Aujourd’hui en salles.
Xavier Dolan est un prodige. A seulement 25 ans, il a prouvé dans chacun de ses cinq longs-métrages la hauteur de son talent. Le jeune Québécois, boulimique de cinéma, s’imprègne de ses prédécesseurs dont il a tout compris et nourrit ses œuvres de références intelligentes. Cependant, à raison d’un film par an, nous pouvions craindre le surrégime, et, avec une esthétique si marquée, redouter la surenchère. Après son dernier film, Tom à la ferme, un thriller qui détonne dans sa filmographie, nous attendions avec impatience de visionner ce nouvel opus, Mommy, en salles aujourd’hui, comme un véritable test. Nous aurions pu, également, frôler l’agacement, tant le long-métrage a fait l’objet d’un véritable matraquage publicitaire par son distributeur MK2, soutien de la première heure du jeune Xavier Dolan, à grand renfort d’affiches placardées dans Paris. Après une avant-première en présence de l’équipe du film le 31 septembre, Mommy était projeté à nouveau en avant-première lundi au cinéma MK2 Bibliothèque, puis dans toutes les salles MK2 hier, avant sa sortie officielle aujourd’hui. Dans sa stratégie marketing, le distributeur va même jusqu’au produit dérivé : pour la somme de 30 euros, vous pouvez vous procurer une réplique du collier « Mommy » que l’actrice principale porte dans le film. Le réalisateur a également bénéficié d’une couverture médiatique bien plus étendue que pour ses précédents longs-métrages : des unes de la presse (Libération, notamment, le consacre « arme de séduction massive » en une de son édition du mardi 7 octobre), aux nombreuses interviews, durant lesquelles il s’est par ailleurs indigné de la Manif pour tous qui a eu lieu ce week-end.
A l’évidence, l’épreuve est passée haut la main, et les critiques ne peuvent être plus dithyrambiques. Avec Mommy, le cinéma de Xavier Dolan atteint en effet un équilibre parfait et démontre une grande maturité.
Le film se penche sur le retour d’un enfant violent chez sa mère, veuve, après avoir été expulsé d’un établissement spécialisé. Tandis que Die et Steve tentent de s’apprivoiser l’un l’autre, entre coups d’éclat et difficultés financières, ils vont progressivement se rapprocher de leur voisine, Kyla, une mère de famille tranquille, en congé sabbatique en raison de récents problèmes d’élocution.

Xavier Dolan lors de la remise du Prix du Jury à Cannes en 2014.
Xavier Dolan lors de la remise du Prix du Jury à Cannes en 2014.

Des rapprochements entre Mommy et J’ai tué ma mère, son premier film, ont été bâtis très tôt par la presse, mais Xavier Dolan les réfute en bloc, établissant plutôt une évolution entre les deux : « A l’époque de J’ai tué ma mère, j’ai voulu, je pense, punir ma mère. Seulement cinq ans ont passé depuis, mais je crois bien qu’aujourd’hui, à travers Mommy, j’essaie maintenant de la venger. Allez comprendre. »
Cette histoire déchirante autour de personnages au bord du gouffre est portée par un trio de comédiens superbes. Die, la mère, interprétée tambour battant par Anne Dorval, est une de femme forte, qui ravale littéralement ses larmes et sait prendre les choses en main, malgré l’intensité de la pression qui la submerge. Face à elle, Suzanne Clément, qui joue la voisine, récompensée par le Prix d’interprétation féminine d’Un Certain Regard en 2012, livre ici une prestation moins spectaculaire que dans Laurence Anyways (qui lui a valu sa récompense cannoise), mais incarne avec justesse un personnage dont la parole bute. La révélation de ce film est, bien sûr, Antoine Olivier Pilon, qui interprète Steve, l’adolescent atteint de TDAH (Trouble Déficit de l’Attention Hyperactivité), alternant des moments d’énergie brute et d’émotion troublante.
Xavier Dolan excelle dans les dialogues, ce film en est une nouvelle fois la preuve. Montés d’un cran dans le joual (dialecte québécois), rendant nécessaire la présence de sous-titres tout au long du film, les échanges, nerveux, violents et parfois vulgaires, fusent à un rythme effréné.
Enfin, réputé pour ses bandes originales obsédantes et pointues, le réalisateur est allé puiser cette fois-ci dans un répertoire plus adolescent des années 1990-début 2000 : Oasis, Dido, Eiffel 65, ou encore On ne change pas de Céline Dion, « trésor national », au titre évocateur.
Le jeune surdoué, au tempérament un brin orgueilleux, avait à plusieurs reprises fait savoir son étonnement de ne pas être en sélection officielle du Festival de Cannes ces dernières années, malgré de nombreuses autres sélections cannoises : J’ai tué ma mère à la Quinzaine des réalisateurs en 2009, Les amours imaginaires dans la section « Un certain regard » en 2010, tout comme Laurence Anyways en 2012. Cette année, le mal est réparé, puisque le film a obtenu le Prix du Jury ex-aequo avec Jean-Luc Godard.
Révélé au grand public avec Mommy par une couverture médiatique à laquelle vous n’avez pu échapper, Xavier Dolan n’a pas attendu pour s’envoyer des fleurs, mais mérite amplement ses lauriers.
Mommy, de Xavier Dolan. Avec Anne Dorval, Suzanne Clément, Antoine-Olivier Pilon. 2h15. En salles le mercredi 8 octobre 2014.

 

mommy-affiche