Ce soir, l’Iran affronte la Bosnie, après avoir livré une performance miraculeuse face aux puissants Argentins. Lors de l’un des matches les plus passionnants de cette Coupe du Monde, l’équipe des Lions de Perse n’ont accordé samedi dernier qu’une mince victoire (1-0) à l’équipe de Messi. Créant la surprise, l’équipe iranienne a été encensée dans la presse nationale. Elle doit encore remporter une victoire contre la Bosnie et compter sur une défaite du Nigéria pour se maintenir dans la compétition. Malheureusement, si les supporteurs pourront suivre ensemble le match, les supportrices, elles, seront tenues à l’écart des réjouissances et devront se contenter de regarder le match chez elles, étant toujours interdites d’accès aux stades et aux lieux de retransmissions. Selon les autorités, cette mesure évite que leurs délicates oreilles féminines ne soient heurtées par les pires insultes que puissent proférer les hommes, se muant en bêtes sauvages devant un match de foot…
Et selon le gouvernement iranien, le football n’est pas le seul sport susceptible de faire ressortir les pires instincts de ces messieurs. Le 15 juin dernier, la police religieuse a interdit aux femmes l’accès au stade Azadi à Téhéran, où avait lieu une rencontre de volley-ball, sport dans lequel l’Iran est classé douzième au niveau mondial. Cette interdiction arrive pourtant après que le pays se soit engagé auprès de la Fédération internationale de volley-ball, à permettre aux Iraniennes d’assister aux qualifications de la Ligue mondiale de volley. L’ancien président Mahmoud Ahmadinejad s’était lui-même déclaré favorable à la présence de femmes lors de matches joués par des hommes. Après avoir temporairement autorisé la présence de femmes sur les tribunes des rencontres de volley-ball il y a deux ans, le gouvernement s’est rapidement rétracté, pour des raisons de « dignité » et de « décence ». La République islamique d’Iran ne manque pas d’afficher, encore une fois, une conception du respect des femmes bien surprenante.
Des supportrices iraniennes ont tout de même décidé de braver l’interdit en se rendant au Brésil lors du Mondial 2014. Une expérience que le réalisateur iranien Jafar Panahi avait mise en scène dans son film Hors-jeu, récompensé par l’Ours d’argent de la Berlinale en 2006. On y voit la rencontre d’une poignée de jeunes femmes fanatiques de foot, qui ont pénétré illégalement, à l’aide de déguisements, le stade de Téhéran pour assister au match de qualification de l’équipe nationale pour la Coupe du Monde 2006. Capturées par des soldats, elles se retrouvent ainsi prisonnières dans une cellule de fortune, qu’elles transforment rapidement en lieu d’échanges de pronostics sportifs, ou encore en mini-terrain de foot où elles miment les actions de leurs joueurs favoris. Entourées de soldats qui, eux aussi, préfèreraient assister au match, les jeunes femmes peu craintives tournent en dérision leur « délit », et progressivement, établissent une complicité avec leurs geôliers autour de leur passion commune du ballon rond, finalement supérieure à la hiérarchie des sexes imposée par une autorité lointaine.
Jafar Panahi s’amuse des absurdités de cette discrimination. On assiste ainsi à un dialogue surréaliste entre l’un des soldats et le père d’une des jeunes filles venue au stade : tandis que le père tente de faire sortir sa fille de la « cellule » pour la punir chez lui comme il l’entend, le soldat l’en empêche, affirmant « Vous ne pouvez pas l’enfermer. » Le père s’exclame alors : « Vous l’avez enfermée, vous ! » Le soldat, bien en peine de répondre à cela, se contente de déclarer : « Nous avons des ordres… »
En 2010, Jafar Panahi a lui-même été victime d’une révoltante condamnation à six ans de prison et une interdiction de réaliser des films ou de quitter le pays pendant vingt ans. En 2011, La Règle du jeu avait soutenu le réalisateur iranien face à cet inconcevable acte de censure.
L’interdiction qui frappe les Iraniennes amatrices de football est d’autant plus déplorable que le pays, où le foot est très populaire chez les femmes depuis avant la révolution islamique de 1979, compte de plus en plus de joueuses. Sepp Blatter, le président de la Fifa, avait même plaidé, fin 2013, pour la suppression de cette loi qui constituerait selon lui un véritable obstacle au développement du sport féminin. Il n’a pas eu gain de cause auprès de Massoumeh Ebtekar, vice-présidente en charge de la défense du droit des femmes en Iran. Il faut dire qu’un an après l’élection du président modéré Hassan Rohani, les choses ont cependant peu évolué et les discriminations restent largement de mise. La Coupe du Monde fait à ce titre l’objet d’un encadrement rigide : les retransmissions publiques des rencontres ont été interdites, les cinémas de Téhéran doivent séparer les publics masculin et féminin, et les coffee shops n’ont pas le droit d’afficher de drapeaux sur leur devanture.
Nous ne pouvons qu’espérer la présence d’Iraniennes dans le stade de Salvador lors du match Iran-Bosnie, pour encourager l’équipe qui joue ce soir sa qualification en huitième de finale.