on les entend dire d’énormes mensonges et, surtout, professer l’amour de la vie, leur infatigable tendresse pour le genre humain, leur si profond souci des maux universels. Et, aussitôt, le dernier quart d’heure de « Salafistes » exhibe la réalité de leur discours, c’est-à-dire des images incroyables. Vous verrez les soldats de Daech jouer, grandeur nature, au fameux jeu vidéo GTA IV, qui consiste à se balader dans les rues et tuer au hasard, et à l’arme automatique. Ils conduisent des voitures, et massacrent, jusqu’au dernier souffle les occupants des véhicules rencontrés. Vous verrez ces images, où éclate le nihilisme assassin, ces passants qu’ils tuent pour le plaisir, pour le jeu, par désoeuvrement. Vous verrez ces homosexuels balancés du haut d’une tour, dans un rituel digne de « Salammbô », avec tambours et trompettes. Vous verrez la terreur des prisonniers, qu’on amène un à un au bord d’une rivière, qu’on liquide d’une balle dans la tête, dont les corps plongent dans des eaux rougeoyantes. Vous verrez ces images, qu’on ne peut s’empêcher de rapprocher de celles de la Shoah par balles, où, dans une fosse, méticuleusement, on assassine des rangées et des rangées de détenus de Daech. C’est avec cela qu’on sort du film. C’est avec cette réalité, contre les discours, que les lumières de la salle se rallument. Et c’est le principe même de l’ironie, depuis la scène des comices agricoles de Flaubert, dans Madame Bovary, quand le discours romantique dégoulinant était mis en contrepoint des descriptions délicieusement triviales des boeufs de labour. Ne pas voir la mise en scène, l’écriture, l’ironie – au sens philosophique du terme – de « Salafistes » est très triste, pour la cohorte de journalistes qui ont des hauts-le-coeur. L’aveuglement à l’ironie a un nom, celui que Kundera lui donne : la misologie. Soit la haine de la pensée, du raisonnement, de l’intelligence, et l’amour du kitsch. Les réalisateurs ne font pas un film kitsch : ils font un film. Et l’art est ironique, jamais surligné au double stabilo.
5 – Un dernier mot. Les contempteurs du film soulignent à l’envi qu’exhiber ainsi des vidéos de Daech sur grand écran est irresponsable. Mais, justement, on n’avait jamais vu toutes ces vidéos, ce que les gens de Daech font vraiment. Leur fanatisme, leur amour de la mort, leur froideur robotique et puérile à la fois. Mettre ces extraits dans un film, précisément, dans une salle de cinéma, oblige à ne pas détourner le regard. Cela fait des mois et des mois que l’on parle de Daech sans, vous vous en rendrez compte en voyant le film, savoir exactement de quoi l’on parle. Obliger l’opinion à ne pas fermer ses paupières, coller les yeux du monde sur la boue et l’horreur, c’est un geste nécessaire. La France, probablement, a un problème pour regarder en face la réalité. C’est aussi vieux que Gide au Congo (affabulateur ! Irresponsable !) ou que l’Affaire Kravchenko (nazi ! Traître ! Irresponsable!). Mais ce geste précis, et désagréable, s’appelle faire du journalisme. L’honneur du journalisme. Alors, « Salafistes » suscitera peut-être des gloussements d’aise chez des cerveaux malades. A la fois, le film nous armera intellectuellement contre les fanatiques, nous et ceux déjà horrifiés par Daech ; à la fois il ridiculise, pour de bon, les jésuites des moignons, les casuistes des décapitations. On peut dire qu’il prêchera les convaincus. Mais il vaincra aussi, les prêcheurs. C’est un spectacle absolument nécessaire.
« Écoute, petit… La politique, ça se joue sur du long terme. Avec la conversion de l’Iran au libéralisme, on table sur l’émergence d’une classe bourgeoise qui, à l’instar de la Russie ou de la Chine, renversera le régime totalitaire et fera émerger la démocratie avec les libertés fondamentales.
— Vous pouvez répéter tout ça, SVP?
— Pas de problème. Avec la conversion de l’Iran au libéralisme, nous espérons voir émerger une classe bourgeoise.
— Après…
— Euh… nousespéronsvoirémergeruneclassebourgeoise, ah oui! Qui renversera le régime totalitaire et fera émerger la démocratie grâce à la recherche croissante des libertés individuelles.
— Non, avant!
