Adieu au langage. Jean-Luc Godard. 3D.

Ces trois informations liminaires suffisent à vous plonger dans un état de stupéfaction, voire d’inquiétude, et soulève de vastes interrogations… Ce projet, dont la bande-annonce est disponible depuis 2013, a enfin été projeté, en sélection officielle de la 67e édition du Festival de Cannes, quatre ans après Film Socialisme (autre ovni de JLG) dans la catégorie « Un certain regard ».

Lunettes 3D chaussées, il est temps de visionner le nouvel objet artistique d’une heure dix que nous offre l’ermite de Rolle : collage d’images de qualité variable, son saturé, couleurs trafiquées, le tout entrecoupé de titres de chapitres qui se répètent. Avec son esthétique brutale, ce film pour le moins désarçonnant met donc nos sens à rude épreuve. Si bien que, lorsque des téléphones sonnent dans la salle, on croit, l’espace d’un instant, que cela fait partie du film.

L’effet de profondeur qui caractérise la 3D est davantage utilisé pour superposer des mots et jouer avec eux (AH et DIEUX, ou encore OH et LANGAGE). Godard aime explorer les nouvelles technologies et il fait avec malice un pied-de-nez au cinéma avec l’utilisation de ce procédé jusque-là largement réservé aux blockbusters. L’inventivité du maître ne s’est pas éteinte, en témoigne notamment une jolie trouvaille visuelle, applaudie par le public : tandis que la 3D fonctionne habituellement avec le dédoublement d’une même image dont les deux versions se fondent grâce aux lunettes (pour simplifier), Godard, lui, a superposé deux plans différents (l’un avec le personnage féminin et l’autre avec le personnage masculin), ce qui a pour conséquence de sacrément perturber votre œil et créer un effet de trouble ophtalmique sévère… Il était cependant amusant de choisir de regarder un plan ou l’autre, selon que l’on ferme l’œil droit ou l’œil gauche.

Quant au propos, le film nous inonde de citations et autres aphorismes obscurs, sans grande cohérence les uns avec les autres. Les dialogues sont difficilement compréhensibles. Ça tombe bien : on nous l’avait annoncé dans le titre ! Godard représente un monde devenu inintelligible, dans lequel le chien, posé en guide, est le seul être capable de saisir ce qui se passe.

Bref, dans cette œuvre qui pourrait naturellement trouver sa place dans un musée d’art contemporain, il n’y a finalement pas grand chose à comprendre, et tenter d’y déceler une quelconque logique serait une entreprise vaine et perdue d’avance.

Malgré les apparences pompeuses du discours, plus rien ne semble avoir d’importance dans ce monde où, bientôt, « on aura tous besoin d’interprètes, ne serait-ce que pour se comprendre soi-même ». Les théories philosophiques développées, appuyées par des images sans rapport, sont si absconses que l’on croit y déceler un certain second degré. L’intellectualité hyper-poussée est donc aussitôt désamorcée par l’autodérision, comme le formule l’un des « personnages », mimant le Penseur de Rodin sur ses toilettes : « la pensée trouve sa place dans le caca ». Tout est dit, à grands renforts de bruitages (fait notable : on assiste là à la deuxième occurrence de bruits de pets dans la sélection officielle cannoise cette année).

Alors que le synopsis rédigé par le réalisateur s’ouvre ironiquement sur : « Le propos est simple », il serait absurde de vouloir proposer une analyse du message délivré. Les insultes et autres indignations que l’on a déjà pu lire dans la presse sont donc peu pertinentes ici. Face à l’incompréhension générale, la salle préfèrera rire avec jubilation.

Dans ce fatras inexplicable, une chose est sûre : le film va créer la polémique.

Adieu au langage, de Jean-Luc Godard. Avec Héloïse Godet, Zoé Bruneau, Kamel Abdelli. 1h10. En salles le 21 mai.