À peine trois semaines après l’adoption par le Conseil de sécurité de l’ONU d’une quatrième salve de sanctions contre l’Iran au sujet de son programme nucléaire, deux semaines après la décision de sanctions unilatérales européennes et américaines, et alors que les dissensions à l’intérieur même du pouvoir iranien se font chaque jour de plus en plus profondes, le président iranien Mahmoud Ahmadinejad s’est adonné, lundi 28 juin, à un exercice dans lequel il excelle. Un jeu de questions réponses sans tabou face à la presse iranienne, mais aussi internationale. Comme quoi, à l’inverse d’autres pays du Golfe, on peut poser des questions dérangeantes en République islamique (sauf si on s’appelle Laurence Ferrari). Par contre, les réponses apportées ont le don d’inquiéter. Pas qu’elles soient menaçantes. Mais à l’image d’un Raymond Domenech en France, le président iranien aime à botter en touche, ridiculiser niaisement son auditoire, et frappe par son amateurisme. Lisez plutôt. On a eu affaire à un grand moment de télévision…

Ahmadinejad : « Ceci est quelque chose de relativement normal en Iran. L’Iran est une société pleine d’effort, d’euphorie et de dialogue. (Sourire forcé d’Ahmadinejad). La véritable liberté se trouve en Iran (Les 800 prisonniers politiques toujours derrière des barreaux apprécieront). Je suis à la recherche d’une question qui ne soit pas déjà posée ».

Un courageux journaliste : « M. Hashémi Rafsandjani (un des piliers du Régime considéré comme un modéré) a annoncé qu’il était prêt à quitter le pouvoir. En connaissant les divergences qui vous séparent, j’aurais souhaité avoir votre avis clair et rapide à ce sujet, et savoir si vous soutenez le départ de M. Rafsandjani de son poste d’Etat ou non? ».

Ahmadinejad : « Merci beaucoup (large sourire). Question suivante. » (Le journaliste rouspète). Ahmadinejad répond, tout sourire : « Mais je vous ai répondu. Je vous ai remercié ».

Nouveau journaliste : « Lors de la dernière interview télévisée que vous avez donnée, vous avez critiqué certains comportements dans la société au sujet du respect du voile. (Ahmadinejad s’est posé en défenseur des jeunes iraniens harcelés dans la rue par les troupes de la morale pour leur accoutrement, alors que c’est lui qui en est à l’origine). Malgré ceci, les chefs des forces de sécurité ont annoncé que c’était sur votre ordre qu’elles commettaient de tels actes. D’autre part, certains membres du Clergé ont critiqué ces comportements et prises de position (notamment l’Ayatollah conservateur Ahmad Janati). Je souhaitais donc connaître votre avis clair, ainsi que celui du gouvernement, au sujet de ce genre de comportements dans la société ».

Ahmadinejad (l’air étonné) : « Merci beaucoup. Je n’ai pas entendu que les forces de l’ordre aient annoncé que nous avons commis ceci sous les ordres du président de la République ».

L’intrépide journaliste reprend de plus belle : « Elles ont affirmé que c’était avec votre accord. Tout à fait ».

Ahmadinejad, qui sourit beaucoup moins : « Où l’ont-elles affirmé? »

Réponse du journaliste : « Dans plusieurs interviews qu’elles ont accordés ».

Ahmadinejad, qui sourit à nouveau : « Très bien, je n’ai pas entendu de telles choses. Mon avis est le même que celui annoncé à la télévision, et je vais le répéter. Mon avis est très clair. Les questions de culture réclament des réponses culturelles. Les groupes organisés qui prennent des mesures destructrices (les jeunes) doivent être confrontés à des réponses de la part des forces de renseignements et légales. C’est évident… personne ne doit commettre d’actions illégales ».

Nouveau journaliste : « Le congrès américain vient d’approuver des sanctions unilatérales pour pénaliser les importations d’essence en direction de l’Iran (point important, malgré les deuxièmes réserves de pétrole au monde, la République islamique est obligée d’importer la moitié de l’essence qu’elle consomme, parce qu’elle n’a tout simplement pas assez d’usines de raffinage, la faute à une industrie vétuste, à l’embargo américain, et à une gestion catastrophique).

Toujours le journaliste : « Je souhaitais vous demander, en tant que président de la République du peuple d’Iran, qu’allez vous entreprendre pour que ces sanctions n’aient pas d’effet. Êtes-vous en mesure de définir une date précise pour que l’Iran soit indépendant en matière de production de sa propre essence ? »

Ahmadinejad semble, une fois n’est pas coutume, agacé : « Merci beaucoup. J’ai déjà répondu à cette question. Je pense que cette réponse suffit ».

Le journaliste insiste : « Lors de cette réponse, vous n’avez pas évoqué de date précise ».

Ahmadinejad : « Si si, je l’ai annoncé à ce moment. J’ai annoncé qu’en une semaine, nous arriverons à être indépendants en matière de production. Il n’y a aucun problème ». (Une semaine pour être indépendant, alors que cela fait trente ans que la République islamique n’est pas en mesure de produire plus de la moitié de l’essence qu’elle consomme ? Intéressant…).