— Écoute, petit… je ne vois pas de quoi tu parles. »
Zarif, Erekat, je crains que les hétérologues de Laurent Fabius aient oublié de nous rappeler qu’ils se souviennent parfaitement de ce que l’édification d’un rideau de fer à Jérusalem ne correspond en rien à ce que représentent pour eux les (pas) sacrosaintes (pour un sou) frontières de 1967.
P.-S. : OK. Je mords ma langue, je mange mon chapeau, j’arrête de faire mon Bibi. Mais alors, il faut dédiaboliser jusqu’au bout. Ne plus diaboliser le Fatah. Ne plus diaboliser la République islamique. Ne plus diaboliser le négateur du génocide des Arméniens. Ne plus diaboliser l’assassin d’Alexandre Litvinenko. Le changement, quoi…
0 pointé n°1 : La Fille aînée de l’Église a contracté une dette fondatrice envers le berceau du monothéisme.
0 pointé n°2 : Les ex-colons de peuplement de la province cruciale des empires mahométans ou issus de Mahomet ont, pour leur part, contracté une dette fondatrice envers les coexfiltreurs de l’inventeur du peuple palestinien, le Hiérosolymitain — grand bien lui fît! — Mohammed Amin al-Husseini.
0 pointé n°3 : Il devient de plus en plus difficile d’envisager une victoire électorale basée sur la cohérence des principes, dont quelques-uns contrarieraient l’électorat antisioniste.
0 pointé n°0 : Selon Rabbi Fabius, Rav Brel aurait dit : «Le seul fait de rêver est déjà très important. Je vous souhaite des rêves à n’en plus finir et l’envie furieuse d’en réaliser quelques-uns.» Rabba Mnémosyne lui répondit : «Aide-nous, Rabbi Fabius, à empêcher que les Furies ne saccagent tout ce que notre envie nous a déjà offert de réaliser.»
L’Allemagne sait mieux que personne à quel paroxysme d’abomination peut conduire l’antisémitisme. Elle ne mésestimerait pas la dangerosité d’un Guide suprême aryen capable de dénigrer la Shoah à l’occasion de la journée internationale de commémoration de l’Holocauste. Ceci explique sans doute que sa Chancelière ait éprouvé la droite nécessité, il y a quelques années, de prévenir la communauté internationale que si jamais un pays avait la mauvaise idée d’attaquer Israël, le sien réagirait à cela comme s’il avait été, lui-même, frappé en plein cœur. Il faut dire que, contrairement à la France, l’Allemagne a beaucoup à se faire pardonner sur la question antijuive. Évidemment. Ah! je m’emporte, je m’emporte… il faut toujours que je m’emporte! Mais réfléchis, bon sang…! Ho! Ho! Ho ! Ho… Keep quiet, man… N’oublie pas qu’on l’a vu (le nazi modéré) avec Valls quelques jours à peine après que ce dernier avait réaffirmé sa tolérance zéro pour la haine de l’État juif. Oui, tu as raison. Nul doute que les médias iraniens aient relayé le discours du PM avec louanges unanimes à l’appui.
P.-S. : Quelle différence y a-t-il entre un nazi canal historique et un nazi modéré? C’est simple. Le nazi modéré prône l’extermination des Juifs, mais il fait cela sans perdre son sang-froid.
1956 « Nuit et brouillard »
2016 « Salafistes »
Cher Monsieur vous faite erreur, dans « nuit et brouillard » je n’ai pas le souvenir que nous ayons eu des jeunes et sympathiques nazi nous exposant tout en souriant les bienfaits de leur idéologie entrecoupés avec des images montrant des montagnes de cadavres et d’exécutions sommaires pour étayer leurs propos.
c’est pourtant exactement ce que montre « les salafistes «
Coup de sirène : Nous avons profité des lumières d’une foule de penseurs libertins, libéraux, libertaires bien avant que les Jésuites ne nous offrent Nostra Ætate. Notre dénonciation des allures réformatrices que cherchent à se donner les courants religieux à caractère expansionniste vise donc nécessairement les hiérarques dont la prise de parole pourrait, s’ils s’en donnaient les moyens, métamorphoser les relations internationales et, pour commencer, rebooster un processus de paix israélo-palestinien vicié à la base par leur méconnaissance volontaire de l’histoire du monothéisme. Le rapport que les peshmergas entretiennent avec leur religion ressemble, malheureusement, pour l’heure, et ce aussi longtemps que nous aurons besoin des Ottomans pour contrer l’avancée des Perses que nous utilisons pour tempérer les prétentions impérialistes de la dynastie Saoud, plus à une merveilleuse promesse de révolution universaliste en terre d’islam qu’à un État de fait.
