Très récemment, un jury de journalistes politiques a remis un prix à Steeve Briois, le maire (FN) d’Hénin-Beaumont, le prix du meilleur élu local. Or, on a accusé (et jusque dans ces colonnes) ces journalistes d’être des mondains sans idéologie, se vautrant dans la république du buzz avec un relativisme champagne, pour faire reluire un travail quotidien consistant, essentiellement, à savoir si François Hollande aime plus Manuel Valls que Bernard Cazeneuve, ou lequel des trois est meilleur au tennis. Remettre un prix au FN ! Toutes les belles âmes se sont moquées. Les voilà aujourd’hui, ces bien-pensants, ridiculisés.
Car Steeve Briois est un visionnaire. Avec plus de modestie qu’on ne le dit, plus de douceur aimable et gentille qu’on ne le pense, cet homme résout (enfin!) les grands maux dont souffrent les Français. Parmi ces méfaits innombrables qui polluent la vie de nos compatriotes inquiets et agacés, parmi ces problèmes dont on ne sait rien au café de Flore, se trouve, avec le chômage, les impôts, la neige en hiver et les chaussettes dépareillées, le vol. Les cambriolages, les larcins, le fric-frac, la rapine, le pillage, voilà, en effet, de quoi ne plus faire dormir les Français sur leurs deux oreilles. Et, parmi eux, les habitants d’Hénin-Beaumont, qui s’en sont alors ouverts (sans savoir, probablement, vers quels montagnes merveilleuses de sucre et de miel ils marchaient ainsi) à leur maire. Alors, tel le grand savant Archimède sollicité par les habitants de Syracuse, qui, assiégés dans leur cité en flammes, avaient demandé son aide, lequel Archimède, avec générosité et génie, trouva une solution pour repousser les Romains, inventant ces grands miroirs ardents, énormes, capables de refléter le soleil et de brûler les vaisseaux de Marcellus et sauver la Sicile, Steeve Briois se retira quelques instants, et faisant preuve d’une mécanique intellectuelle stupéfiante, imagina à son tour une solution, d’une technique que chaque homme honnête reconnaîtra
comme admirable. Steeve Briois, ainsi que le raconte La Voix du Nord, a imaginé de poser un mur, un mur épais, renforcé, avec des barrières et des moellons, un mur que l’on appelle de gabions, et dont je vous joins ici une reproduction. Comme toutes les grandes inventions (la poulie, la roue, l’ouvre-boîte), le mur de Briois repose sur un principe simple, lumineux. Dans les détails, évidemment, c’est un raffinement complexe de procédés ténébreux, mais faisons ici un petit effort de vulgarisation. Ce mur (je simplifie) permet de fermer la rue. Sans rentrer dans les détails, disons que schématiquement (qu’on me pardonne), il clôt. Etant purement un littéraire, je vous traduis un peu rustiquement, mais enfin, le mur permet d’empêcher aux cambrioleurs de rentrer dans la rue (je vais à la hache et à la serpette dans cette jungle sophistiquée, mais j’espère être clair). Comme le dit un riverain cité par La Voix du Nord : « Les élus ont fait signer une pétition pour savoir si oui ou non nous voulions la mise en place de ce mur dans la rue Téodorowicz. Et le oui l’a largement emporté. Pour réduire les vols mais aussi la circulation : notre rue était devenue un passage vers le centre commercial, là, ça va être plus calme. »
Prenons, pour la clarté totale et lumineuse de notre exposé, un exemple. Soit (j’utilise un jargon scientifique, mais ne vous effrayez pas. Je vais être précis et pédagogique. La Règle du Jeu n’a-t-elle pas, dans son nom même, une vocation de mode d’emploi?) soit un cambrioleur. Il est minuit, l’heure du crime (mais le mur – merveille de la technique ! – fonctionne, sans qu’il soit besoin de l’alimenter en énergie, vingt quatre heures sur vingt quatre, hé hé), ce malfaisant personnage, moustachu, il a une pince-monseigneur, un fer à souder, et un bas de contention pour déformer son visage, ce cambrioleur (comme tant d’autres, hélas!) rôde dans les rues d’Hénin-Beaumont. Imprévoyant, seulement appâté par le lucre et la soif vicieuse du vol, il vadrouille, passe la poste, l’épicerie, il est confiant et vaniteux, il se retrouve (le malheureux, il serait presque touchant) aux abords de la rue en question. Alors, naïf et ridicule, il s’élance, cet Arsène Lupin pathétique, et là, que voit-il ? Haut de cent vingt centimètres, large, robuste, inviolable comme l’enceinte de Fort-Knox, le mur l’arrête. Sa simple vue le foudroie. Dommage pour toi, Mandrin de bas étage ! Tu es venu trop tard, monte-en-l’air de rez-de-chaussée ! Ce mur est l’auguste rempart entre le mouton innocent de la justice et le grand loup hideux du crime ! Ô criminels impunis, tremblez ! Ô temps, ô murs ! Jusqu’à quand abuserez-vous de notre patience ?
