Au détour d’une salle de l’aile droite du Musée d’art moderne de la ville de Paris, un surveillant s’attriste du peu de visiteurs que réunit l’exposition : « Aux États-Unis, il est extrêmement apprécié, mais en France, il reste assez méconnu… » Un public trop clairsemé donc, pour la première exposition d’ampleur consacrée à Zeng Fanzhi en Occident, tandis que, de l’autre côté du Musée, une foule sensiblement plus âgée se presse devant les œuvres de Serge Poliakoff. Pourtant, avec une œuvre récemment vendue plus de 17 millions d’euros, Zeng Fanzhi a été déclaré l’artiste chinois vivant le mieux côté.

Cette rétrospective d’une quarantaine de tableaux prend le parti d’une chronologie inversée. Dès la première salle, le spectateur est immédiatement saisi d’effroi. Sur des toiles immenses, se déploie une nature noire peuplée d’animaux inquiétants : un lièvre géant, en référence à Albrecht Dürer, un éléphant étrangement pâle, ou encore des bêtes dévorant des masses de chair rougeoyante.

Quelques touches de couleurs vives traversent çà et là les paysages sombres, des vert et rose francs qui ne font que renforcer l’inquiétude qui émane des scènes.

En remontant vers des œuvres plus anciennes, les êtres humains font leur apparition, ou plus précisément des caricatures d’êtres humains aux proportions surprenantes : d’énormes mains, celles qu’on « ne peut jamais cacher », précise François Michaud, commissaire de l’exposition, des visages étrangement grands, posés sur des corps rétrécis et plantés face au spectateur, fixant de manière frontale le public de leurs yeux barrés par des croix (ou des cibles ?), tout en lui adressant de gigantesques sourires déstabilisants.

Cette série, intitulée « Masques », a été réalisée en 1994, après que Zeng Fanzhi s’est installé à Pékin : « Personne ne peut vivre sans masque », a-t-il déclaré.

Entre le rire compulsif et les cris de détresse, il est impossible de déceler le véritable sentiment qui habite ces personnages aux allures de mangas, non sans rappeler ceux de Yue Minjun.

Zeng Fanzhi, The Last Supper, 2001
Zeng Fanzhi, The Last Supper, 2001

De même, que signifie, dans son adaptation de La Cène, The Last Supper (2011), la présence de ce Judas à cravate jaune – symbole occidental ainsi que couleur de l’Empereur et de l’or – tandis que tous les autres convives portent un foulard rouge (signe distinctif des Pionniers, jeunesse communiste que l’artiste n’a pas pu intégrer car sa famille a été jugée indigne) ? Doit-on chercher une explication à la présence de pastèques à la place du pain et du vin, en dehors de la qualité esthétique de la couleur rouge et l’aspect éclaté du fruit sur lequel l’artiste a déjà travaillé ?

Zeng Fanzhi, Man & Meat, 1993
Zeng Fanzhi, Man & Meat, 1993

L’œuvre de Zeng Fanzhi, profondément politique, demeure cependant chargée d’interrogations plus que de revendications.

Il en va ainsi de la dernière série, sur les hôpitaux, réalisée au tout début de sa carrière en 1990, alors qu’il vivait près d’un hôpital, seul lieu où les étudiants pouvaient disposer d’une salle de bain. De ces premières œuvres, où les corps nus et blessés se mêlent dans un tourbillon de peau baconien, naît le terrible sentiment que l’individu ne peut que se fondre dans la masse dès lors qu’il est pris comme sujet d’une œuvre.

Zeng Fanzhi, Tai Ping You Xiang, 2007
Zeng Fanzhi, Tai Ping You Xiang, 2007

Zeng Fanzhi connaît le pouvoir des images, par la propagande maoïste d’une part, et son passage dans une agence de publicité au début des années 1990 d’autre part. Est-ce la raison pour laquelle il a désormais (ou temporairement ?) quitté l’individu urbain facilement reconnaissable par quelques attributs surdimensionnés, pour les paysages tourmentés d’une nature hostile ?

La technique elle-même a changé : les tableaux soignés, colorés, ont laissé place à des œuvres plus brutales, où les coups de pinceaux sont laissés apparents (l’artiste a deux pinceaux en main, l’un est dirigé, l’autre est laissé libre).

Après s’être penchées sur l’être social, les œuvres de Zeng Fanzhi explorent une nature inextricable composée de mille branches, semblables à des fils barbelés interdisant tout accès, ou toute échappatoire. L’homme est évincé au profit des instincts naturels. Est-ce dans cet univers sauvage que Zeng Fanzhi fera advenir l’individualité humaine ? Le temps, peut-être, répondra à la question.


Informations Pratiques

Musée d’art moderne de la ville de Paris
11 Avenue du Président Wilson, 75116 Paris, France
Horaires
Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h
Nocturne le jeudi jusqu’à 22h

Jusqu’au 16 février 2014

Billetterie
Plein tarif : 7 €
Tarif réduit : 5 € (plus de 60 ans, enseignants, chômeurs, famille nombreuse)
Demi tarif : 3,50 € (jeunes 14-26 ans + RSA)
Gratuit pour les moins de 14 ans