Purisme : Comme on a pu parler d’une dynastie Michelin, le label Dynastie Saoud réfère au décorum très étudié d’un empire économique allant jusqu’à la Mecque.
On reproche aux réalisateurs le manque de commentaires dans le film. Or, c’est bien à travers l’absence totale d’esthétisation et la succession brutale des images que s’exprime leur point de vue anti-salafiste.
Comment peut-il y avoir une telle incompréhension ? Il ne fait aucun doute que ce documentaire, non seulement ne fait pas l’apologie du terrorisme, mais est un outil pour le combattre…
il est effectivement salutaire de se poser la question pourquoi autant de personnes tout aussi attachées à la liberté d’expression que vous sont aussi violemment contre.
Face au risque de banalisation de la balkanisation des esprits, façon «Taisez-vous, M. Finkielkraut!», façon «Cachez ce davidique organe que Rohani ne saurait voir!», je prône la guerre de l’islam des Lumières contre l’islam des Miroirs ardents. J’ai bien dit «islam des Lumières», et je ne pense pas être le premier à en avoir employé la formule. Un islam dont nous prions pour que son avènement soit l’événement du siècle. Un islam qui, en l’espèce, n’existe pas encore. À moins que nous soyons du genre à nous contenter, nous le peuple des peuples, d’un médiéval avéroïsme en guise de laïcité. À moins que le statut de dhimmî nous redevienne aussi tolérable qu’il l’était aux tossafistes de la première moitié du dernier millénaire. Dans le cas inverse, ne feignons plus l’existence d’un islam réformé là où pour figure de cette modernité, nous ne sommes pas foutus de discerner les petis agents du PIR, kagébistes en jupons aussi libres de briser leur chaînon panarabe que les esclaves du néolibéralisme aryen le sont de conchier le Petit Livre vert de leur Grand Roi avec, en ouverture, la Prière à la résurrection du sacrosaint empire. C’est une obligation humaniste de condamner l’antisémitisme devant l’Hyper Cacher (P.-S. : Ne pas disjoindre cette condamnation d’une proscription de l’antisionisme). Si fait, nous n’irons pas saboter tout de go notre statut d’État-conscient de l’UN en faisant du moindre-mal-accord de Vienne un tremplin pour l’exportation du droit de détruire Israël.
Si Vallaud-Belkacem a raison de mettre en retenue Canal plus pour le piège qu’on lui a tendu, qu’elle me permette de la mettre au piquet pour la nonchalance avec laquelle son cabinet appréhende la représentation nationale dans les médias. Comment l’identité d’un quelconque invité programmé sous le Portique pour croiser un élu du peuple peut-elle encore, après janvier 2015, après novembre 2015, échapper aussi grossièrement au détecteur de salaud? «On ne débat pas avec les ennemis de la République, on les combat.» Tout à fait d’accord, Najat. Mais si le débat n’est pas une option, la présence à la table ronde soit d’un nazislamiste, soit de son collabo ne l’est pas davantage. Je prône la guerre des Lumières contre les guerre des Faussaires. J’appelle tous les Français à prendre leurs responsabilités face aux ordres génocidaires lancés par le Daech. Et je les pousse devant les morts du Bataclan dont je n’aurais pas l’indécence de prétendre qu’ils représentaient aux yeux de leurs bourreaux une entité multiculturelle quand c’est précisément l’absence aveuglante des Français de souche arabo-musulmane dans le cortège du 11 janvier qui incite les conquérants de l’intérieur à commettre des actes qui s’inscrivent à leurs yeux dans ce qu’ils qualifient de guerre juste contre la France islamophobe.
«Tu ne comprends pas… les musulmans ne peuvent pas prendre position ouvertement! C’est beaucoup trop dangereux pour eux.
— Suggères-tu que le risque de mort imminente demeure un privilège des infidèles?»