Bien sûr, cette invention salutaire pour le bien public et national ne manquera pas d’être améliorée, complétée, rénovée. Chaque invention a ses continuateurs, et après un Benjamin Franklin vient un Edison. Car imaginons (hypothèse de travail) qu’un cambrioleur, ceteris paribus, parvienne à franchir le mur (je dis bien : imaginons. On doit pousser la réalité jusqu’aux limites évidentes de la vraisemblance). Imaginons qu’il passe, qu’il s’introduise chez un paisible habitant d’Hénin-Beaumont, et ressorte, mauvais et sournois, la besace remplie de chandeliers et d’argenterie. Ne faudrait-il pas, si je peux me permettre d’adresser, mais dans un esprit constructif et admiratif, des suggestions à M. Briois, ne faudrait-il pas construire, non pas à l’autre bout de la rue, mais juste à côté du premier, un second mur, pour, en cas d’intrusion, éviter les sorties ? Un mur tourné, si je puis dire, vers l’intérieur ? Un deuxième mur, défensif, qui empêcherait le cambrioleur de retrouver l’anonymat laxiste de l’autre côté, le bloquant à jamais dans cette impasse promise par son invention à une renommée mondiale ? Ce serait un mur qui, également, préviendrait le cas (improbable, mais nous faisons de la science) où un habitant de la rue (perversité théoriquement possible) serait lui-même un cambrioleur. Avec l’actuel mur, tourné vers la ville, le voilà libre comme l’air, c’est un loup dans l’enclos des pures brebis. Mais un autre mur, à côté du premier mur, l’empêcherait tout à fait.
Vous me direz : même avec un système ingénieux, léonard-de-vinciesque, constitué de deux murs l’un offensif et l’autre défensif, le cambrioleur pourrait aussi marcher, et s’en aller par l’autre bout de la rue. Lecteurs malicieux ! Vous touchez là un point délicat. Enfin, c’est ce que vous croyez. Car le mur de Briois possède la particularité admirable que l’on y est toujours enfermé d’un côté. C’est mathématique. Même passé par dessus, le cambrioleur sera forcément forclos dans la moitié pénétrée. Il suffira alors à nos braves forces de l’ordre de fouiller l’une des deux moitiés, mettons celle avant le mur et non après, et, par déduction, connaître à quel endroit, stupide et hébété, il se trouve coincé. Merveille de la science ! Je proposerai bientôt à la rédaction de La Règle du Jeu un dossier théorique, voire un séminaire, avec des schémas et des reproductions au trentième du mur de Briois, ainsi que des inévitables controverses théoriques que le mur de Briois soulève (je pense notamment à la controverse dite du chat de Schrödinger-Briois, où comme dans le célèbre cas théorique de la physique quantique, on introduit un chat et une capsule de cyanure dans une boîte, mais à présent d’un côté ou de l’autre d’un mur de Briois. Que se passe-t-il après un temps X ? Les résultats sont passionnants).
Alors, rendons hommage à M. Briois. Cet admirable élu local ose enfin s’attaquer aux problèmes des Français. Il extirpe, de sa faux salvatrice et dorée, la racine du malheur humain ; tel le paysan plantant sa graine d’espérance sur le sol harassé et infertile, il augure pour les enfants de demain, un futur réparé dans lequel la luxure et le malheur n’auront plus leur place. Ce héros vivant, dont l’allure modeste et robuste rappelle Cincinnatus et Gandhi (je veux dire : un Gandhi qui aurait le costume fringuant d’un concessionnaire Nissan, sans la toge et ces vestiges un peu immodestes et grandiloquents de misère), cet homme, Steeve Briois se place dans la longue chaîne des combattants aux proportions de l’immortalité, ces vastes artisans de la lutte des hommes contre leur finitude qui est leur horizon en même temps que leur malédiction. Ode à Steeve Briois ! Si il était encore vivant et s’il avait été raciste, Paul Eluard aurait écrit : « Car la vie et les hommes ont élu Briois/ Pour figurer sur la terre leurs espoirs sans bornes ». Sans bornes, mais avec des murs.
Merci d’avoir fait le point sur cette mesure risible.