Au milieu des années 1970, désireux de convertir leur public au football, les rois de l’Entertainment made in USA tentèrent tout pour attirer les meilleurs joueurs de football sur le sol américain. En un temps record, une ligue va se monter, des équipes vont se créer. Pour la première fois, le soccer, comme on le surnomme outre-Atlantique, va être diffusé sur les grandes chaînes nationales, touchant ainsi des dizaines de millions d’Américains intrigués par ce spectacle venu d’Europe. Loin de l’aseptisation du football actuel, ces idoles d’hier portaient des pantalons pattes d’eph’ et s’encanaillaient avec les stars du rock de l’époque dans la moiteur des vestiaires de stades hors-normes. Ils s’appellent Best, Pelé, Neeskens, Chinaglia et Beckenbauer et furent des conquistadors modernes en mission d’évangélisation footballistique. Infiniment plus que la seule perspective de remplir leurs comptes en banque, c’est en effet un idéal que ces légendes d’hier étaient venues trouver outre-Atlantique : l’American way of life, les rock and roll years et la démesure. Face à l’hégémonie des sports U.S. traditionnels (baseball, football américain, basket et hockey), une terre quasi vierge de football restait à conquérir. Un sacerdoce que seule une franchise comme les New York Cosmos était à même de remplir. Entre football champagne et folles nuits au Studio 54, chroniques des meilleures années du football new yorkais !
L’amateurisme des débuts
Trois fous « épris d’un jeu joué par les « cocos » et les fées en culottes courtes! ». C’est ainsi que l’on moque Nesuhi Ertegun, Steve Ross et Ahmet Ertegun – puissant trio à la tête de la Warner – lorsqu’ils décident, en 1971, de doter la ville de New York d’un club de football de premier plan. Alléchés par la création récente de la North American Soccer League (NASL), les trois hommes vont alors monter un club de football de toutes pièces. Les débuts seront modestes. Sans stade fixe, le club est nomade et son effectif se compose d’un sympathique et cosmopolite assemblage de bras cassés : des immigrés irlandais, italiens et latinos sont bientôt rejoins par une poignée d’ouvriers ; ils forment l’essentiel d’un effectif bientôt complété par des étudiants et quelques chômeurs tuant le temps. A cette époque, le fantastique outil de communication que deviendra plus tard le New York Cosmos n’a pas encore de nom déposé. Tandis que les frères Ertegun veulent imposer l’appellation «New York Blues», des voix dissonantes proposent le surnom de Cosmopolitans, plus proche de l’identité plurielle du jeune club sportif. Pour mettre un terme à la discorde, Clive Toye, son manager, organise un concours visant à nommer la franchise new-yorkaise. Dans son édition du 2 mai 1971, le New York Times passe une discrète brève annonçant qu’ « avec 3000 votes à son actif, c’est finalement le nom de Cosmos qui a été choisi pour nommer le club de football new-yorkais intégrant la NASL ». L’histoire est en marche. Bien avant d’empiler les noms prestigieux, l’équipe dirigeante commence par construire les fondations d’un club pour lequel ils ont une ambition débordante. La première recrue du club, l’anglais Gordon Bradley, est ainsi un milieu travailleur ayant mouillé le maillot dans les ligues inférieures de son pays natal. Fait plutôt rare et tout à fait caractéristique de l’esprit régnant alors aux Cosmos, il sera embauché en tant qu’entraîneur-joueur, un double poste difficile à tenir qu’il occupera pourtant jusqu’en 1975. Au cours de l’année 1971, celle de leur première participation à la NASL, les Cosmos joueront dans l’enceinte du mythique Yankee Stadium, devant 4517 spectateurs de moyenne. Si l’heure n’est pas encore aux fortes affluences, le club continue de se structurer. Et très vite, les résultats sont au rendez-vous. En 1972, grâce à Randy Horton, un formidable goleador à la coupe afro en provenance des Bermudes, le club de la Big Apple emporte son premier titre national. En 1973, il brille à nouveau et atteint les demi-finales de la ligue. Beaucoup de changements ont lieu au cours de ces premières années de participation à la NASL. Les Cosmos emménagent ainsi au Hofstra Stadium et passent de la Northern à la Eastern Division. La ligue, elle, ne cesse d’évoluer. Des clubs apparaissent et disparaissent chaque année, le calendrier est incertain. La franchise des Washington Darts, jouant contre toute attente en Southern League (Ligue des clubs du Sud), devient subitement les Miami Gatos. L’année suivante les Gatos deviennent les Toros et la franchise de Kansas City disparaît. Les clubs de Philadelphie, Montréal et Toronto font quant à eux leurs débuts en NASL. Les années suivantes seront moins glorieuses. Alors que les franchises adverses se renforcent et se professionnalisent, les Cosmos stagnent. Les affluences déjà faibles pâtissent du manque de spectacle offert par les joueurs new-yorkais et la concurrence des autres sports. Des Giants aux Mets en passant par les Knicks, à New York, ce ne sont pas moins de huit franchises qui se partagent les faveurs du public. Pour remédier à la situation, Steve Ross et les dirigeants de la Warner vont alors décider de frapper un grand coup. Les américains veulent du spectacle ? Le Cosmos va leur en donner en se mettant en tête de recruter le meilleur joueur de la planète : Pelé !