Le risque de mort imminente doit être repoussé par tous les hommes et toutes les femmes qui ont décidé qu’ils ne s’allongeront pas en travers de la route sur le passage des cavaliers de l’Apocalypse verte. Nous revendiquons notre détachement vis-à-vis des principes destructeurs des fondamentalistes que nous désignons comme infidèles à nos principes fondateurs, comme infidèles à nos valeurs existentielles. Des valeurs qui ne valent rien aussi longtemps qu’elles ne sont pas incarnées. Des valeurs dont nous n’avons pas la malhonnêteté d’oublier que le talon d’Achille que représente leur champ d’application n’a pas le pouvoir de mettre en cause le bouclier qu’elles dressent face aux grands et petits fléaux. Des valeurs, donc, voulant de notre part que nous les incarnions pleinement, entièrement. Si, comme vous ne l’aurez sans doute pas remarqué, je ne suis pas homme à relancer le cours magistral revival aux côtés de Finkie la Blouse grise, je ne pense pas non plus, à l’instar de Dany l’Étoilé, qu’une Germano-Marocaine qui rencontrerait à Marseille un Franco-Algérien serait moins allemande que son petit ami ne serait lui-même français, ou que leurs futurs enfants, s’ils naissaient sur le sol de notre République, seraient moins libres et égaux que nous. Tout ceci est bien moins compliqué qu’il n’y paraît. À condition que nous acceptions d’être ce que nous devenons dès la naissance; ce que je dis là n’a rien d’essentialiste. Être Arabe? Dès l’instant qu’on l’est, il me semble que cela non plus ne doit pas être hors de portée. Apprendre à être ce à quoi l’on prétend vouloir appartenir, autrement dit, la communauté nationale d’une autre nation, laquelle nous différencie de la diversité que nous lèguent nos ancêtres, cela ne se fait pas tout seul, or cela s’impose plus que jamais aujourd’hui qu’une communauté, qui se vend sous l’étendard d’une puissance mondiale de premier rang, nous attire vers un champ de bataille où nous avons permis qu’un nombre ahurissant de nos concitoyens aillent rallier ses rangs.
À quoi servent les vibrants hommages de la nation si ce n’est à introduire l’Histoire dans la mémoire citoyenne avant de la ranger sur une étagère de la Bibliothèque nationale? En mars 2008, Lazare Ponticelli avait droit à des funérailles nationales. Né cent dix ans plus tôt en Émilie-Romagne, le tout jeune ramoneur de Nogent-sur-Marne avait eu la chance de survivre aux durs combats qu’il s’était engagé à mener dans le 1er régiment étranger pour sa patrie d’accueil. Ce n’est qu’au bout d’un quart de siècle qu’il obtiendra la nationalité française, et pas n’importe quand, en 1939, alors qu’il s’apprêtait à reprendre les armes contre l’ennemi fasciste. Jugé trop vieux pour affronter le front, le 3e bureau le renverra participer à l’effort de guerre au sein de son entreprise. Ponticelli était-il un Français de souche? Que nenni. Était-il un bon français? Affirmatif. De la meilleure cuvée. Lazare était né deux fois, et s’il avait pu renaître à la civilisation au sein d’une autre civilisation, ce n’est pas sans qu’il s’en fût donné les moyens. Lazare avait voulu savoir être Français. Mais avant tout, il avait su vouloir l’être. Il y a, comme le dit Finkielkraut, une continuité historique dans laquelle un citoyen-amoureux doit s’inscrire. Ce mode d’intégration n’est pas optionnel. Mais s’il requiert l’énergie des vrais maîtres, c’est à l’expresse condition que ces derniers des Mohicans se soient montrés capables de convertir leurs connaissances fossiles en autant d’énergies renouvelables. Et si tous les chemins vicinaux d’Anselm Kiefer ne mènent pas à Rome, encore faut-il être revenu de Rome pour en faire la démonstration. L’apprentissage de la citoyenneté déborde largement des bancs de l’École publique. Sautez de vos estrades, je vous prie! On ne débat pas avec les ennemis de la République, on les instruit.
Où et comment pourra-t-on visionner ce documentaire ? Il me tarde de le voir !
Deux salles à paris le jouent, Les 7 parnassiens, et les 3 luxembourgs
Je tiens à souligner que Claude Lanzmann a soutenu ce film dans une tribune du Monde et il a certainement raison
Au lieu d’essayer d’empêcher la diffusion de ce documentaire, il faudrait au contraire le montrer le plus possible, partout, au cinéma, sur les chaînes du service public, dans les collèges et lycées… Ce genre de documents sont sûrement le meilleur remède contre la radicalisation des jeunes.
L’interdiction aux moins de 18 ans revient à une censure, à la mort du film, car il ne pourra être diffusé nulle part.