Les femmes, le métal, l’Asie, le bouddhisme, sont de puissants vecteurs de l’œuvre photographique de Germaine Krull, que le Jeu de Paume donne à redécouvrir cet été.
De Germaine Krull, j’avais entendu parler depuis mes années Malraux, vers 1975 sans doute. Bien plus tard, je découvre une partie de la dernière correspondance entre lui et elle, alors qu’elle vivait déjà dans l’Himalaya, non loin de Dharamsala, et s’était convertie au bouddhisme. J’ai pu consulter leur dialogue épistolaire sur l’Inde, le bouddhisme et le Bengale au temps où Malraux s’était mobilisé pour le Pakistan oriental devenu en 1971 le Bangladesh.
Plus récemment, j’ai rencontré la jeune et passionnée chercheuse allemande spécialiste de l’Afrique et de Germaine Krull, Kerstin Meincke, du Folkwang Museum d’Essen, qui publia Afrika, hin und zurück (Afrique aller et retour) en 2012, en partie consacré à la photographe.
« Germaine Krull (1897-1985) : Un destin de photographe », l’exposition est présentée au musée du Jeu de Paume, place de la Concorde à Paris, jusque fin septembre. Du 8 octobre 2015 au 10 janvier 2016, l’exposition se transportera à Berlin, au Martin Gropius Bau. Le superbe catalogue est signé par Michel Frizot, commissaire de l’exposition, qu’accueille Marta Gili, directrice du Jeu de Paume. Depuis plusieurs années, elle reçoit des expositions de « femmes photographes au singulier ». Composant une vaste fresque au féminin de la photographie contemporaine, avec son questionnement propre, ses schèmes, ses ambitions qui ne se confondent pas avec celles des hommes, Germaine Krull a un parcours exceptionnel. Née de parents allemands en Pologne, elle choisit la nationalité néerlandaise, se rend à Paris une première fois, pour un bref séjour, en 1906, suivant son père ingénieur. Dès 1926, elle s’installe pour plusieurs années dans la capitale française. Au moment de la guerre, la photographe allemande part aux Etats-Unis pour mieux s’engager dans la France libre dès 1941, dirigeant d’abord à Brazzaville le service photographique de la France Libre, puis accompagnant le Débarquement des Alliés en Provence pour poursuivre avec l’Armée française la campagne d’Alsace… En 1946, elle débarque à Bangkok.
Germaine Krull réalise le premier roman-photo avec Georges Simenon, La Folle d’Itteville. C’est tout autant ses nus féminins ou ses photos sur les superstructures de métal ou de fer, qui la font connaître à l’aube des années 1930 : ses vues de ports comme celui de Rotterdam, sont aussi novatrices et frappantes que ses visages de femmes comme celui d’Assia, de profil (1930). La même année elle fit une célèbre photo de Malraux. Il y a certainement une injustice qui fait que le renom de Germaine Krull n’a jamais égalé celui de Man Ray, de László Moholy-Nagi ou André Kertész parmi d’autres. C’était une femme libre autant qu’une grande artiste et qu’une féministe.
En 1967, Malraux proposa à Henri Langlois une rétrospective à la Cinémathèque de Paris. L’exposition eut lieu mais après 1968, cela aurait eut sans nul doute plus d’échos. En 1962 déjà, il lui confia un volume de sa collection « L’Univers des Formes », chez Gallimard, sur l’Indochine. Le contrat fut signé mais le livre ne parut jamais.
Pourtant les expositions se suivent et les publications aussi. Après avoir dirigé l’Hôtel Oriental à Bangkok, Germaine Krull va parcourir avec son appareil photo la Thaïlande, la Birmanie, pour finir par se poser en Inde en 1968 après un retour à Paris en 1966-67, où elle espérait semble-t-il davantage de son ami devenu ministre d’Etat chargé des affaires culturelles. Dans l’Himalaya, à Dehra-Dun, près de Dharamsala, où elle rencontre le dalai lama et ses Tibétains en exil, qui ont fui l’invasion du Tibet par l’armée chinoise. Ses portraits du jeune chef spirituel tibétain, sont connus dans le monde, comme ses portraits de Cocteau, ses photos de villes, de ports, d’usines, de temples, de femmes, et font d’elle une photographe moderne au plein sens du mot, au regard vif, novateur, plus d’une fois révolutionnaire.
On sait gré à Michel Frizot de redonner à Germaine Krull une actualité formidable au cœur de Paris, dans l’un des temples de la photographie contemporaine, le Jeu de Paume. Marta Gili souligne que « personne n’avait encore entrepris de recherches approfondies sur une œuvre publiée aussi bien dans des revues que dans des livres. »
Cette rétrospective est la première en France depuis 1967 et depuis celle du Folkwang Museum de Essen dans les année 1990. A tous les amateurs, à tous les amoureux de photos, je dis : allez découvrir une grande artiste, un regard magistral sur le monde des années 1920 aux années 1980.
————————————————————————
Catalogue de l’exposition, Jeu de Paume/Hazan, 264 pages, 270 photographies, version allemande coéditée, 40€