Avec l’arrivée de Pelé, le Cosmos change d’ère
Au milieu des années 1970, la Warner décide donc de mettre sa toute puissance au service des Cosmos. Les petits investisseurs initiaux ont, entre temps, cédé la totalité de leurs parts au géant américain du divertissement. Désormais, l’objectif est clair : faire de New-York une place forte du football mondial, attirer les meilleurs joueurs, enthousiasmer les foules. Pour ce faire, Steve Ross et Clive Toye font de la star brésilienne Pelé un objectif primordial. Enrôler le génie auriverde n’est pourtant pas une mince affaire. Malgré sa retraite sportive, l’ancien joueur du Santos FC est depuis quelques mois convoité par le Real Madrid et la Juventus Turin. En proie à de lourdes difficultés financières, Pelé sait qu’il devra rapidement rechausser les crampons s’il veut se sortir de l’ornière. Commencent alors plusieurs rounds d’âpres négociations pour convaincre le triple champion du monde de rejoindre les Cosmos. Pour accélérer les tractations, la Warner envoie son avocat, Norman Samnick, au Brésil. Alors que Ross était prêt à lui offrir un contrat de 2 millions de dollars sur trois ans, Pelé demande 5 millions de dollars sur deux ans. Finalement, les deux parties trouvent un terrain d’entente. L’accord consistera en un contrat complexe, en cinq parties, d’une valeur totale d’environ 4,5 millions de dollars. Celui-ci comprend notamment un million de dollars pour trois années sous le maillot des Cosmos assorti d’un droit à l’image à hauteur d’un million de dollars sur dix ans. Mais ce qui est interpelle le petit monde du ballon rond est surtout le curieux contrat de « recording artist » que la Warner fait signer à Pelé, un dispositif servant surtout à éviter les impôts… Aussitôt le contrat paraphé par le Roi Pelé, l’euphorie règne parmi l’équipe dirigeante de la Warner. Mais des nuages noirs menacent à l’horizon. Considéré comme « trésor national » par le gouvernement brésilien qui refuse de le laisser partir vers les Etats-Unis, Pelé se retrouve bloqué dans son pays natal. Le transfert de l’attaquant revêt désormais une importance stratégique, diplomatique. Seul recours pour la Warner, faire appel au secrétaire d’Etat Henry Kissinger, féru de football, pour convaincre son homologue brésilien de « libérer » Pelé. La manœuvre fonctionne. Le 10 Juin 1975, Pelé donne une conférence de presse devant un impressionnant parterre de journalistes. L’attente est énorme. Il ne faudra pas décevoir.
