Le Brésil affronte la Croatie en match d’ouverture de sa Coupe du monde ce soir à 22h (heure française) à l’Arena Corinthians de São Paulo, lors de la première rencontre du groupe A. L’occasion de revenir sur le dilemme brésilien : « joga bonito » ou gagner?
Et si il y avait deux Brésil ? L’un flamboyant, originel et théorique, verrait les auriverde dribbler jusqu’à l’épuisement et remporter ses matchs sur des scores fleuves, transformant ses adversaires humiliés, en vulgaire piquets. L’autre Brésil, réel cette fois-ci, tenterait de coller à son image rêvée tout en composant avec les exigences défensives du football moderne. Le résultat, forcément cruel pour les amoureux de beau jeu, transformerait les joueurs brésiliens en Sisyphe, condamnés à être des « perdants magnifiques » ou de « tristes vainqueurs».
En 2014, la Seleção enthousiasme désormais plus pour ses capacités défensives que par son aptitude à attaquer. Pour comprendre ce changement de paradigme, il faut remonter à l’époque du Brésil romantique de Socrates, cuvées ’82 et ’86. Sur le terrain, des auriverde brillants et fantasques mais pas assez efficace. Lassés de perdre, les brésiliens vont alors faire le choix de la rigueur. Finie l’époque du jeu débridée, de l’attaque rieuse et de la défense inexistante. Les footballs paulista et carioca vont finir par se plier aux standards européens, autrement dit à s’appliquer à bien défendre avant de penser à attaquer. Un joueur incarne plus que quiconque la fin d’une certaine forme de romantisme dans le jeu brésilien. Il s’agit du milieu de terrain défensif Dunga, vainqueur de la Coupe du Monde 1994. Malgré ses 91 capes, l’Histoire ne retiendra du dénommé Carlos Caetano Bledorn Verri que son jeu rugueux, excessivement prudent, dénué d’inspiration et de saveur. En 1994, ce sont pourtant sa hargne et son abnégation qui feront gagner au Brésil une Coupe du Monde qui échappait aux verts et jaunes depuis 1970. Lorsque Dunga souleva triomphalement le trophée en terre américaine, une partie de ses compatriotes le vilipenda. Considéré comme un traitre au « joga bonito », Dunga fut longtemps accusé d’avoir oublié les fondamentaux du jeu à la brésilienne, celui que l’on joue pieds nus sur la plage ou bien sur le sol défoncé des favelas. A croire qu’au Brésil, à vaincre sans gri-gri, on triomphe sans gloire !
Thiago Silva en patron d’une défense spectaculaire
Une fois n’est pas coutume, c’est donc à l’arrière que le « back four » arriverde brille. Sur l’aile gauche, le latéral offensif du Real Madrid, Marcelo. Successeur du légendaire Roberto Carlos, Marcelo aime se projeter en attaque, oubliant un peu trop souvent les consignes défensives et autres tâches laborieuses. Sur l’aile droite, Dani Alves, son coéquipier barcelonais, possède une technique épatante et un profil assez similaire. Alves, victime du racisme sévissant dans le championnat espagnol, a marqué les esprits en mangeant la banane qu’un spectateur lui avait lancée à la figure au cours d’un match. L’image fit le tour du monde… La charnière centrale brésilienne se compose quant à elle de deux joueurs du Paris-Saint-Germain: David Luiz et Thiago Silva. Le premier vient de signer dans la capitale contre la somme de 50 millions d’euros. Son jeu, physique et spectaculaire et son look (le défenseur arbore une tignasse bouclée fournie) en font un joueur enthousiasmant. À ses côtés, Thiago Silva, véritable génie, est ce que l’on appelle « une assurance tous risques ». Surnommé « O Monstro », il est un défenseur d’exception, rapide et élégant, sûrement le meilleur à son poste à l’heure actuelle. Son histoire, terrible récit d’une formidable ascension, mérite d’être racontée. Formé au Brésil, Silva fait ses classes au Fluminense avant de rejoindre l’EC Juventude. En 2004, comme nombre de brésiliens en quête d’un avenir meilleur, il fait le grand saut et part vers l’Europe. O monstro atterrit ainsi au FC Porto où ses compatriotes sont nombreux. Le défenseur va pourtant vite déchanter: relégué en équipe B, il n’aura jamais l’opportunité de prouver ce qu’il vaut sur un terrain. Pire, c’est au Portugal qu’il attrapera une tuberculose qui, après un transfert au Dynamo Moscou, le clouera dans un lit d’hôpital six mois durant. Thiago Silva faillit y passer. La suite de son histoire est plus joyeuse. Revenu dans son club formateur du Fluminense, Thiago Silva retrouve ses repères. Il ne tarde pas à remporter la Coupe du Brésil et à taper dans l’œil des observateurs. Trois saisons plus tard, il est recruté par le grand Milan A.C. de Silvio Berlusconi avec lequel il remporta le Scudetto. On connaît la suite, Silva va s’imposer en patron de la Seleção brésilienne puis, rejoindra l’ambitieux effectif du PSG. Aux cotés de Zlatan Ibrahimovic et de Thiago Motta, le défenseur brésilien incarne la puissance retrouvée du club de la capitale et devient un symbole du Paris-SG version Qatar. Aujourd’hui âgé de 29 ans, le capitaine de la Seleção porte sur ses épaules une très lourde responsabilité : celle de la conquête, à domicile, du graal footballistique, la Coupe du Monde…