Le 12 mai dernier nous n’étions qu’une poignée à accompagner l’opération « Seins nus contre la condamnation de Raïf Badawi ». Deux militantes des Femen et l’ami palestinien Waleed Al-Husseini avaient alors protesté devant l’ambassade parisienne des rois du pétrole contre la sentence prononcée contre le blogueur libéral saoudien pour « insulte à l’islam » : 1000 coups de fouet, 10 ans de prison et une énorme amende. Neuf mois ont passé et le cas de Raïf est désormais plus largement connu, tant en France que par le monde. Il est vrai qu’entre-temps le verdict a connu un début d’application : le jeune père de trois enfants a été sorti de son cachot pour subir une première série de 50 flagellations. Les suivantes ont été retardées en raison, officiellement, de la dégradation de son état de santé après la séance de torture initiale. Il n’est pas impossible que l’importante campagne internationale en faveur du condamné n’ait pas quelque peu arrêté la main du bourreau.
Comme chacun sait, ce doux pays qu’est l’Arabie saoudite pratique la charia sur un mode particulièrement rigoriste puisque directement fondé sur la vision ultra-conservatrice de l’islam qu’est le wahhabisme. La loi coranique version saoudienne diffère peu de l’idée qu’en ont les fous furieux d’Allah qui sévissent en Irak et en Syrie sous le nom d’Etat islamique. C’est, sur le fond, une même conception de la vie, si tant est qu’on peut parler là de vie quand il s’agit surtout de mises à mort, d’interdits obscurantistes, de discriminations, de misogynie…, qui a guidé les cerveaux haineux et criminels des frères Kouachi et de leur compère Coulibaly, respectivement auteurs des crimes terroristes contre Charlie Hebdo et à l’Hyper Cacher. Ce qui n’a pas empêché le régime saoudien de se faire représenter – hommage hypocrite et cynique du vice à la vertu – lors de la grande marche du 11 janvier en envoyant le numéro 2 de sa diplomatie, Nizar al-Madani, arpenter le pavé de la capitale. Ce jour-là la France était Charlie, comme en témoignaient 4 millions de manifestants dont le président Hollande. Mais après avoir brièvement défilé pour la liberté d’expression, ce bon M. Al-Madani est rentré dans son pays où, là, la notion de liberté d’expression doit bien faire marrer tout le monde dans les palais princiers.
Une douzaine de jours plus tard c’était notre président de la République qui se rendait en Arabie saoudite. Il se devait en effet, à l’instar de la plupart des hauts responsables occidentaux, d’aller présenter ses condoléances au nouveau souverain, Salmane ben Abdelaziz, qui venait de succéder à son demi-frère Abdallah décédé quelques jours plus tôt. Après les représentants des dictatures venus rendre hommage à Paris aux défenseurs de la presse libre, les autorités des pays démocratiques s’en sont allées à Riyad faire des politesses au nouvel autocrate. Lequel a également accueilli quelques autres chics types de son acabit islamiste, comme le président turc Erdogan ou son homologue soudanais Omar el-Béchir (lequel, soit dit en passant, est en principe recherché par toutes les polices du monde censées l’amener devant la Cour pénale internationale qui l’a inculpé de crimes de génocide et crimes contre l’humanité commis au Darfour – des broutilles, quoi…). Mais revenons à la visite rendue par François Hollande à la noble dynastie des al-Saoud qui, solidement assise sur ses gigantesques réserves pétrolières, règne d’une main de fer et applique férocement la charia. On n’allait quand même pas embêter le roi et la ribambelle de princes avec des histoires de droits de l’homme. Du moins pas en public. Mais, sait-on jamais, François Hollande a peut-être profité de son voyage pour toucher deux mots à l’oreille de Salmane du cas de Raïf Badawi. C’est du moins ce qu’on laisse vaguement (très vaguement, il est vrai) entendre du côté du Quai d’Orsay. On peut d’ailleurs à la limite comprendre que les usages déconseillent de débarquer dans un pays et de faire des reproches publics au gouvernement hôte. Et puis l’Arabie saoudite fait partie de la coalition internationale contre l’Etat islamique, ce n’est donc pas le moment de la froisser quand on est sur son sol.
Mais quand on est en France, quand on affirme fermement sous les ors de la République l’universalité des droits de l’homme, est-ce qu’on ne peut pas dire un peu quand même, avec toutes les précautions diplomatiques d’usage, que l’Arabie saoudite devrait annuler la condamnation de Raïf Badawi à la flagellation et le libérer de prison ? Tiens, par exemple, est-ce que la France ne pourrait pas faire un petit signe en invitant officiellement sa femme, Ensaf Haidar, réfugiée au Canada avec leurs jeunes enfants ? C’est justement cette suggestion que Waleed al-Husseini et moi-même sommes allés soumettre à Madame l’ambassadrice des droits de l’homme, certains qu’une suite favorable y serait donnée. Eh bien pas du tout. A notre grande stupeur, notre interlocutrice nous a indiqué que, renseignement pris, en haut lieu on n’était pas d’accord avec notre idée. Non, la France ne voulait pas inviter l’épouse du blogueur libéral condamné pour « insulte à l’islam » à 1000 coups de fouet et 10 ans de prison. Ce n’était pas le bon moment, il fallait attendre de voir si le nouveau roi n’allait pas favoriser un chouïa d’ouverture. Bref, on vous comprend les gars, mais c’est non. « Nous sommes Charlie », disiez-vous ?
La France est Charlie, mais pas Raïf Badawi
par Bernard Schalscha
9 février 2015
Le gouvernement refuse d’inviter officiellement la femme du blogueur libéral saoudien condamné à 1000 coups de fouets pour « insulte à l’islam ».
Et bien, si je peux ajouter un mot, vous avez bien résumé les choses à un mot prêt.
Depuis 30 ans, les USA encouragent la dynastie en Arabie Souadite parce qu’elle vas dans leur sens. Après, quelques européens ont crû au scénario de l’invasion.
Et il es facile de montrer une grosse puissance militaire, on voit le résultat qui n’est pas positif aujourd’ui.
Le koweit est vaguement possession d’un pays, l’irak est pire, et l’afghanistan n’a j’amais produit autant d’héroine que maintenant,
François
Bonjour,
Bravo. Je viens d’apprendre incidemment le calvaire de cet homme en écoutant une ancienne chronique de Sophie Aram sur France Inter.
Il faut se servir de l’émotion Charlie et écrire nous sommes Raïf.
Dès demain je mets un panneau là où je travaille.
Prévenez aussi Sara Forestier et ses petites humiliations…
JML
Nous avons, hélas, le même problème au Canada. «De tout coeur avec la famille», «préoccupés par la flagellation». On a certes acceptés la famille de Badawi comme réfugiés mais, au-delà, on ne peut rien faire… Complicité tacite alors que nous sommes au coeur même de la lutte anti-terroriste : la promotion de valeurs positives.
http://www.ledevoir.com/international/actualites-internationales/430764/tous-raif-mais-pas-tous-badawi