Les « golden years »
Cinq jours à peine après la signature de son contrat, le Roi Pelé joue son premier match sous le maillot des Cosmos. Sa condition physique laisse à désirer, tout comme les infrastructures de son club. Qu’importe, 22000 heureux spectateurs surexcités se sont massés dans le Downing Stadium, une enceinte vétuste et sans eau courante de la petite Ile de Randalls. A l’extérieur, la sécurité est débordée. Plus de 30000 personnes ne disposant pas du précieux sésame tentent de resquiller dans l’espoir d’apercevoir quelques bribes de l’élégante foulée du plus grand des footballeurs. Diffusé par la chaîne CBS, l’évènement connaît alors une résonance planétaire. L’audience dépasse les 10 millions de spectateurs. Sur la pelouse, Pelé conquiert immédiatement le public U.S. par son style spectaculaire et ses dribbles chaloupés. Pour sa première sortie, l’attaquant brésilien est l’auteur d’une passe décisive venue d’ailleurs. Déjà décisif… D’anecdotique, le soccer va devenir, dans les années 1970, un sport majeur aux USA. Les stades vont se remplir et, suivant l’exemple du Cosmos, les autres franchises vont étoffer leurs effectifs à grands coups de dollars. A l’Ouest, les Los Angeles Aztecs cassent leur tirelire en s’attachant les services de deux magiciens : George Best et Johan Cruyff. Cette émulation plaît à Steve Ross qui change d’entraîneur et se remet en quête de nouvelles têtes. En 1976, le buteur italien Giorgio Chinaglia, quitte la Lazio de Rome pour rejoindre New York. Il y empilera les buts et gagnera une influence majeure au sein de la franchise new yorkaise. Jusqu’à orienter progressivement chacun des choix sportifs du Cosmos et à précipiter la chute du club. Une influence que d’autres recrues, à commencer par Franz Beckenbauer et Carlos Alberto ne comprendront jamais… Sur le terrain et en dehors, l’arrivée de ces galactiques d’un autre temps entraîne de drôles de situations. A l’entrainement, les joueurs locaux s’arrêtent souvent pour admirer la technique des superstars à même d’inverser, en un éclair, le cours d’une partie. En tribune, on croise le tout Hollywood: Mohammed Ali, Steven Spielberg, Bjorn Borg et Robert Redford se pressent pour poser avec les stars du ballon rond. Après le match, tout ce beau monde finit régulièrement au Studio 54 où les sportifs côtoient l’avant-garde artistique new-yorkaise. Comme prévu, le Cosmos brille sur le terrain. New York atteint régulièrement les playoffs et remporte trois fois le championnat (1977, 1978, 1980). Pourtant, à force de privilégier le divertissement à l’aspect sportif, la Warner va casser son jouet.
Chute puis espoirs de renaissance
En 1977, lorsque Pelé quitte le club, c’est le début de la fin pour les Cosmos et la NASL dans son ensemble. La chaîne NBC va décider de ne pas renouveler son contrat pour la diffusion des matchs et les salaires des superstars deviennent de fait trop lourds à supporter pour des franchises dont la gestion laisse à désirer. L’illusion va néanmoins durer un temps. Le Cosmos gagnera ainsi son ultime titre national en 1982 puis fera l’objet d’une tentative de rachat par le magnat australien Ruppert Murdoch. Puis arrive la chute, inéluctable. Lorsqu’en 1984, la NASL ferme ses portes, New York aligne son effectif au calendrier d’une ligue anecdotique de football en salle. Les stars ont déserté, la formidable histoire du Cosmos aura duré une décennie. On pense alors que le soccer n’arrivera plus jamais à conquérir l’Amérique. Pourtant, dix années plus tard, en 1994, les Etats-Unis obtiennent l’organisation de la Coupe du Monde. Dans la foulée, un championnat se recrée. La Major League Soccer succède à la NASL. Les erreurs du passé semblent hanter ses dirigeants. Une gestion stricte des clubs est imposée. Peu à peu, le football reprend vie outre-Atlantique. Les Etats-Unis vont devenir une terre d’exil pour joueurs de football en quête d’un dernier défi sportif avant la retraite de Youri Djorkaeff à David Beckham en passant par le défenseur italien Alessandro Nesta ou le buteur tricolore Thierry Henry. En 2014, New York renoue avec ses rêves de grandeur. Les Cosmos se recréent et le New York FC, à la fois lié aux propriétaires des Yankees et au club anglais de Manchester City, se lance avec la volonté de régner sur le football U.S. Le prolifique attaquant espagnol David Villa vient de rejoindre leurs rangs. De bon augure pour le développement du football au pays de l’Oncle Sam.