Nouvelle question, d’un journaliste saoudien (voilà pour les confrères internationaux) : « Comment évaluez-vous les récentes positions du Roi d’Arabie Saoudite selon lesquelles il est nécessaire de porter un coup militaire à l’Iran. Maintenant ce coup peut être porté par les Américains ou d’autres pays. Ces positions saoudiennes suivent-elles les récents échecs américains au sujet de l’Iran ? Ou alors sont-elles le terrain d’un début d’amélioration des relations entre l’Arabie Saoudite et l’Iran ? Surtout que ces derniers temps, nous avons été témoins de plusieurs crises entre ces deux pays ».

Ahmadinejad ne sourit plus, et pour la première fois, hésite : « Tout à fait. Le roi d’Arabie Saoudite a annoncé qu’il n’y avait PAS besoin d’un coup militaire en direction de l’Iran ». (Ce n’est sûrement pas ce qu’il a annoncé. Ahmadinejad serait-il victime de « Domenechia », syndrome aigu développé depuis 2004 ?).

Mais Ahmadinejad est plus intelligent que notre cher Raymond. Voici venu le temps des leçons, dans son plus pur style populiste : « Vous avez délivré une résolution pour, selon vous, reprendre la main. Nous, nous appelons cela un manque d’éducation ». Et il annonce fièrement, en remuant la tête sur le côté, tel un enfant de maternelle qui boude et n’en fait qu’à sa tête : « Comme vous avez manqué de moralité, tout d’abord, nous avons décidé de repousser les négociations. Les négociations ? Elles reprendront à la mi-août. Peut être à partir de la moitié du mois sacré de Ramadan. Ceci est l’amende pour qu’ils soient à mon avis désormais un peu plus éduqués, afin qu’ils apprennent la tradition du dialogue avec les peuples ».

Puis Ahmadinejad va sortir sa botte secrète, dont il abuse à foison depuis maintenant 5 ans pour détourner l’attention de sa gestion catastrophique du pays, de la crise internationale qu’il a provoquée, et de la violation au quotidien des droits de l’homme en Iran. Et devinez qui est visé…

« Et puis ensuite, il faut qu’ils expriment clairement certains points au peuple. Eux veulent dialoguer avec nous, très bien. Nous, nous souhaitons qu’ils expriment leur avis au sujet d’une série de choses. Tout d’abord qu’ils donnent leur avis sur la bombe atomique du Régime sioniste. Tous ceux qui souhaitent dialoguer avec nous, nous disent s’ils sont pour ou contre cette bombe ? Nous, nous réglerons nos négociations sur leur avis sur cette question. De toute façon, nous négocierons d’une certaine manière avec ceux qui sont d’accord et soutiennent les bombes du Régime sioniste. Et d’une autre manière avec ceux qui y sont opposés.

Deuxièmement, ils doivent nous annoncer, s’ils veulent respecter les termes du Traité de Non Prolifération nucléaire ou non. Il y a eu des réunions à ce sujet à New York, qui ont fait du bruit, après des années d’efforts, où les dispositions de ce traité ont été achevées, et réformées, en tant que loi mondiale. Ceux qui veulent négocier avec nous, doivent clairement annoncer, souhaitent-ils respecter ce traité international ou non ? Nous négocierons d’une certaine manière avec ceux qui veulent le respecter. Et d’une autre avec ceux qui refusent. (Il est vrai qu’à la différence d’Israël, de l’Inde et du Pakistan, voisins régionaux de l’Iran, qui possèdent l’arme atomique, l’Iran est signataire du Traité de non prolifération nucléaire (TNP) et même de son protocole additionnel, qui permet des inspections inopinées sur les sites nucléaires iraniens des agents de l’Agence internationale de l’énergie atomique. Et même si cette agence émet des doutes sur la nature purement pacifique du programme iranien, elle n’a pas pu fermement prouver jusqu’ici quoi que ce soit. Il existe donc un certain « deux poids deux mesures » de la communauté internationale au sujet du droit nucléaire dans la région, dont profite les dirigeants de la République islamique).

Ahmadinejad : « Le troisième point est que ceux qui veulent dialoguer avec nous, doivent nous annoncer ce qu’ils veulent dire par « dialogue ». Souhaitent-ils, à travers ce dialogue, tisser des liens d’amitié avec nous, ou être nos ennemis ? On dialoguera d’une certaine manière avec ceux qui souhaitent demeurer nos amis, et d’une autre avec ceux qui souhaitent être nos ennemis. Il faut qu’ils l’annoncent clairement. Nous sommes prêts à partir de la moitié du mois de Ramadan, et après qu’ils aient donné leur avis, nous dialoguerons ».

Cela fait cinq années qu’Ahmadinejad souffle le chaud et le froid sur le nucléaire iranien et nargue le monde entier, en annonçant successivement qu’il est prêt à dialoguer, avant de reculer et de provoquer (comme aujourd’hui), gagnant du temps, trahissant les profondes divisions régnant dans le pouvoir iranien au sujet du dossier nucléaire iranien (entre Ahmadinejad et le Guide suprême iranien par exemple, qui n’est prêt à aucune concession), et entamant la confiance de la communauté internationale.

Une chose est sûre, ce discours présidentiel et la pauvreté des arguments apportés en réponse, trahissent l’embarras du pouvoir iranien suite à la décision occidentale de stopper les livraisons d’essence à l’Iran, comme Total l’a accepté cette semaine, et pourrait le forcer très rapidement à revenir à la table des négociations. Pour reculer de plus belle en septembre ?