Haut-le-cœur et fureur en lisant dans Libération du vendredi 12 juin, en page «éditos» (celle où les journalistes eux-mêmes donnent leurs propres avis sur les sujets les plus divers) le billet de la rédactrice-en-chef-adjointe-du-service-Idées (ex-Rebonds). Elle s’appelle Cécile Daumas et on se demande ce qu’elle fiche à Libé plutôt qu’à Médiapart ou Politis. Qu’on en juge. Le titre de son article, déjà : «Prostituées, femmes voilées : fichons-leur la paix.» On connaît ce courant de pensée qui sévit dans une large partie de la mouvance gauchiste où l’on se prend pour des rebelles lorsqu’on cautionne l’asservissement. L’article n’évoque même pas la notion de servitude volontaire, qui pourrait, parfois, éventuellement éclairer le choix obscur de se soumettre socialement. J’insiste : socialement, et non dans les jeux érotiques où les adultes consentants ont le droit de (se) faire ce qui les enchante. Non, Cécile Daumas y va carrément du truc le plus éculé consistant à détourner la légitime exigence concernant la libre disposition par les femmes de leur corps et à légitimer d’une part la marchandisation de ceux-ci au profit des hommes, et d’autre part l’annihilation publique de ces mêmes corps féminins au bénéfice d’un islam bigot et machiste.
La journaliste, dira-t-on, ne fait que confirmer l’espèce de tournant gauchiste qui traverse depuis pas mal de temps les pages de Libé. Mais son article va beaucoup plus loin quand on y lit ces phrases destinées à réfuter l’opposition au voile : «Les hommes aiment pourtant donner leur avis, le plus souvent tranché. Féministes à bon compte, les voilà à claironner l’abécédaire occidental de l’égalité entre les sexes quand il s’agit de « sauver » des femmes aux cheveux voilés.» On ne s’attardera pas sur le stéréotype pesant visant à décrédibiliser «les hommes». Ce qui compte, dans cette citation, c’est le mot «occidental», qui vient ici pour discréditer la revendication d’égalité entre les sexes, laquelle d’universelle se transforme donc en un pauvre «abécédaire occidental». On n’est pas loin du «féminisme islamique» dont se réclament certaines islamo-gauchistes. On est en tout cas en plein relativisme.
Cécile Daumas serait une simple stagiaire dont la triste copie n’aurait pas été relue par la hiérarchie avant publication, on se dirait qu’il règne un bordel inquiétant à Libé. Mais on a bien affaire à une cadre du journal, et là c’est grave. Et bien plus inquiétant. Sa prose franchit la ligne rouge qui dans les débats sépare le camp des démocrates universalistes de celui des idiots utiles de l’islamisme. Les Indigènes de la République ont de quoi se réjouir en découvrant que leurs idées trouvent un relais au sein même du quotidien de la rue Béranger.
Sans doute convaincue de sa largesse de vue féministe, la rédactrice-en-chef-adjointe-du-service-Idées clôt son article en appelant à la rescousse Virginie Despentes, manifestement considérée comme paradigme d’émancipation féminine, qu’elle présente cependant comme «écrivain», au masculin ; elle en cite une phrase à l’insondable profondeur contestataire : «Est-ce qu’on pourrait arrêter de définir à notre place ce qu’est la féminité ?» Cette platitude au doux fumet de l’habituelle démagogie du bon sens et qui devrait clouer le bec du lecteur appelle néanmoins un petit retour sur ce qu’écrivait l’auteur de «Baise-moi» dans les Inrockuptibles, à propos des frères Kouachi au lendemain de leur massacre à Charlie Hebdo : «J’ai aimé aussi leur désespoir. Leur façon de dire – vous ne voulez pas de moi, vous ne voulez pas me voir, vous pensez que je vais vivre ma vie accroupi dans un ghetto en supportant votre hostilité sans venir gêner votre semaine de shopping soldes ou votre partie de golf – je vais faire irruption dans vos putains de réalités que je hais parce que non seulement elles m’excluent mais en plus elles me mettent en taule et condamnent tous les miens au déshonneur d’une précarité de plomb.»
De Cécile Daumas à Virginie Despentes, du port du voile aux frères Kouachi, c’est sans doute un goût commun, à rebours des abécédaires de la liberté à l’occidentale, pour l’insurrection qui vient…
La vision de signes religieux (dits ostentatoires) dans l’espace public ne m’agresse pas, en tout cas pas a priori, exception faite des prières de rue. L’intégrisme athée comme religion d’État heurte ma sensibilité. J’aimerais que ce qui peut être vécu par certains, et parfois à juste titre, comme une forme d’oppression (du religieux sur le non croyant, d’une confession envers une autre), n’autorise pas toutes les dérives. Que le ressenti (!) ne devienne pas le critère absolu d’évaluation de la vérité. D’une part je doute que la position soit tenable – quelle est la bonne longueur de jupe, de barbe, les musulmans devront-ils se raser, supprimerez-vous les plats de substitution dans les cantines (ça c’est intelligent !), interdirons-nous la kippah dans l’espace public, « nettoierons-nous » certains quartiers ? –, d’autre part je suis convaincu que cette politique ne fait que renforcer ce qu’il est convenu d’appeler le communautarisme. C’est un peu le syndrome Le Pen, que l’ostracisation n’a jamais empêché de consolider une assise électorale en constante progression. Bref. Quand la laïcité ne suffit pas à interdire le port du voile islamique, la cause des femmes vient en renfort. Certains semblent penser qu’une femme musulmane voilée est, en France, systématiquement soumise (je ne parle pas du Niqab, phénomène marginal). Qu’une femme non musulmane, voire musulmane mais non voilée est, de fait, libre et respectée (permettez-moi de sourire), autant que peut l’être une européenne blanche dite « de souche ». Bullshit. Par ailleurs, je tiens à préciser qu’une pouffe sapée comme une pute pire qu’une bouffonne de téléralité et aux bras de son Kevin (d’accord, je fais dans la caricature mais à peine) m’agresse beaucoup plus que certaines femmes voilées. C’est clair ?
L´auteur me rappelle ces petits télégraphistes qui notaient scrupuleusement toute « déviance » qu´il s´empressaient de balancer allègrement sur la place publique.
Méthodes typiques des gardes chiourmes
Intéressant… si l’on met de côté l’absurde caractérisation de gauchisme dont l’auteur affuble la journaliste de Libé incriminée. L’auteur se disqualifie totalement en feignant d’ignorer que la laïcité, comme la prostitution, font clivage dans la gauche radicale/alternative… Dommage.
Entièrement d’accord avec votre article. Les islamo-gauchistes font le jeu des islamo-facistes. A mon avis, les concepts de droite et gauche ne signifient plus grand chose aujourd’hui. On trouve autant de conservateurs pro-religieux à gauche qu’à droite. Il faut réinventer pour préparer notre avenir et le futur de l’humanité.
Cordialement. Pol Nasens
Remarquable article faxé à une incroyable position de Libération.